Parmi les valeurs confirmées du metal symphonique à chant féminin se place désormais cet expérimenté et prolifique septet allemand originaire de Lübeck. Et ce, depuis leur quatrième et rayonnant album «
House of Usher » sorti il y a deux ans, lui aussi, chez
Massacre Records ; manifeste marquant une certaine évolution conceptuelle et compositionnelle, et laissant entrevoir les prémisses d'un tournant dans leur carrière. Mais le combo teuton a aujourd'hui placé plus haute la barre de ses exigences...
Aussi, jusque là tapi dans l'ombre de ses maîtres inspirateurs (
Nightwish,
Epica,
Xandria,
Leaves' Eyes et
Within Temptation), le collectif d'outre-Rhin a souhaité s'en affranchir pour donner corps à un projet plus personnel, plus abouti et teinté d'originalité. C'est dire que nos acolytes ont misé tous leurs espoirs d'ascension sur ce cinquième opus répondant au nom de «
Tales of the Grotesque ». Dans ce dessein, le groupe se serait donné les moyens de ses légitimes ambitions...
Pour mémoire, le groupe s'est abondamment illustré sur le scène metal internationale, ayant notamment participé à nombre de festivals réputés (Summer Breeze, Rockwolf Open Air, Wave-Gotik-Treffen...), et ce, depuis sa création en 1999 par Anja (claviers) et Alex Hunzinger (guitare, growls et choeurs). Fort de ses fructueuses expériences, le combo s'est peu à peu forgé une notoriété à l'échelle locale.
Plus encore, étant en quête d'une identité artistique stable, il n'a eu de cesse de chercher à faire évoluer son art. Ce qui n'a pas été sans effets sur la refonte de son équipage. Aussi, après quelques changements de line-up, le groupe s'est stabilisé, le duo originel s'étant ici octroyé les talents de : Daniel T. Lentz (guitare) ;
Oliver Bandmann (chant) ; Frank Mölk (batterie) ; Rick Corbett (basse) et Julia Marou (frontwoman), intronisée en 2017 en remplacement d'Alma Mathar.
De cette étroite collaboration émane une galette généreuse de ses 12 pistes, égrainées sur un ruban auditif de quelque 48 minutes. Digne héritière de sa galvanisante aînée, cette cinquième offrande s'inspire tout comme elle de l'oeuvre d'
Edgar Allan Poe, ses morceaux évoquant en musique quelques poèmes et nouvelles de l'auteur. Cette dernière livraison évolue également dans un rock'n'metal mélodico-symphonique gothique et progressif aussi flamboyant que pléthorique en arrangements instrumentaux et à l'immersive mélodicité. Quelques indices d'évolution transparaissent néanmoins à la lumière de ce nouveau méfait : le cadet se veut globalement plus puissant et saillant que son prédécesseur, flirtant parfois avec le power symphonique ; ses plages orchestrales témoignent de davantage de virtuosité, et ce, sans pour autant s'avérer grandiloquentes. Mais là ne sont pas les seuls changements...
Mastérisé pour le première fois par un certain Darius van Helfteren (
Amsterdam Mastering), connu pour avoir oeuvré auprès d'
Epica et
Mayan, et à nouveau produit et mixé par Alex Hunzinger (au Sonofactum), cet opus bénéficie d'une profondeur de champ acoustique encore inédite. Parallèlement, la touche d'Henning Basse (
Firewind,
Mayan) se fait sentir, démarche aboutissant, une fois encore, à une équilibration optimale entre lignes de chant masculines et féminines, ce dernier apparaissant également en qualité de choriste sur trois des titres de la rondelle. Enfin, comme pour nous signifier qu'il n'a pas radicalement tourné le dos à son glorieux passé, pour la réalisation de sa pochette, plus sobre qu'à l'accoutumée, le collectif allemand a refait appel au trait affiné et aux énigmatiques ambiances dont le graphiste
Kurt Wörsdörfer (Headcrime Artwork) semble avoir le secret. Une alléchante carte de visite nous intimant d'aller explorer plus en profondeur ce cinquième élément, objet d'éventuels fantasmes...
C'est dans ses moments les plus enfiévrés que la troupe marque ses premiers points, avec une kyrielle de hits en substance, magnétiques passages susceptibles de rester durablement gravés dans les mémoires de ceux qui y auront plongé. Ainsi, les vitaminés et ''delainiens'' « The
Raven » et « The Experiment » réussissent tous deux à encenser le tympan dès les premières mesures. Dans cette dynamique, à la manière de
Visions Of Atlantis, évoluent avec grâce les caressantes patines de la belle auxquelles se superpose la limpide empreinte de son acolyte, l'inspiré duo contribuant dès lors à enjoliver de sulfureux couplets que viennent relayer d'entêtants refrains. Difficile alors de résister à l'envie de remettre le couvert aussitôt l'ultime note envolée. De même, on ne résistera que malaisément aux vibes enchanteresses de «
Deus Ex Machina », « The
Portrait » et surtout « A Case of
Revenge », grisants titres pop metal symphonique aux séries d'accords imparables. Et ce n'est pas l'enivrant «
Dream in a
Dream », doté d'une ligne mélodique d'une efficacité redoutable dans le sillage d'
Arven, qui nous fera lâche prise. Bien au contraire...
Dans une visée moins tubesque, d'autres pistes tout aussi vitaminées parviennent non moins aisément à glisser dans nos pavillons alanguis. Ainsi, plus qu'il ne l'a consenti jusqu'alors, le collectif allemand explore les arcanes du power symphonique. Le tempétueux et énigmatique « Child of the
Darkness » en est une illustration. A mi-chemin entre
Nightwish (première période),
Dark Sarah et
Ancient Bards, cet impulsif et progressif effort octroie une sidérante force de frappe, un inaltérable tapping, une basse vrombissante et de fines variations rythmiques. Parallèlement, une originale triangulation entre le duo mixte en voix claires et des growls caverneux, sous-tendue par une soufflante muraille de choeurs samplée, nous interpelle, nous faisant comprendre à demi-mot que l'on est entré dans une autre dimension. D'autre part, tout en souplesse, mais non dénué d'une impulsive rythmique, s'impose le nerveux « The Bells ». Vagabondant sur des riffs épais et une sente mélodique tout en nuances, dans la veine de
Lacuna Coil, ce méfait sait aussi varier les effets pour tenter de nous rallier à sa cause. Et la sauce prend, une fois de plus.
Lorsque le convoi orchestral ralentit la cadence, le spectacle proposé tend à ne pas baisser d'intensité, allant jusqu'à se révéler apte à nous retenir plus que de raison. Ainsi, on ne pourra esquiver le mid tempo « The Tell-Tale
Heart » à la fois pour ses riffs massifs et tortueux, ses arrangements nightwishiens, ses samples de choeurs virevoltants corroborés à un infiltrant duo mixte en voix claires, et son ambiance chevaleresque empruntée à un
Leaves' Eyes estampé «
King of
Kings ». Et comment ne pas succomber au captateur cheminement mélodique de « Eleonora » ? Dans la veine d'un
Therion des premiers émois, avec un zeste de
Coronatus quant à ses harmoniques, ce méfait évolue dans un bain orchestral aux doux remous. Aussi, selon votre humble serviteur, ce mid tempo atmosphérique aux riffs veloutés, d'un battement d'aile, saura faire plier l'échine du chaland.
Et quand il nous livre ses mots bleus, il le fait avec beaucoup de délicatesse et un brin d'élégance, juste ce qu'il faut pour générer la petite larme au coin de l'oeil. Ainsi, de par ses subtils arpèges au piano, sa violoneuse assise, l'insoupçonnée gradation du corps orchestral et les touchantes volutes de la maîtresse de cérémonie, la troublante ballade atmosphérique «
Eldorado », non sans renvoyer à
Evanescence, ne rencontrera que peu d'obstacles à sa rapide assimilation par l'aficionado du genre. Dans un même mouvement, la ballade romantique aux accents bluesy «
Annabel Lee » est une réelle invitation au voyage en d'oniriques contrées. Au fil d'un duo évoluant à l'unisson et sous couvert d'un joli slide à la guitare acoustique, la soyeuse instrumentation peu à peu s'épaissit, au moment même où l'émotion finit par nous étreindre. Bref, un instant privilégié propice à la profonde zénitude et que pourraient bien leur envier leurs pairs.
A la lumière de ce vibrant message musical, un constat s'impose : le combo teuton a su élever d'un cran la qualité de sa production d'ensemble et le niveau de ses compositions depuis le fringant «
House of Usher ». Dans la lignée de ce dernier, le présent opus a varié ses ambiances et su équilibrer les forces entre ferveur et douceur, avec un petit supplément d'âme à la clé. Quelques prises de risques supplémentaires, au demeurant parfaitement assumées par nos sept mercenaires, le distinguent toutefois de son vénérable aîné.
Cependant, on aurait peut-être souhaité une ouverture plus large de l'offre, par l'octroi d'une fresque et/ou d'un instrumental, entre autres exercices de style, histoire de compléter un tableau déjà richement orné. Mais au-delà de cette considération, à l'instar de cet opus, la formation allemande livre une œuvre techniquement solide, mélodiquement bien inspirée, jouant habilement des contrastes vocaux, et qui ne souffre que d'infimes carences logistiques. C'est dire que l'on effeuille une œuvre forte, charismatique et sensible, pas encore celle de sa consécration. Néanmoins, la bande des sept peut dès lors et sans complexes caresser l'espoir de faire partie, et ce, dans un avenir proche, des valeurs de référence du metal symphonique à chant féminin. Elle en a l'étoffe. Bref, un groupe qui a le vent en poupe...
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