Je ne peux plus passer sous silence cette histoire. Chaque fois que la lune est gibbeuse, les réminiscences de cette tragédie se font plus pressantes et la terreur plus grande. Les aliénistes de l’asile psychiatrique d’
Arkham sont tous unanimes quant à mon état de santé mentale. Mais ils ne savent pas. Peut-être aurait-il mieux valu qu’ils ne sachent pas, mais je me dois de me débarrasser de ce fardeau mystérieux et, si mes jours sont comptés, peut-être la lecture de ce récit empêchera que les ténèbres immémoriales s’emparent de notre existence. Il faut arrêter, tout arrêter.
Tout a commencé lorsque mon oncle, Joseph Curwen, anthropologue respecté par ses pairs et détenant une chaire à l’université Miskatonic d’
Arkham, Massachusetts, me fit parvenir cette lettre qui n’aurait jamais du arriver. Etudiant certains rites pratiqués par d'anciennes tribus maori d’Australie septentrionale, ce dernier sollicitait ma présence à ses côtés. Linguiste de profession, mon oncle requérait mon aide afin de déchiffrer certains glyphes qui, malgré tout son savoir, le laissaient perplexes. Je ne fis pas cas alors de son écriture torturée ni du caractère bien trop pressant de sa demande et comme depuis longtemps je souhaitais consulter certains volumes très particuliers de la bibliothèque de Miskatonic, je fis amende honorable et partis sans délai rejoindre mon oncle de l’autre côté de l’océan.
Après un voyage sans encombres, ma surprise fut grande de ne point pouvoir trouver mon oncle. Ma tante, Janet Curwen, une femme charmante et réservée, m’expliqua qu'il avait du s’absenter il y a deux jours et qu’il était parti toutes affaires cessantes. Cette femme, issue d’une des grandes familles de
Boston, au caractère normalement si trempé, montrait de visibles signes d’inquiétude. Je n’en fis pourtant pas grand cas car les femmes, aussi cultivées soient elles, ne peuvent réellement comprendre les affres du génie des hommes et les urgences que celui-ci dicte. Je décidais donc de visiter le cabinet de mon oncle à l’université pour en savoir plus sur ses pérégrinations et en apprendre un peu plus au sujet de ces fameux glyphes.
Le doyen de l’université, un homme très affable, me fit l’honneur de m’accompagner jusqu’au cabinet. Il avoua n'en savoir pas plus que moi sur ces tribus du Sud Pacifique que mon oncle étudiait mais lui aussi me confia avoir été troublé par Curwen récemment. L’anthropologue normalement taillé à quatre épingles et toujours élégant et courtois avait peu à peu montré un visage nouveau et peu rassurant. Sa tenue, normalement si impeccable, s’était peu à peu dégradée, ses relations avec ses collègues estompées et il avait demandé à ce qu’on ne l’interrompe pas lorsqu’il étudiait jour et nuit dans son cabinet. Certains élèves avaient même prétendu avoir entendu des chants étranges et le concierge assurait que quelques jours auparavant il était certain que Curwen menait une conversation dans une langue étrange avec un individu, un homme selon toute vraisemblance, alors qu’il était certain que personne n’était entré dans le cabinet car mon oncle lui avait fait expressément la demande de veiller à ce que personne ne le dérange.
Etant moi-même un homme de science, je ne céda pas pour autant à la paranoïa qui semblaient habiter les étudiants et le personnel de l’université. Quant au concierge, un homme d’un âge certain, je le soupçonnais d’avoir simplement piqué du nez et donc de ne pas avoir remarqué l’arrivée d’un visiteur pour mon oncle.
Après que le doyen me confia un double des clefs du cabinet de mon oncle, je fus néanmoins relativement éprouvé lorsque la porte s’entrouvrit. Il régnait dans cette pièce de dimensions cossues une puanteur malsaine qui me prit immédiatement à la gorge. Les rideaux avaient été tirés et l’obscurité qui emplissait les moindres recoins de la pièces ajoutée à cette odeur caustique et putride donnaient à l'endroit un cachet plus proche de celui d'un caveau que d'une étude universitaire. Je m'empressais tout naturellement de faire rentrer à nouveau la lumière du jour et un peu d'air frais et d'aller plus avant dans mon exploration.
Mon oncle, de nature si soignée, avait laissé un vrai désordre s’installer. Papiers et livres occupaient presque chaque parcelle du cabinet. Eparpillés par terre comme sur son bureau, les documents qui, semble-t-il, le rongeaient formaient un manteau dont l’odeur âcre de poussière renouvela mon intérêt pour les recherches de mon oncle, mon esprit universitaire prenant l’ascendant sur mes sens agressés. Ici et là, des reproductions de glyphes captaient mon attention et je contemplais avec ravissement mais non sans effroi les volumes qui ornaient les étagères : le Livre d’
Eibon dans sa version latine Libor Ivonis,
Die Unaussprechlichen Kulten de
Von Junzt ou encore ce qui semblait être une translitération des fameux manuscrits pnakotiques. Mon excitation atteignit cependant son paroxysme lorsque je découvrais sous une pile de parchemins placés sur le bureau de mon oncle, un livre relié de cuir noir dont l'existence même reste discutée à ce jour : le
Necronomicon de l'Arabe fou Abdul Alahzred. Un détail vint pourtant troubler mes recherches. Posé près de la tranche du livre maudit, un boitier d'un disque était ouvert. Le livret qui avait été retiré dudit boitier se trouvait juste à côté et semblait avoir été consulté maintes fois comme en témoignaient les nombreuses marques d’usure qui l’auraient fait se confondre avec les autres parchemins. Je ne trouvais pourtant pas la moindre trace du disque.
S’il est vrai que ce détail anodin n’était pas de nature à alarmer mes sens, j’en fus pour le moins déconcerté. Mon oncle, pragmatique comme seuls les descendants des grandes familles de la Nouvelle Angleterre peuvent l’être, n’était pas connu pour ses inclinaisons dans un art qu’il avait toujours considéré comme mineur et juste bon à faire danser dans les quartiers mal famés de
Boston où les négroïdes, les méditerranéens ou encore les slaves ternissent les valeurs puritaines des anciens colons. Le livret du disque était orné d'un signe cabalistique qui, si je ne le reconnaissais pas, évoqua sur le moment un terrible sentiment de malaise. Deux inscriptions y figuraient :
Portal et
Swarth. Ce second terme, probablement emprunté aux cultures nordiques et qui dérive du mot latin pour « sordide » attira mon attention. Il se disait alors des individus dont la peau n’était pas complètement noire comme celle de certains sauvages d’Afrique subsaharienne mais dont la peau est très sombre, faisant ainsi involontairement le lien avec ces rites maori que mon oncle étudiait.
Ma curiosité piquée et dans le but de détendre une atmosphère déjà bien trop lourde, je me mis à chercher le disque dans le bureau ayant repéré une platine sur une étagère. Un peu de musique ne saurait nuire et comme la vox populi l’admet elle-même, cette dernière adoucirait même les mœurs. Voyant l’heure passée et la nuit automnale du Massachussetts qui tombait, je désespérais de mettre la main dessus. Vers vingt-deux heures et alors que la lune gibbeuse était haute dans le ciel, le concierge frappa doucement à la porte et vint me signifier son départ me confiant aux bons soins du gardien logé deux étages plus bas. Il semblait mal à l’aise et pressé de partir et me lança quelques regards inquiétants, insistant même pour que nous rentrions ensemble. La superstition des personnes âgées ne m’étant pas inconnu, je le rassura et lui garantis que je ne saurais tarder.
Sitôt la porte fermée, il m’apparut alors comme une évidence que le seul endroit, celui auquel j’aurais du même penser en premier, où le dit disque pouvait naturellement se trouver était la platine. Je vérifiais cette évidence aussitôt et maugréais contre moi-même d’avoir perdu un temps si précieux lorsqu’effectivement je découvris l'objet de mes recherches déjà en place et prêt à être joué. Me saisissant de la télécommande, j’éteignis toute lumière afin de me concentrer pleinement et m’installa dans le fauteuil de mon oncle.
Le temps commençait à se gâter et je me réjouissais de n’avoir pas accepté l’invitation du concierge me rappelant les orages infernaux de cette région boisée. Confortablement assis, j'appuyais sur "play"... Je fus soudain transporté dans un univers hostile où seuls régnaient le chaos, la dissonance et la terreur. Dès les premières notes, je fus comme paralysé, transi par les ténèbres qui semblaient s’être épaissies et que j’aurais juré devenir palpables. L’effroi ne discontinua pas et parvint même à un paroxysme indicible et innommable lorsque des borborygmes gutturaux sortis tout droit des eaux infâmes du
Styx vinrent déflorer mes oreilles. Si, à cet instant, ma raison me dicta de couper le son, ma volonté me fit défaut et je restais immobile et ébahi devant cette déferlante de violence. Les rythmes et les mélodies, car il faut bien leur donner un nom même si sur cette Terre jamais rien de semblable ne sortit d’aucun instrument connu, paraissaient obéir à un ordre différent de tout ce que j’avais jamais pu entendre avant répondant à des structures non-euclidiennes et issus d'abymes au-delà de notre cosmos.
Tétanisé et envouté à la fois, des images d’idoles hideuses enfouies sous l’océan m’apparurent. Les glyphes inconnus pour lesquels mon oncle avait sollicité ma présence recouvraient leurs contours mais plus effrayants encore des silhouettes de ce qui apparaissent être des hominidés aux traits visqueux et au regard vitreux nageaient en encerclant ces idoles. Les ondulations de leur nage frénétique semblait imiter le rythme abominable de la musique et la cérémonie, ces fameux rites auxquels j'associais les recherches de mon oncle, montrait clairement que le point paroxystique et la culmination allaient bientôt être atteints. J’agrippais ce que je pensais être l’accoudoir du fauteuil mais refermais ma main sur un miroir. Au tréfonds de mon être, même si j’attribua à ce moment ces sensations aux effets de l’hypnose qu’aurait induite la musique, mon esprit commença à chanceler et ce fut avec une horreur sans nom que, sous une impulsion macabre, je plaça le miroir à hauteur d’yeux.
La suite n’est que conjecture. Un simple fait divers selon certains, au mieux une anecdote. On me retrouva quasi catatonique dans le fauteuil le boitier du disque à la main. L’orage avait fait sauté les plombs et dans le silence qui régnait sur le bâtiment, il semble alors que mes cris eussent éveillé la suspicion du gardien qui grimpa aussitôt les deux étages pour me retrouver dans cet état. Incapable de parler hormis des fragments de phrases sans sens ni logique réels, il fut décidé que je serais placé pendant un certain temps sous l'œil d'aliénistes qui attribuèrent ma condition à ma grande fatigue.
C’est à cet orage que je dois mon salut. Ce portail qui était ouvert comme un gouffre sans fond et qui m’aurait dévoré comme certainement il avait dévoré mon oncle quelques jours plus tôt ; c'est l'interruption involontaire et soudaine de la musique, que dis-je de l'incantation, de la cérémonie, qui me permit d’échapper à cette horrible fin. Je n’ai pourtant pas retrouvé pour autant ma tranquillité d’esprit et si j’ai bénéficié d’un coup du sort, je le maudis tout autant car j'aurais toujours à l'esprit cette dernière image avant que je m'évanouisse. Même si l'on n'a retrouvé que le boitier du disque et non ce miroir que je pensais tenir, c’est toujours cette peau squameuse et ce regard vitreux qu’il reflétait et qui me hanteront à jamais.
Perso, je te conseillerais Seepia et Outre', forcément. Si tu recherches ce côté cauchemardesque, le premier fera son effet garanti sur facture. Si tu recherches des atmosphères, le second.
Et moi même je me demande si Portal est bien réel parfois.
Perso je me prépare à chroniquer le premier Mitochondrion qui est aussi dans cette veine grosse monstruosité rampante et insolite, et il est bien plus facile d'accès, garde plus de repères que Portal. Ca peut être une alternative pour ceux qui sont hermétique au combo australien.
ça ne sera pas dans mes priorités de toute façon, n'ayant pas apprivoisé les autres...
@Scratt : voici un passage d'une interview sur son site officiel :
"I would imagine subconsciously it does. The cliché about the music I create is that no matter what the hell I do, people will call it “dark”. I never thought that myself. I can see why people think that, but growing up in Europe it’s dark and rainy and cold most of the fucking time. We moved to LA 15 years ago, it’s usually 90 degrees and sunny here and the music hasn’t changed. I don’t think it’s directly influenced the sound but your environment does influence your mood and that is of course conductive to being creative."
"That’s a good question because I don’t have a very specific take on it. It is what it is. I don’t actually try to explain what it is. You only have to listen to it. Either it works for you or it doesn’t. I don’t feel the need to explain it. That sounds corny because you’re asking me about my music. I feel no obligation to explain it; I think the music speaks for itself.
The dark thing doesn’t bother me, it did for a while, because it became rather boring hearing all the time. I don’t mind being called dark, but it gets really unimaginative. Does anybody have any new perspectives? I see why people call it dark. It tends to be slow and very low in frequency. People tend to associate that with a dark feeling.
For me, it’s more of a deep thing. Dark sounds so two-dimensional. I’m having fun. Its not like I’m morose in this dark room. I’m enjoying myself when I make music. But I get why people consider it dark."
Désolé pour le pavé, ses interview sons extrêmement fournies en réponses, mais c'est en anglais.
ça peut intéresser d'autres, raison pour laquelle le poste ici.
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