« Ne manquez pas d'aller voir Nyarlathotep s'il vient à
Providence. Il est horrible - horrible au-delà de tout ce que vous pouvez imaginer - mais merveilleux. Il vous hante des heures durant. Je frissonne toujours à ce qu'il m'a montré. »
H.P Lovecraft rêva de cette lettre écrite par Samuel Loveman à son attention. Lovecraft fut et est encore une source d'inspiration non négligeable sur notre scène, un nombre assez important d'artistes à travers le monde auront composé des morceaux, voire des albums en son honneur et ce depuis
Black Sabbath, jusqu'à
Morbid Angel en passant par
Metallica ou Iron Maiden, mais aussi
Samael,
Mercyful Fate ou
Thergothon. La référence pullule, souvent incarnée par le Chtulhu qu'il est inutile de présenter et qui finira par en rendre certains fous à lier à force de tenter de prononcer son nom. Et sur les terres d'Australie,
Portal fut probablement l'une de ses victimes les plus gravement atteintes.
Quoique ici, nous ne sommes pas en présence du géant marin à tentacules, mais face à une autre joyeuseté tirée tout droit du cerveau génial de Howard P. Pour certains plus anecdotique, pour d'autres encore plus terrifiante, une créature capable de prendre un grand nombre de formes différentes, mais qui s'offre ici à nous sous son apparence la plus significative. J'ai nommé Nyarlathotep ou le chaos rampant.
Portal est quant à lui un groupe pratiquant un death metal à la thématique inspirée du monstre, acteur underground de la scène australienne depuis
1994,
Outre' est leur second full lenght. Il sortit en 2007 via
Obsidian Record et réédité par la suite grâce au label Ordo Decimus
Peccatum qui nous amputa presque des intéressantes illustrations ornant chaque morceau sur le livret de la première mouture, bref passons...
Prenons la dénomination dans son sens propre :
Rampant,
Portal l'est continuellement. Le Chaos,
Portal l'incarne. Inutile de chercher à partir en headbang fou furieux, à jouir sur un riff puant le blasphème ou à triquer comme un mulet sur un soli à la Azagthoth, vous perdrez votre temps et vous revendrez à la hâte un joyau noir sans avoir au moins essayé de l'aborder autrement. C'est d'ailleurs là que la comparaison avec
Incantation s'arrête, car si le groupe use lui aussi d'un death metal très sombre et sujet à des lenteurs doom pesantes, sa thématique bien plus proche d'une horreur métaphysique que d'un tempérament blasphématoire et sa composition plus prompte à effectuer des cassures déstructurées et riffs contemplatifs que son cousin américain le rendent d'autant plus original.
Malgré tout,
Portal entretient indéniablement certains liens de parenté avec l'ange morbide, et si ce n'est pas dans l'exécution qu'on la trouvera, c'est en entrant au sein de l'aura atmosphérique inquiétante que l'ombre d'
Altars of Madness se projettera timidement. Nous sommes bien ici en présence d'un death metal aux relents old school, approchant sans retenue les frontières du black metal. Et puisque l'on sait que les australiens sont particulièrement sans pitiés dans ce domaine ( en témoignent les albums phare du duo de choc
Bestial Warlust -
Destroyer 666 ), on se réjouit en se disant que l'on va tomber sur une grosse orgie de
Black Death crade et occulte dégoulinante sur le parpaing.
Seulement voilà, après avoir tenté l'expérience, notre auditeur non-averti se retrouvera certainement dans la peau de Samuel Loveman à conter une rencontre aussi fascinante que troublante. C'est ce qui m'est arrivé et je m'en vais rendre honneur à un groupe totalement singulier, véritable magicien de l'horreur.
Je ne me remettrai probablement jamais de ce premier contact avec
Portal. Les mots de The Curator, véritable prêtre de la formation aux vocaux mortifères, qualifièrent sa musique d'Antique Horror Death
Metal. Ce juste pour préciser, je refuse de rentrer dans un Larousse d'étiquettes à la con pour un album qui semble vouloir les éviter en souplesse.
Tout a commencé sur Moil, l'immersion fut totale. Il n'y eu aucun tir d'artillerie, aucune déflagration, aucune horde de démons décharnés... Il y eu juste une masse opaque, un condensé d'anti-matière en ébullition. Il avançait. Doucement. Comme bercé par sa propre noirceur. Il n'avait pas de visage, sa nature suffocante semblait inhospitalière à toute forme de vie, pourtant une forme d'intelligence demeurait réellement en son sein. Il approchait et il croissait sans arrêt, nourrissait les âmes en perdition dont les cris étouffés et déformés par leur course folle provoquaient la césure entre la lumière du jour et l'ombre éternelle qu'il incarnait.
Et comme conscient d'une super-puissance inéluctable et inconnue de l'homme, avec un flegme malsain, il fondit sur mon être, provoquant une brûlure fulgurante pourtant dénuée de la moindre chaleur, tel un bloc d'acier glacé que l'on aurait plongé dans mes entrailles.
La machine de mort se mit en marche, une caisse claire martela une marche funèbre tandis que les guitares battirent un mur rocailleux dévoré par l'érosion.
Outre' se mit à me torturer, le spectre sonore semblant sortir d'un vieux phonographe possédé, coulant un sang charbonneux et corrosif, édifiait des monuments tortueux indéfinissables, comme si la grandeur et l'horreur s'affrontaient sans jamais se surpasser l'un l'autre, dépeignait un panorama rongé par le temps et l'usure. Par moment, les fûts prenaient la forme d'une horloge comptoise, battant les secondes comme des épées de
Damocles, tandis qu'au fond de cette caverne sculptée, une bête reptilienne poussait ses hurlements déchirés.
Portal avait bâti un empire en seulement trois titres, ce à l'aide d'un riffing obséquieux sortis tout droit de l'esprit arachnéen dérangé de Illogium et
Aphotic, d'une mise en son unique, d'un contour rejetant en bloc tout attrait à la précision chirurgicale et de plans totalement improbables, surprenant nos tympans sans arrêt par leur faculté à s'échapper de leur ligne de conduite et cracher leur encre visqueuse dessinant un relief biscornu, dominé par l'épouvante et le chaos le plus démoniaque.
Alors The Curator et ses acolytes, tous drapés sous leur robe noire de cérémonie, inaugurèrent le cheval de bataille de leur doctrine : Omnipotent Crawling Chaos.
Si jusque là, le groupe s'était dépensé cyniquement à l'étalage de montée de colère virulentes, il nous offre ici un titre conçu de long en large d'une brutalité sans précédent. L'hymne absolue en l'honneur de Nyarlathotep.
Portal a sur ce titre réussi le tour de force de dégager une violence meurtrière appuyée par une aura horrifique obsédante, fruit du travail sur les guitare et sur une basse marquant chaque temps fort comme pour enfoncer davantage sa victime.
Black Houses apparaît ensuite et joue la carte inverse :
Lugubre et désolé, un exemple frappant du talent du groupe à créer une série de micro-climats brumeux aux contours indécis, tel ce final agonisant petit à petit, avant d'enchaîner sur le titre éponyme.
Ce dernier démontre l'attrait du groupe pour le noise tout en remettant le style dans son contexte : un interlude distordu et douloureux, condensant chaque angle de la démarche de
Portal en à peine trois minutes. On notera ces samples figurant une respiration glaciale noircissant encore les alentours.
J'approche de la fin du tunnel, 13 Globes, seconde référence forte à l'univers Lovecraftien, dégage un espace qu'occuperont dissonances et palm-mute, sera le prélude au final Sourlow. Preuve intangible de la qualité de cohérence de cet album, ce dernier titre pousse la psychose de
Outre dans ses dernier retranchements, une véritable apocalypse, une déferlante de déconstructions harmoniques vicieuses et de blasts tumultueux s'abat alors sur les ruines de mon esprit, pour finir par le noyer gémissant dans un lac goudronneux. Une mélopée située quelque part entre le cynisme pur et la plainte mortifère pose une dernière teinte presque irréelle.
1 ou 2 minutes s'écoulent dans le silence. Les enceintes se sont tues, les membranes semblent encore chargées de cette énergie noire absorbant toute lumière. La pochette de
Outre' qui vient de prendre tout son sens esthétique est inerte entre mes mains.
L'expérience
Portal touche à sa fin et, après un tel pavé, ne laisse pourtant qu'une petit phrase en guise de conculsion :
Outre' est un disque hanté.
Jamais cet adjectif n'avait eu une telle importance pour qualifier un album de cette trempe.
Portal ouvre un passage vers une dimension parallèle, une dimension où l'horreur, le charivari, l'utopie et la pureté font chambre commune et, dans les mains de ces artistes, se voient couronnés d'une majesté impériale.
Si entrer dans cet univers ne sera pas aisé pour tout le monde tant il demande de faire abstraction de pas mal de codes et ne rends pas la moindre image séduisante, l'effort en vaudra un voyage de cauchemars, que seul les plus acharnés d'entre nous savoureront.
Ils découvriront avec
Outre' un album génial , contournant tout cliché récurrent, situé stylistiquement entre les frontières Death, Black et
Doom sans jamais en intégrer les étiquettes précises, ce malgré le passage de
Morbid Angel,
Incantation,
Immolation ou même
Deathspell Omega pour ce travail sur les harmoniques.
Condamné à rester cloîtrer dans des sphères underground,
Portal ne joue pas l'horreur. Il l'est, tout simplement.
Nota Bene : J'ai cherché la signification du mot
Outre', je n'ai pu la trouver au milieu des paroles alambiquées de l'album. Il semblerait, après de nombreuses recherches vaines pour la plupart, que ce soit une divinité maléfique issue de la culture Maori.
Si jamais je me goure, c'est pas sur moi qu'il faut frapper mais sur un type au pseudo imprononcable sur Over-blog.com.
Du reste, bonne chronique. j'ai vu quelques discussions au sujet du groupe sur le forum Death et je suis sur le myspace pour me faire une idée... C'est très particulier, en effet.
Vraiment un groupe que je suis content de connaître.
Merci pour la chro, Arch !
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