Billie Holiday interprétait "Strange Fruit" en 1939, en pleine ségrégation raciale. Les fruits étranges qui pendent aux arbres, les corps de Noirs lynchés, en vérité. Le groupe se nomme Zèle et Ardeur. Je franchis un pas un peu risqué : les flics blancs qui tirent avant de réfléchir, dès lors que t'es noir et américain. Ce pas, je le franchis car ce groupe, aux nombreuses étiquettes, joue clairement de la Black Music teintée d'un grand nombre d'influences, dont du Black
Metal. Quelle audace !
Je ne vais pas détailler morceau par morceau, mais faire part de la (très) forte impression que m'a laissée ce groupe bâlois. Suisse, donc. On est bien loin de Saint-Louis, par exemple.
Voici donc Manuel Gagneux, multi-instrumentiste de talent, qui a décidé de relever le défi de mêler des genres musicaux aussi radicalement différents. Il compose les morceaux en compagnie d'un ami batteur, enregistre le tout, mais s'entoure d'amis de longue date pour finalement fonder un groupe, un vrai. Il y a un logo, une identité visuelle (saturation de couleurs piquée à David
Lynch, d'après Manuel Gagneux), une véritable identité sonore (légère disto sur la voix, basse énorme, guitare saturée très aigüe, comme dans le Black
Metal et chœurs masculins très graves). Voici les ingrédients qui font de ce projet un véritable groupe, créent un contexte dans lequel cette musique pourra se développer, évoluer et continuer d'en inspirer certains, dont moi (ce dont tout le monde se fout, mais je m'en tape).
Musicalement, j'ai pris une baffe incroyable. Les morceaux passent allègrement du Negro-
Spiritual à de l'instrumentation Black
Metal en gardant une cohérence et une intensité hors du commun. Il en résulte une atmosphère lourde, plutôt triste, mais aussi une sorte de colère à peine contenue.
N'étant pas bilingue, je ne me risque pas à une interprétation des textes. De toute façon, ce n'est pas cet aspect là qui m'importe, en général. Je laisse à chacun la joie d'explorer à son niveau les multiples facettes de cette musique.
Cet album est composé de seize titres plutôt courts. Une Intro brève mais qui donne l'idée de ce que va être la suite. J'en ai les poils qui se dressent. Sensibilité, puissance, originalité. C'est un petit bijou. Je vous recommande d'aller en voir le clip sur YouTube. Vous constaterez l'identité visuelle évoquée plus haut, mais je trouve que ces images servent remarquablement l'ambiance.
J'ai retenu essentiellement les morceaux suivants :
Gravedigger's Chant, Servants, Ship on
Fire. Il y en a bien d'autres, mais pour ceux qui souhaitent voir de quelle manière les genres musicaux se mêlent avec élégance, c'est le top. Mention très spéciale à Servants !!! Les parties mélodiques s'enchaînent, s'entremêlent, les chœurs sont repris sur les guitares saturées, c'est vraiment incroyable. Il ne s'agit pas d'une succession type "l'intro black music, le refrain à fond et qui gueule, etc..." en alternance. Non, pas du tout ! Il y a un véritable style qui se dégage. L'exploration musicale a ici abouti à la découverte de tout un champ des possibles, de nouvelles émotions.
Pour ma part, lorsque j'ai découvert par hasard ce groupe, c'était sur You Ain't Coming Back. Putain !! Ce morceau tourne en boucle à fond dans ma bagnole. Je suis incapable de décrire ce que c'est, ni ce que je ressens. C'est finalement très personnel. Mais, je peux dire que ça fait longtemps qu'une nouvelle musique ne m'avait pas foutu la chair de poule.
L'instrumentale The Hermit est bien reposante. En revanche,
The Fool m'irrite un peu.
En résumé, voici pourquoi je pense que c'est un album majeur, un petit chef-d’œuvre en devenir :
1. L'originalité et l'audace : imaginer un instant que des Noirs du ghetto s'acoquineraient avec des descendants de Vikings brûlant des églises en bois pour taper le bœuf, c'est osé. Et pourtant tellement évident, à l'écoute de
Stranger Fruit. L'émotion est le dénominateur commun. Et ça en déborde de partout.
2. La véritable personnalité du groupe : on n'est pas là face à un projet éphémère. La musique me semble plus forte que chacun des musiciens qui la créent. Je crois vraiment qu'il y a un avenir pour
Zeal and Ardor.
3. Le son : monstrueux : une basse énorme qui se mêle à une batterie très puissante. Les chœurs graves ressortent très bien, même lorsque tous les instruments envoient la sauce. Le piano est quasiment omniprésent (même avec de la disto, à un moment). Parfois, j'aurais préféré une guitare plus grosse, mais au fond, cela participe à l'identité sonore et la cohérence de l'album. Mixage absolument parfait.
Pourquoi pas une meilleure note, alors ? Il y a encore des points perfectibles : les morceaux sont courts, et à un moment dans l'album, on dirait qu'ils se ressemblent beaucoup. Il aurait peut-être fallu élaguer un peu. Dans la construction aussi, certaines ressemblances dans le ventre mou. Et au niveau des tempos, peut-être (tu me diras, dans le Black-
Metal, c'est pas tant la variation des tempos qui ressort).
Je pense que ceci est la première brique (mais une brique en or) d'un édifice en construction. Le groupe gagnera en maturité, en capacité à explorer encore, s'enrichir.
Quoi qu'il en soit, courez vous procurer cet album, et bonne écoute !
Whaou, juste whaou. Je suis complètement subjugé par l'extrait présent sous ta chronique : original, captivant et bourré de talent, j'en reste sans voix. Beaucoup de noms qui me plaisent, des influences peu courant dans le monde du metal, un concept novateur et des frissons jusqu'au bout.
Ton écrit est remarquable, je pense que c'est un album qui a du beaucoup te marquer et ça a l'air de se comprendre au vu de l'extrait ci-dessous. Je pense qu'on va s'écouter l'album en entier et faire un petit achat après.
Merci infiniement pour la découverte et au plaisir de te relire.
Merci beaucoup pour vos retours.
Oui l'album a tourné un bon moment en boucle, je le conseille fortement. L'album précédent était cool, mais comme le dit Fonghuet la prod était catastrophique (la BAR en particulier....). Ici tout est plus organique, plus varié aussi. Le piano style Tiersen est toujours là, mais vite fait sur les intermèdes de fin.
Pour le côté satanique, je trouve ça moins chiant que des trucs genre Deicide, parce que là y a quand même un contexte derrière, qui peut amener à pas mal de réflexions. Autant pour Ghost par exemple, je trouve que ça tourne un peu en rond, autant là je pense qu'il y a encore matière à développer.
Enorme ce deuxième opus.
Cet album tourne en boucle depuis plus d'un mois dans la caisse, je m'en lasse pas !
J'suis pas fan du black metal à la base, mais cette recette me permet d'apprécier les passages black plus que n'importe quel autre groupe. Je le conseillerais à quelqu'un qui veut mettre un orteil dans le black sans y plonger la tête la première.
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