Avec son troisième opus éponyme,
Zeal & Ardor avait tapé si fort dans la fourmilière qu'il était difficile de passer à côté. Une créature hybride entre du metal, du gospel, de la soul, de la musique progressive ou carrément industrielle avec une cohérence impressionnante et une sensation de maitrise totale de son art.
Bien différent des deux premiers opus, il semblait tracer un sillon qui allait durablement définir son avenir. En ce sens, "
Greif" était attendu au tournant. Décidé à changer les choses, le maitre à penser unique Manuel Gagneux s'est entouré de ses musiciens live en studio pour les intégrer au processus de création et ouvrir le champ des possibles.
Très ancré dans les racines suisses, le concept de "
Greif" est autant métaphorique qu'un véritable symbole d'une lutte du peuple face aux élites. Musicalement, c'est une continuité de l'opus précédent puisque autant du côté de la production que de la créativité, on retrouve vraiment ce qui a provoqué l'immense baffe d'il y a deux ans. On passe de genre en genre avec virtuosité, cohérence, à se demander parfois comment ils font pour rendre l'ensemble aussi digeste et même logique dans son cheminement. Aller d'un "Are You the Only One Now ?" aux arrangements de voix jazz duquel un riff black metal surgira des entrailles vers un "Clawing
Out" syncopé et industriel (clinique et glacial dans son ambiance rappelant I Caught You de l'album précédent) aux détours de "Une Ville Vide" qui pourrait être au générique de Strangers Things dans son ambiance mélancolique.
Chaque titre s'imbrique les uns dans les autres pour faire un tout cohérent, avec moins de surprises que l'album précédent qui enchainait des titres avec une personnalité individuelle plus forte. "Fend you
Off" rappelle un "Death of the Holy" mais dont les fulgurances de brutalité auraient été retiré. Les titres sont plutôt courts, comme des ébauches d'idées parfois concrétisées mais parfois incomplètes et en soi frustrantes. Je pense à "Go
Home my Friend" qui s'infiltre dans le gospel avec toujours ces sonorités rock indus mais qui, en moins de deux minutes, se veut trop court pour muter vers sa forme définitive. Idem pour "369" qui propose trop pour être un interlude mais pas assez pour être véritablement un titre, même s'il sert de tremplin à "Thrill" et son riff groovy et rock. On remarque aussi que la production, très froide et précise de l'album précédent, a laissé sa place à un rendu plus organique, plus chaud et rond qui se veut plus accessible mais indéniablement moins puissant et impactant.
Reste des moments de grâce comme ce "
Solace" au piano / chant envoutant en fin d'album avant un "
Hide in
Shade" révélateur du style unique de
Zeal & Ardor malgré le fait qu'il ressemble un peu trop à ce qu'on trouvait sur les meilleurs moments de l'album précédent. "To my Ilk" termine ce périple par un acoustique rond, à la ligne de basse qui ronronne et une ambiance hypnotique (encore une fois bien trop court).
C'est finalement une écoute pleine de paradoxe et de frustration car "
Greif" réussi à confirmer le potentiel avant-gardiste du combo tout en paraissant s'être mis en pilotage automatique en comparaison du génie de l'album éponyme. Toute la formule est respectée, avec néanmoins moins de tension, comme s'ils s'empêchaient de lâcher les chevaux, d'aller à fond dans la musicalité unique qui s'offre à eux, en lançant des tonnes de bribes mais sans les exploiter totalement. Les morceaux sont courts mais peinent à se développer et cette sensation d'écouter une nouvelle idée à chaque recoin de riff s'étiole au profit de la frustration que aucune ne semble réellement aboutir. Difficile réalité que de passer derrière une telle claque que l'album précédent ... "
Greif" reste un album qui sort indéniablement du lot, mais souffrant de la comparaison avec son illustre prédécesseur.
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