Pour me faire sortir du bois après pratiquement dix ans sans que je n’aie ressenti le besoin d’écrire une seule chronique, il fallait sans doute que la situation en vaille la peine. C’est en fait une autre chronique (si on peut l’appeler ainsi, vu sa taille et son contenu) qui m’a décidé à me remettre derrière mon clavier pour taper ces quelques mots. En effet, dans le dernier volet de Metallian, et plus précisément dans son magazine secondaire consacré à l’underground, on peut trouver l’opinion d’un membre de la rédaction sur le tout nouveau, tout chaud (tout glacial plutôt) album des Suédois d’
Istapp. Un quatrième album assassiné par un petit texte fondé sur un vague ressenti (« manque d’impact émotionnel dans les passages mélodiques »), et une note de deux sur six.
Alors, évidemment, chacun a bien le droit de penser ce qu’il veut de tel ou tel album. Peu m’importe. Mais ce qui me chagrine ici, c’est que ce quatrième recueil, en plus d’être parfaitement interprété et enregistré (les compétences des musiciens sont tout de même reconnues par le chroniqueur en question), est sans doute celui qu’il fallait à
Istapp pour confirmer un potentiel qu’il me semblait percevoir chez eux depuis «
Blekinge » en 2010.
Istapp, c’est avant tout un socle musical solide.
Pas de tergiversations (encore que… nous allons y revenir), nous avons ici affaire à du black mélodique qui connaît ses classiques, et qui ne renie pas ses influences. On pense à
Dissection ou
Naglfar, le groupe maniant avec efficacité une formule mêlant la dissonance typique du black metal et la mélodicité.
Immortal vient forcément en tête également,
Istapp délaissant les références sataniques pour imaginer son propre univers. Un univers dont le froid extrême est la clé de voûte.
Ce sont ces éléments qui caractérisent la musique des Suédois depuis ses débuts. Chaque album est une arme contre « l’étoile insidieuse », le Soleil, qui brûle notre planète autrefois constituée de glace. Chaque concert est une bataille des légions du froid contre les troupes de la « boule brillante », « en attendant le zéro absolu ». «
Blekinge », premier manifeste des guerriers, proposait un black mélodique mâtiné d’influences folk discrètes mais ancrées dans l’âme des musiciens, ainsi que quelques rares passages en voix claire du plus bel effet (« I Väntan På Den Absoluta Nollpunkten »). «
Frostbiten » avait enfoncé le clou en 2015, de façon plus directe et avec une redoutable efficacité. Avec «
The Insidious Star » en 2019, la formule m’avait semblé s’user un peu. La musique restait agréable, mais paraissait tourner légèrement en rond sans chercher à proposer réellement quelque chose. Une relative remise en question était peut-être nécessaire.
C’est avec un réel plaisir que j’ai constaté, à l’écoute de «
Sól Tér Sortna », que le petit coup de neuf tant attendu a bien été donné. Aucune révolution à l’horizon, mais une volonté réelle de varier le propos et de rendre la musique plus ludique est indéniablement présente.
Ainsi, «
Under Jökelisen » ouvre les hostilités avec la verve habituelle, mais offre un refrain mélodieux et soigné porté par un chant clair épique et des claviers mystérieux parfaits pour poser d’entrée de jeu l’atmosphère glaciale d’
Istapp. Dans la même veine mais avec un ton légèrement plus folk, « Storm Av Is » vient contenter les amateurs de refrains au chant clair un peu plus loin.
Plus habituels pour le groupe, des titres comme «
Nifelheim » ou «
Sól Tér Sortna » apportent leur pierre à l’édifice, sans doute sans une once d’originalité mais toujours avec cette qualité constante dans la composition des riffs et des mélodies, qui font que, selon moi,
Istapp tire son épingle du jeu dans l’océan des formations de black mélodique underground.
Enfin, au rayon des touches de nouveauté, outre un usage plus régulier de voix clean et les apports plus conséquents des claviers, il faut citer un « Ragnarök » ouvertement black / folk, que n’aurait pas renié
Solefald période «
Red for
Fire / Black for Death » tant dans le riffing qu’au niveau de l’ajout de cordes et d’interventions de chant féminin. « Grýla », morceau le plus sombre et black de l’album, fait descendre la température plus bas que jamais en entremêlant intelligemment mid-tempo hypnotique et accélérations subites, le tout dans une ambiance macabre et effrayante qui tranche avec les autres morceaux (une voie qui sera, je l’espère, explorée par la suite). Le chant torturé flirte parfois avec celui de
Niklas Kvarforth de
Shining (les Suédois, pas les Norvégiens) et achève de rendre ce morceau vraiment spécial.
Bref, s’il ne s’agit sans doute pas du plus grand album de black mélodique de tous les temps,
Istapp prouve ici qu’il a plus d’une corde à son arc et qu’en plus d’évidentes qualités en termes de composition et d’exécution, il peut encore surprendre. Fjalar (batterie, composition), pilier originel du projet, mène sa barque depuis près de vingt ans malgré les tempêtes (difficulté à sortir le premier album, changements réguliers de line-up…). Avec «
Sól Tér Sortna », il propose un nouveau manifeste réjouissant, qui préserve l’identité de son groupe tout en l’ouvrant à de nouvelles possibilités. Que l’on adhère ou non au contenu, il est évident qu’une note sous la moyenne est exagérée, voire cruelle pour une formation qui offre un black mélodique qualitatif, sérieusement joué et produit, et montre ici que son spectre musical est peut-être un peu plus étendu qu’on ne pouvait le supposer. Je vous encourage donc à jeter une oreille sur ce nouvel album que je qualifierai de « vraiment bon », à défaut d’être extraordinaire. On ne peut que souhaiter à
Istapp que cette nouvelle collection d’hymnes ait un effet… boule de neige, auprès des auditeurs.
Rejoignez la guerre contre les armées de lumière.
16/20
Un grand merci pour cette chronique qui rend très justement hommage à cet excellent album de Black Mélodique. Je n'ai pas lu la chronique de Metallian, n'achetant plus ce magazine mais le chroniquer a l'air d'être totalement passé à côté de cet album au vu de ce que tu en dis.
Ne connaissant pas le groupe avant cela, je vais me jeter sur les 3 albums précédents, d'autant plus qu'au vu du délai entre chaque album, mon petit doigt me dit que l'on ne va pas avoir le prochain méfait tout de suite !
Merci à toi pour ton commentaire. Heureux que la chronique trouve un peu de résonnance aurpès de certaines personnes !
Je t'encourage à explorer "Blekinge" et "Frostbiten", qui valent largement le détour. "The Insidious Star" peut faire office de supplément agréable.
Merci pour ces infos AmonAbbath : j'ai écouté hier "Blekinge" et c'était franchement bien. Je garde une préférence pour ce dernier album néanmoins mais je vais m'écouter toute la discographie !
Après avoir réécouté plusieurs fois l'album depuis fin avril, je ne m'en suis toujours pas lassé (par contre, je reconnais ne pas avoir passé le cap de l'achat mais je pense que ça viendra dans le courant de l'année !).
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