«Le fjord s’est rempli de brume. Un knörr ondule l’eau et avance peu à peu. Au loin un ludr résonne, l’assaut va être donné.»
Parler de
Wardruna sans évoquer ce genre d’images me parait compliqué. Elles sont certes clichées mais nécessaires pour faire comprendre à un auditeur qu’il tient entre ses mains quelque chose qui va l’emmener loin dans le temps et l’espace.
Ce voyage est également introspectif, la musique ici écoutée sera largement plus appréciée si elle est écoutée au casque (de préférence seul).
Pourquoi ce mode d’emploi ?
Tout simplement parce que plus qu’un simple disque de dark ambient à tendance folk-pagan où les viking boivent de la bière, tuent des dragons et portent des casques à cornes; ce disque ne rentre pas dans ces carcans et ne souhaite certainement pas s’y aventurer. Le principe est à l’origine assez simple : tenter de reproduire la musique des hommes du Nord avec les instruments et les conditions de l’époque.
Il ne faudra pas s’étonner alors si tout une partie de l’enregistrement a été effectué en plein air et si les instruments employés portent des noms étranges pour l’auditeur francophone (ludr, hardingfele, munnharpe…).
Le disque s’apparente à ce point comme étant une sorte de folk archéologique. Mais, car comme toujours il y a un «mais»,
Wardruna va plus loin que ses prédécesseurs et ne se contente pas de faire référence à la mythologie scandinave, ce groupe la vit.
Einar Selvik, à l’origine de la formation, écrit alors qu’après avoir lu de nombreux contes runiques et autres textes fondateurs (l’Edda par exemple, dont on trouve une très bonne traduction par F-X. Dilmann), il s’est servi des runes pour comprendre l’héritage et les croyances des hommes du Nord.
La musique créée est supposée être similaire à ceux des cultes anciens, en résulte les galdr et seidr («sorts» et «transe» si vous préférez).
Histoire de compliquer un peu plus les choses, le choix des mots, des runes et des symboles est très élaboré. Il faut tout d’abord revenir sur le nom du groupe, «
Wardruna», lequel signifie «gardien des runes» ou «gardien des secrets» (Ward-runa). Pour la suite, ceux qui s’y connaissent en runologie et mythologie scandinave ne seront pas déçus.
Le titre de l’album tout d’abord, «Runaljod – Gap Var Ginnunga», signifie ni plus ni moins «Le vide était ouvert». Ceci fait référence à la Voluspa, poème de création et de ruine du monde.
Le nom d’Einar Selvik est peut être mal connu, mais il s’agit de Kvitrafn, batteur au sein de
Gorgoroth entre 2000 et 2004. Parmi ses principaux collaborateurs on peut y retrouver Gaahl (Kristian Eivind Espedal), toujours issu de
Gorgoroth, au chant entre 1998 et 2008. Ces petites précisions faites (que le fan trouvera inutile), il est temps de s’intéresser vraiment à cette production.
Pour faire simple, et non sans une certaine redondance avec le premier paragraphe, le voyage peut commencer.
Le disque, dont l’artwork est à tomber, comporte 12 pistes, composées et enregistrées entre 2003 et 2008. Piètre ratio ? La quantité n’égalera jamais la qualité quand on parle de
Wardruna.
Ces titres sont le fruit d’une digestion lente, d’une maturation musicale et certainement spirituelle. Chaque son semble avoir été réfléchi, obéissant à des codes, obscurs, dont seuls les cultes ont le secret.
Car oui, cet album est dédié aux cultes des premiers scandinaves, à la nature qui les a entourés, mais aussi au courage guerrier, à leur esprit vagabond.
Chacune des 12 pistes correspondent pour la plus part à une rune du futhark, bien que le classement soit différent des trois aettir (famille de rune), l’objectif final de Kvitrafn est à demi caché : Runaljod est élaboré comme une trilogie qui doit couvrir les 24 runes du futhark.
Outre toute cette mythologie, il ne faut pas oublier l’objet principal : le son. C’est néanmoins avec difficulté et appréhension qu’il me faut l’aborder.
Rapprocher
Wardruna du bonus track dans le Monumension d’
Enslaved ou à
Tenhi, c’est passer à côté de cet album ; c’est ignorer la beauté de «Jara» ; oublier la profondeur de «
Loyndomsriss» ; se perdre avant même l’écoute d’«Ar Var
Alda».
Les quelques adjectifs suivants sont certainement superflus, diffus et itératifs par rapport à tout ce qui a été dit avant. Livrés bruts, ils qualifient cette musique de la meilleure manière qui soit : tribale, sombre, cinglante, entrainante, lointaine et mystique.
Tout ceci peut paraitre fort peu convenant, faire une chronique musicale sans évoquer la musique peut être jugé débile et inutile, mais la musique n’a pas toujours besoin de mots, vouloir en donner ne lui rendrait pas service.
J’en viens même à me demander ce qu’un groupe comme ça fait sur
Spirit Of
Metal, mis à part les artistes qui en sont à l’origine, mais dans le fond peu importe il n’y a que le son qui ne peut parler que pour lui-même.
ce serait ... inattendu et carrément génial !
Dans le même genre mais dans un style plus amérindien je connais aussi Blood of the Black Owl, mais j'ai du mal à trouver d'autres projets aussi incroyables que Wardruna. Si vous avez des suggestions je suis preneur !
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