Quand on évoque l’année 89 dans le metal extrême, on pense de suite à ces quelques albums fédérateurs que sont
Altars of Madness,
Realm of Chaos,
Beneath the
Remains,
World Downfall,
Horrified, Slowly We
Rot, Consuming
Impulse ou Symphonies of
Sickness, mais pas vraiment au
Rotting de Sarcofago, groupe pionnier du black metal devenu pourtant archi culte dès la fin des années 80 et dont un successeur à l’invincible
INRI était très attendu. A vrai dire,
Rotting est souvent peu cité, d’une part parce qu’il se trouve coincé entre un
INRI matriciel fait d’un black thrash bestial hautement diabolique servant de référence aux blackeux du monde entier et un
The Laws of Scourge plus technique et largement passé du côté du death metal, mais aussi en raison de son statut bâtard décidé par Wagner
Antichrist ; oui,
Rotting n’est qu’un EP. Moins visible au cœur d’une discographie, le cul coincé entre deux albums très identitaires,
Rotting est fait d’un style hybride, ni tout à fait black, ni tout à fait death, mais situé quelque part entre les deux, dans une veine black / thrash / death, assurant ainsi une transition cohérente au sein de la discographie de Sarcofago.
La plus grosse différence avec
INRI se situe dans la structure des morceaux. Sur
Rotting, les pistes sont longues, très longues, et à l’exception du basique "
Sex, Drinks &
Metal", le côté frontal, primitif et débridé du premier album a ici disparu au profit d’une construction à tiroirs pouvant perdre l’auditeur autant que le subjuguer. Certes, le propos n’est plus bestial, l’infâme saleté et ce côté raw dégueulasse façonnant
INRI ne sont plus de mise, mais
Rotting reste sauvage jusqu’au bout des ongles. Oui, les breaks sont légions, la pluralité des riffs sans équivoque, mais question violence et rapidité,
Rotting se pose là et balance le propos le plus véloce de Sarcofago (on oubliera la batterie programmée totalement inhumaine de
Hate).
Après une courte intro orgiaque, "Alcoholic
Coma" atteste de cette fulgurance rythmique.
Joker, le batteur qui a remplacé D.D. Crazy parti chez
Sextrash, tape vite et fort. On oscille entre blasts et up tempi tandis que les guitares n’ont jamais été aussi incisives. D’ailleurs, les breaks, le riffing saccadé en palm mute, les frappes de
Joker, l’ambiance evil, tout ça évoque fortement le black thrash d’un early Sodom, influ principale de Sarcofago depuis toujours, tandis que le son des guitares très cisaillant serait plus à aller chercher du côté de
Morbid, groupe avec lequel Sarcofago correspondait, aussi bien que
Tormentor. Ce côté black thrash aiguisé comme un rasoir qui sent fortement le souffre et une construction à tiroirs qui rappellent certains morceaux de
December Moon ou 7th Day of
Doom. Pour preuve, le fabuleux "Tracy", long de quasi 9 minutes, qui balance autant de riffs qu’un album entier, et dont les accélérations fulgurantes dévastent l’auditeur, notamment lors d’un crescendo orgasmique bien malsain.
Les blasts de
Joker sont rapides, foutrement rapides, et sa frappe très lourde. Un style bien différent de celui de D.D. Crazy qui sur
INRI intronisait au Brésil le blast façon marteau avec un son de caisse claire bien particulier, mais qui se montre au final totalement éreintant, comme sur le titre éponyme "
Rotting", dont la première partie commence par un pattern sombre et lourd typé
Celtic Frost avant de balancer une accélération débouchant sur un passage bestial rappelant
INRI. Un morceau malfaisant sur lequel Sarcofago vomit sa haine du Christ, d’ailleurs mis en image sur l’artwork.
La reprise de "
Nightmare" renvoie également à l’album précédent. Une reprise loin d’être inutile, portée par un clavier lugubre qui renforce l’ambiance décrépite du morceau rappelant presque la scène black grecque antique fleurissant au même moment. Un fabuleux riff qui sonne comme la fin du monde, sorte de passage impie et lancinant qui nous entraîne ensuite sur une rafale de blasts bien véloce.
Pour aérer ces fulgurances, pas mal de ralentissements, de passages en mid ambiancés portés par un riff prenant. On pourra d’ailleurs noter que l’un des nombreux riffs de "Tracy" sert de prémisse au célèbre "Midnight Queen" de l’album suivant, morceau de la trahison ou morceau fabuleux, c’est selon, au gré des appréciations et des sensibilités. Egalement quelques soli pétés de réverb de la part de Gerald
Incubus pour égayer ce manifeste de brutalité ("
Nightmare", "Tracy"), et toujours ces backings de cinglés, dont certains sont même assurés par les membres de
Sextrash : le vocaliste Pussy
Ripper et l’ex Sarcofago D.D. Crazy, ainsi que le vocaliste de
Chakal.
Depuis le bestial
INRI et ses influences punk hardcore finlandaises et anglaises (Rattus,
Discharge…), beaucoup de progrès ont été accomplis au niveau technique, permettant au groupe une variété rythmique et une multiplicité des riffs qu’on attendait pas chez Sarcofago, dont la principale force résidait dans son atmosphère impure, obscène et dégueulasse. Deux ans après ce nouveau manifeste du black metal sud-am (reconnaissons au Bloody
Vengeance de
Vulcano la primauté quand à l’introduction du genre au Brésil), Wagner a appris à jouer de sa guitare,
Butcher et son riffing primitif ayant quitté les rangs dès 87, tandis que
Joker dispose d’un jeu plus étendu que celui de D.D. Crazy. En somme, un grain en technicité pour compenser une bestialité moindre, caractéristique qui sera encore accentuée sur
The Laws of Scourge sur lequel le groupe perd finalement une partie de son essence. Ce faisant,
Rotting reste evil et dégoûtant malgré un léger polissage niveau production, interprétation et folie, et les paroles de cette pauvre Tracy, décédée et violée par son amant nécrophile, ne diront pas le contraire. Un riffing plus thrash, une pointe de death façon
Possessed et une couleur musicale toujours baignée dans le black metal d’un Sodom, d’un
Hellhammer et d’un
Bathory.
Souvent sous-évalué, voir un peu oublié en raison de son statut injuste de EP,
Rotting ne démérite pourtant pas derrière
INRI, paradoxalement plus court, et constitue une sortie capitale pour comprendre l’évolution du groupe.
J'adore la version de Nightmare sur ce Rotting, tellement plus sombre et torturé à mon sens.
Oui, je pense préférer également la version de Rotting.
@Sev : Sarcofago, ça se trouve un peu en occase, mais bien moins que d'autres groupes. En revanche, il te faut absolument INRI que tu peux trouver neuf à pas cher un peu partout étant donné les millions de rééditions.
Je me le note de côté !
Quelle belle ode à cette scène sud-americaine dans ce papier ! Très instructif, et a lire ce texte en ecoutant ce disque, les mots entrechoquent les sons pour un beau panorama de cette œuvre assez jouissive. Plus technique qu'il n'y paraît comme il est bien détaillé dans la chronique sans sacrifier à la brutalité.
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