S'il y a un groupe de death metal, à mon humble avis, qui est sorti du lot ces dernières années et a su apporter un peu de fraîcheur au genre, c'est bien
Rivers of Nihil. D'un death moderne aussi technique que violent mais sans avoir inventé la machine à couper les doigts, les Américains ont surpris les amateurs avec leur troisième LP "
Where Owls Know My Name", diablement progressif et rehaussé des notes d'un saxophone nostalgique.
L'ambitieux cycle conceptuel des saisons qui a guidé chacun de leurs quatre premiers albums s'étant terminé avec l'hiver pour le complexe et long patchwork de "
The Work",
Rivers of Nihil s'est inspiré de tout ce qui les a définis au long de leurs quatre albums précédents, se laissant porter par la nouvelle dynamique de leur formation. Les compteurs ont été remis à zéro pour faire un disque qui résume ce qu'est le groupe aujourd'hui dans sa musique et son univers, d'où ce titre éponyme.
Le départ de Jake Dieffenbach (chant) et Jon Topore (guitare) en 2022 ne semble pas avoir entamé l'élan ni la créativité du groupe, désormais à quatre sans frontman désigné. Le nouveau guitariste Andy Thomas (ex-
Black Crown Initiate), qui connait les membres du groupe depuis longtemps, s'est intégré facilement, et le bassiste Adam Biggs a embrassé pleinement le rôle de chanteur principal.
Brody Uttley a apporté les trois quarts du matériel, et Andy Thomas et les autres ont pu compléter le tableau. Il y a aussi du changement pour les interventions au saxophone, assurées par Patrick Corona, qui les suit en tournée depuis 2019.
Les morceaux avaient été maquettés en amont et Brody Uttley avait déjà mis en boîte ses parties de guitare chez lui. L'enregistrement avec
Carson Slovak et Grant McFarland s'est passé de manière ouverte, détendue et collaborative, et s'est terminé il y a près d'un an. C'est sur les vocaux que la spontanéité a le plus joué en studio. Si c'est Adam Biggs (basse, chant) qui a composé toute la partie vocale et les textes, parfois pendant que les autres mixaient les instruments dans la pièce à côté, les lignes de chant et les harmonies vocales sont partagées entre lui, Andy Thomas (guitare, chant) et Jared Klein (batterie, chant). Les textes reflètent avec un certain recul des thèmes autour de la vie, telle qu'elle a pu être bouleversée sous un angle personnel, humain, par les technologies et les évènements récents.
Ayant fortement apprécié l'EP "
Criminals", en retrouver deux titres sur ce nouvel album confirme la direction prise par le groupe... Celle de revenir à une écriture plus directe basée sur des riffs. "
Rivers of Nihil" est sorti le 30 mai 2025 sur
Metal Blade Records.
L'artwork de Dan Seagrave, à qui on doit de nombreuses pochettes les plus iconiques du death metal (
Entombed "Left
Hand Path",
Morbid Angel "
Altars of Madness",
Nocturnus "The Key"...), ainsi que les précédentes illustrations de
Rivers of Nihil, représente de manière frappante la dualité ombre/lumière qui règne sur ce disque.
Le son de l'album et son instrumentation sont constitués de deux couches, une très lourde avec une double grosse caisse proéminente, une basse très creusée, des riffs rythmiques heavy au possible, surmontés de growls - un peu en retrait, et d'un autre côté des chants clairs, harmonies à deux ou trois, choeurs et soli aériens, lumineux même. La noirceur sur la terre et la lumière dans le ciel en quelque sorte. Les deux titres déjà présents sur l'EP "
Criminals" témoignent de la montée en gamme, avec une batterie plus naturelle et une production encore plus lourde et puissante.
Les morceaux sont dans l'ensemble assez longs, dépassant les cinq ou six minutes à la pesée pour une bonne partie.
Sur la première moitié des cinquante minutes de l'album, c'est un death profond, que dis-je abyssal, avec une âme viciée, torturée, percée de quelques trouées de beauté et d'espérance. Une ambiance oppressante, à couper au couteau comme dans un film menaçant de basculer dans l'horreur, infuse les notes aiguës ("
Criminals"), et se complaît dans des dissonances malsaines, comme pouvaient le faire des groupes comme
Entombed,
Morbid Angel, ou plus récemment
The Faceless.
En matière de riffs, des chansons comme "Dustman" misent sur la simplicité et l'efficacité : un gros riff moteur qui drive vraiment tout le morceau et lui donne une unité. Le côté progressif se cantonne à certaines parties, et la mélodie est apportée par les choeurs aériens, où des refrains d'harmonies en voix claires. Le groupe a toujours intégré des dissonances, mais sur "
American Death", il pousse les curseurs avec un riff pur
Fear Factory, qui m'a fait plonger dans les crédits pour voir si Dino Cazeres n'y était pas caché.
Il y a une vraie progression sur tout l'album, avec la succession des ambiances qui racontent une histoire de ressentis mettant les nerfs à fleur de peau. La sérénité surprenante de "Water and Time" offre un répit au milieu de l'opus, où de belles plages de saxophone nostalgique et le solo de guitare mettent de l'emphase sur les mélodies. Cela se poursuit sur bien nommé "
House of Light", et on serait tenté de baisser la garde, croyant le danger derrière nous. La deuxième partie du disque est plus lumineuse, avec une présence plus marquée des interventions en chant clair et des choeurs ; la prestation d'Adam Biggs est impressionnante, et sa voix moins grave que celle de Jake dans le registre clair se marie parfaitement avec celle d'Andy et Jared.
Ce cinquième long format de
Rivers of Nihil est une franche réussite, en reserrant son écriture sur les fondamentaux formés par d'excellents riffs, et ouvrant son univers vocal comme jamais auparavant.
Assurément un des meilleurs albums du groupe, qui semble pourtant capable d'aller encore plus loin...
Quand j'ai écouté l'album, je me suis demandé si un moment c'était pas Black Crown Initiate que j'avais mis par inadvertence. La rassemblance est vraiment dingue comparée aux albums précédents. En tout cas, j'ai passé un bon moment.
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