Il aura fallu patienter cinq longues années avant que le combo hongrois ne revienne à la charge, suite à «
Deadborn Dreams », prometteur EP, une efficiente expérience de la scène metal locale et un radical changement de line up. Cette fois, de son escarcelle ressort un album full length de huit titres dispatchés sur un ruban auditif de plus de cinquante minutes, livrant un metal gothique aussi rayonnant techniquement que poignant par sa brumeuse et crépusculaire atmosphère. Dans un bain orchestral abyssal, où moult effets nous placent dans une ambiance insécurisante à l'image d'une remise en question de ce que nous sommes, on se situe à la croisée des chemins entre les univers de
Draconian,
Tristania et
Trail Of Tears. Le message de fond contenu dans les textes des paroles révèle ainsi le sentiment du combo relatif à la condition humaine tout en évoquant quelques facteurs de compréhension relatifs à notre présence sur Terre et à notre destinée. Aussi, avec à-propos, le caricatural schéma vocal de la belle et la bête, évoluant dans une atmosphère mystérieuse, parfois lunaire, sinon gorgonesque, s'en fait l'écho. Et ce, même si l'empreinte vocale masculine s'éclaircit par moments, à l'aune de passages plus tamisés ou romantiques.
Sur ce nouvel effort, aux manettes, on retrouve Dömötör Gyimesi (paroles, chant, guitare), désormais accompagné par János Mayer (compositions, paroles, claviers), Jenő Miklós
Godó (batterie), Gergő Drahota (basse) et Mária Molnár (chant clair). Pour l'occasion ont également été sollicités les talents de Péter Csontos (violoncelle sur « Presentiment (Part II)) et de Thomas Williams (narrateur sur « The Last Drop Falls » et « Presentiment »). De cette nouvelle collaboration en ressortent de fructueuses compositions eu égard aux arrangements distillés et aux portées esquissées. Le climat qui en découle nous glace le sang autant qu'il attire le pavillon, les instrumentistes n'ayant pas tari d'inspiration pour nous faire frissonner tout le long. La mise en œuvre repose sur une qualité d'enregistrement qui a gagné en maturité, autorisant une profondeur de champ acoustique inédite chez le combo. Quant au mixage, plutôt soigné, il tend à équilibrer les parties vocales et instrumentales entre elles. On embarque donc pour une traversée du désert sous bonne escorte, dont on ne sait où nous conduira au juste la caravane.
Plus qu'à ses débuts, le groupe nous attire dans un univers fantasmagorique peuplé d'étranges créatures, offrant un visage sinistre, un paysage de notes obscures mêlées à d'autres plus radieuses, pour un résultat saisissant d'emphase et de professionnalisme. Ainsi, un vent de poussière souffle dans la plaine décharnée sur «
Ethereal Eternity », bref instrumental où les esprits incarnés par les brouillards synthétiques nous immergent au point de n'y voir là qu'un champ de ruines avorté de toute existence. Le raccord avec son voisin de piste s'effectue selon un habile fondu enchaîné, donnant l'impression d'une seule et même pièce en deux actes. L'atmosphère de fond est respectée et évolue dans la même veine, tout en rendant le propos plus incisif. Ainsi, les éléments se déchaînent sur « Black Spiral », titre doom gothique où l'on est alors aspiré dans une infernale tourmente à l'aune d'une cinglante rythmique escortant des riffs corrosifs, sur un inaltérable up tempo. La belle et la bête évoluent de concert dans cette terre de désolation où la vie semble ne pas avoir repris ses droits. En outre, une lead guitare à la franche distorsion meurtrit le tympan pour un temps avant d'offrir un laconique mais habile solo, dans le sillage de
Draconian. Suite à un pont technique, les voix célestes d'une sécurisante féminité s'élèvent alors que perforent l'asphalte les serres oratoires graveleuses de son acolyte de grunter. Cette ambiance d'apocalypse est rendue d'autant plus vraisemblable que les arrangements ont témoigné d'un travail d'orfèvre sur les effets, jusqu'aux plus petits détails. Dans cette mouvance, un dernier acte répond présent. Angoissant climat qui nous attend également sur « The Last Drop Falls », piste dark gothique où la caverneuse créature exulte, animée par une incommensurable ferveur qu'elle communique par ses growls rocailleux. Mais, la belle, par ses claires inflexions, ne tarde pas à se faire ouïr, semblant perdue au beau milieu d'un espace sonore magmatique, où les riffs lacèrent et où la rythmique n'a de cesse de marteler la grève, conjointement à une frappe percussive d'une régularité pendulaire. L'embrasement orchestral feule et progresse au rythme du déploiement des flammes de l'enfer auquel l'homme semble être voué. Notre destin paraît alors scellé...
Le combo a aussi joué sur les contrastes vocaux et atmosphériques pour tenter de nous rallier à sa cause, pour un rendu aussi probant que palpitant. Ainsi, on plonge dans les entrailles de la Terre pour déceler les soubassements de «
Memento Mori », pièce doom gothique un poil dark vivifiante, voire volcanique, parfois ténébreuse, sinon diabolique, disséminant ses laves growleuses dans chaque recoin de la scène. Soudain, un inquiétant serpent synthétique nous fait front, ondulant à nous enivrer jusqu'à l'apoplexie. Un break opportun vient alors calmer le jeu, au rythme réfréné d'un piano langoureux, avant qu'une reprise en voix masculine claire ne s'insinue sur un tracé mélodique plus invitant. Dans cette mouvance, le convoi orchestral reprend alors progressivement du service, le rampant reptile organique en tête, pour finir crescendo. De son côté, l'entraînant et intrigant « Presentiment » est une fresque atmosphérique gothique à la pointe dark, dans la lignée de
Trail Of Tears, où les légères impulsions de la déesse enjolivent l'espace dévolu aux couplets, plutôt finement ciselés. Le convoi orchestral se meut alors lentement, puis marque une franche accélération sous la houlette de riffs corrosifs, d'une section rythmique acerbe et du grunter, plus martial que jamais. L'ambiance devient tumultueuse, et même oppressante, et le message, paradoxalement insaisissable. Par contraste, la pression retombe d'un coup, un break s'inscrivant en creux dans un espace de dunes immaculé, où la belle, de son délicat timbre, confère une pointe de charme à l'ensemble. Rejointe par une voix masculine claire, le duo évolue alors sur des chemins de traverses de moins en moins sécurisants, pour plonger définitivement en eaux troubles, main dans la main. Enfin, des grunts tranchant dans le vif nous fouettent prestement sur « False Sense of Confidence », énergique titre gothique non sans rappeler
Tristania dans la succession d'accords dispensés. Pour conjurer le sort qui nous attend, la douce reprend le flambeau pour ne pas que les riffs effilés n'incisent trop profondément l'épiderme de nos pavillons meurtris. Quelques émoustillantes ondulations synthétiques s'imposent parallèlement à l'évolution du couple de vocalistes, convolant alors sur de sculpturales variations d'obédience jazz metal. Par contraste, un break s'intercale pour laisser s'exprimer la lead guitare sur quelques arpèges finement posés, et ce, avant de laisser percevoir une lueur mélodique dévolue au recueil de nos âmes en mal d'espaces solaires. C'est sur un tempo dès lors ralenti que des voix claires se conjuguent, des choeurs assistant le duo pour une clôture à l'unisson.
Le collectif n'a pas omis quelques moments plus intimistes, ayant su esquisser ses mots bleus de façon originale et différenciée. Ainsi, une douce mélodie nous parvient de « Presentiment (Part II) », ballade a-rythmique joliment interprétée par Maria en voix de tête. Enchanteresse, elle l'est par l'alliance d'empreintes vocales claires en duo mixte que rejoint un romantique et infiltrant violoncelle, lui-même sous-tendu par des nappes synthétiques éminemment apaisantes. Sans oublier un solo de guitare sensible jusqu'au bout des ongles. Enfin, un soyeux tapis synthétique nous immerge dans une atmosphère planante fleurant bon l'harmonie des éléments et nous attire irrémédiablement sur « It's Ubiquitous ». Fresque atmosphérique gothique prenant le visage d'une céleste ballade tout droit sortie du monde onirique, cette onctueuse plage nous élève loin des contingences matérielles, pour un voyage en totale lévitation. Se jouant de la force gravitationnelle, ce titre caressera immanquablement le tympan. Pour ce faire, le duo mixte en voix claires, pourtant relativement monocorde, a su trouver les clés pour que l'attention reste de mise de bout en bout de la grassouillette piste. Si la rythmique ne décolle pas vraiment, la précision et les rayonnantes sinuosités du tracé mélodique sauront compenser cette relative carence. On appréciera le dégradé de l'intensité acoustique en bout de pièce.
On ressort de l'écoute de la rondelle interpelé par une substantielle évolution du projet au regard de la qualité de la production, d'un souci permanent accolé aux finitions et aux enchaînements inter-pistes. On observe un propos ayant gagné en maturité de composition et davantage de caractère tant dans le jeu d'écriture qu'au vu de sa restitution, pour un spectacle circonstancié et sous haute tension. Cette offrande nécessitera néanmoins quelques écoutes attentives avant d'en percevoir toutes les subtilités et véritablement entrer en communion avec le message musical octroyé. Diversifié, contrasté, complexe, original, le skeud pourra convenir à un auditorat sensibilisé à un metal gothique à chant féminin empreint d'une touche dark ou doom. Un univers aussi ensorcelant qu'étrange qui laissera quelques traces à quiconque aura pu découvrir ce potentiel et goûter à ces vibes d'un autre monde...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire