Réputé pour se laisser le temps nécessaire à la pleine maturité de ses compositions avant de se lancer dans l'arène, le combo biélorusse initialisé en 2015 par la parolière et frontwoman Belle Morte n'aura pas dérogé à la règle, une fois encore. Ainsi, après la sortie d'un encourageant EP, «
Game On », en 2018, auquel succédera un premier et poignant album full length, «
Crime of Passion », en 2021, le collectif est-européen concoctera la bagatelle de sept singles entre 2022 et 2024, qui, tous, feront partie intégrante de son second et présent opus de longue durée, «
Pearl Hunting », signé, lui, chez le puissant label italien WormHoleDeath en janvier 2025. Ce faisant, les 12 pistes de ce frais arrivage disposeraient-elles de l'arsenal requis pour espérer voir le collectif générer une sérieuse opposition face à ses homologues stylistiques, toujours plus nombreux à affluer ?
Plus encore, les quelque 58 minutes du ruban auditif de la rondelle lui offriraient-elles enfin l'opportunité de se hisser parmi les valeurs montantes de son espace metal d'affiliation ?
Dans ce projet, l'équipage de la dernière traversée a subi quelques remaniements. Auprès de Belle Morte, évoluent dorénavant : le guitariste/bassiste/vocaliste/arrangeur/mixeur Sergey Butovsky (
Ivory), Ilya Rogovoy et Ilya Petrashkevich aux guitares, Maria Shumanskaya aux claviers et au violon, et Rostislav Golubnichiy à la batterie. De cette étroite collaboration émane un propos rock'n'metal mélodico-symphonique gothique, atmosphérique et folk, dont le concept est né il y a 5 ans déjà, eu égard à l'actuelle et éclectique orientation stylistique et à un souhait communément partagé de travailler à distance avec des musiciens et/ou vocalistes sélectionnés dans le monde entier. Indice révélateur d'une sérieuse envie d'en découdre de la part de nos belligérants !
Afin d'enrichir son second élan de sonorités symphonique folk plus marquées aujourd'hui qu'hier – nordiques et celtiques pour l'essentiel –, le sextet a sollicité pas moins de 18 artistes aguerris en la matière et moult instruments traditionnels ; un riche parterre instrumental que nous détaillerons au fil de l'analyse. Une distribution de choix, s'il en est, qui a pour corolaire une large palette thématique (amour, désir, luttes personnelles, histoires de vampires et autres créatures du folklore japonais) et une production d'ensemble de bonne facture, signée Sergey Butovsky, à commencer par une qualité d'enregistrement difficile à prendre en défaut. Il semble que l'on soit désormais entré dans une tout autre dimension...
A l'instar du précédent effort, c'est à la lumière des plus magmatiques de ses passages que le groupe trouve les arguments les plus aptes à nous retenir plus que de raison. Ce qu'atteste, en première intention, « Blame Me », mid/up tempo chaloupé aux consonances caucasiennes, instillées par le magnétique et virevoltant duduk (hautbois de perce cylindrique) de Lernik Khachatrian (guest chez
Thy Catafalque) ; disséminant d'insoupçonnées montées en régime du corps orchestral sans pour autant y perdre de son rayonnement mélodique et ''sensualisé'' par les fluides ondulations de la déesse, l'enjoué élan poussera assurément à une remise en selle sitôt l'ultime mesure envolée. On ne saurait davantage ignorer le pimpant « Losing
Faith », tant pour sa jovialité aisément communicative et son flamboyant solo de guitare que pour les grisantes tribulations d'une troublante flûte de pan et les insertions d'un sulfureux ocarina et de la magnétique quena (flûte sud-américaine émanant du métissage entre les instruments en bois typiquement andins et occidentaux), signés Carlos Carty (guest chez
Antti Martikainen et Ninémia). On s'orientera, enfin, vers le pulsionnel et orientalisant «
September » au regard de son entêtant refrain encensé par les fluides patines d'une interprète bien habitée, de la soudaineté de ses accélérations et du fin toucher de Rúben Monteiro aussi bien à l'oud (instrument à cordes pincées à corps arrondi et à manche court, répandu dans les pays arabes, en Turquie et en Grèce, notamment) qu'au saz (luth à manche long, que l'on trouve dans le Caucase, en Iran, en Irak, en Crimée, entre autres).
Se plaisant parfois à varier ses phases rythmiques et vocales à l'envi, la troupe parvient là encore à nous aspirer dans la tourmente sans avoir à forcer le trait. Ce que prouve, d'une part, le polyrythmique et japonisant « Jorōgumo » ; mêlant habilement chant clair et growls, octroyant un refrain catchy et moult coups de théâtre, le complexe manifeste se voit parallèlement enrichi de sonorités nipponnes exhalant corrélativement des entrailles de l'intrigant koto (instrument à cordes pincées usité en musique japonaise traditionnelle) de Hisashi, du délicat shamisen (luth à long manche à la touche lisse utilisé en musique japonaise) de Reigen Fujii et du shakuhachi (flûte droite japonaise d'origine chinoise à tenue verticale) de Souzan Kato. Et la sauce prend sans tarder, une fois encore. On ne saurait davantage esquiver le frissonnant «
Krew » sans éprouver de tenaces regrets. Aussi effeuille-t-on un enivrant mid tempo estampé metal symphonico-progressif et folk, corroboré d'un martelant tapping, où s'exprime un trio mixte en parfaite symbiose, unissant les claires impulsions de l'interprète patentée, les fluides volutes comme les screams coupants d' Ada Rusinkiewicz et les limpides ondulations du parolier ukrainien Alex Pilkevych ; et ce ne sont ni l'ensorcelante bandoura (instrument traditionnel à cordes pincées d'origine ukrainienne, de la famille des cithares) de Yaroslav Dzhus (guest chez Verimiy) ni l'éblouissant solo de guitare qui démentiront l'agréable sentiment de se trouver aux prises avec l'une des pépites de la galette.
Un poil moins vitaminés, d'autres plages pourront non moins nous happer d'un battement d'ailes. Ce à quoi nous sensibilise, tout d'abord, «
Fallen Idol », entraînant et ''eluveitien'' mid tempo symphonique folk aux riffs crochetés, livrant une mélodicité toute de fines nuances cousue où se cale un duo mixte en parfaite osmose, les cristallines inflexions de la belle donnant le change aux claires impulsions de Sergey ; et ce ne sont ni le fringant solo de guitare ni le libertaire jouhikko (instrument de la famille des lyres à archet) de Tero Kalliomäki (Kallomäki,
Saattue,
Embassy Of Silence...) qui ne débouteront davantage de ce hit en puissance, loin s'en faut. On ne saurait davantage éluder «
Exorcism », orientalisant mid tempo syncopé aux riffs acérés ; eu égard à l'infiltrant cheminement d'harmoniques qu'il nous invite à suivre, qu'empruntent les limpides oscillations de la sirène, et aux énigmatique sonorités jaillissant des entrailles d'un inattendu morin khuur (instrument à cordes à archet mongol), signé Ulziisaikhan Khoroldamba, ce prégnant méfait semblant émaner du fin fond des âges ne se quittera qu'à regret. Et comment ne pas se sentir happé par la grâce comme par les soubresauts inattendus de «
Willow » ? Mis en habits de lumière par les sensuelles modulations de la princesse et instillé du luth évanescent d' Emma Spinelli doublé de la charmeuse vielle à roue (hurdy-gurdy) de Rúben Monteiro (
Alluminia, guest chez
Antti Martikainen et Curta'n Wall), ce chavirant low/mid tempo se jouera également de toute tentative de résistance à son assimilation.
Lorsqu'ils nous mènent en de plus apaisants espaces, nos acolytes en profitent pour nous adresser leurs mots bleus les plus sensibles, non sans générer la petite larme au coin de l'oeil de celui qui y aura plongé le tympan. Ce qu'illustre, en premier lieu, «
Pearl Hunting », brève mais poignante ballade folk d'une confondante fluidité mélodique, où les angéliques inflexions de la soprano se voient adjointes de la douce empreinte d' Ada Rusinkiewicz, ici en qualité de choriste. Unifiant parallèlement l'enivrant bouzouki celtique de Max Kerner (MKG,
Kings And Beggars, guest chez Curta'n Wall...), la romantique lyre germanique de Caterina Castiglioni (Barad Guldur) ainsi que l'ensorcelante duda (cornemuse biélorusse) et la gracile sopilka (flûte ukrainienne) de Yanina Yakshevich, cette troublante aubade à mi-chemin entre Clannad, Loreena McKennit et
Elane comblera à n'en pas douter l'aficionado de moments intimistes. Dans cette mouvance, investie de sonorités orientalisantes générées par un sensible suling (flûte droite indonésienne en bambou) et un envoûtant gamelan (ensemble instrumental traditionnel indonésien composé de percussions en bronze ou en fer et de tambours), signés Maulana Malik Ibrahim, associés à l'énigmatique empreinte vocale en langue soundanaise de ce dernier, la caressante ballade folk «
Black Waters » pourra, à son tour, happer le pavillon du chaland.
Dans une même logique, difficile également de ne pas se sentir porté par les vibes enchanteresses insufflées par «
Wintersleep », chatoyante ballade folk rock, dans le sillage de Loreena McKennit ; enjoué et des plus immersifs, le caressant mouvement conjugue habilement les chaudes larmes du violon de Maria Shumanskaya, les enveloppantes ondulations de la cornemuse irlandaise (uilleann pipes) comme du tin whistle (flûte droite à six trous, le plus souvent en métal) et du low whistle (flûte d'une taille plus grande et d'un registre plus grave que le tin whistle) émanant du souffle éolien d' Ella Zlotos (Ephemeral, membre live de
Saor, guest chez Belore...), et le fin doigté de Marta Masciola à une réplique de la harpe du Trinity College (instrument de musique à cordes médiéval datant du XIVe ou XVe siècle, exposé au Trinity College de Dublin (également appelé harpe de Brian Boru)). Enfin, comme pour boucler la boucle, et d'une bien belle manière, une version satinée de «
Exorcism » sous forme d'un frémissant piano/voix vient refermer la marche.
En définitive, le sextet biélorusse nous convie à une œuvre racée, tout en profondeur et pétrie d'élégance, se savourant à chaque fois davantage au fil des écoutes. On l'aura compris, le set de compositions dispensé fait la part belle à la colorature folk, se calant dès lors davantage dans l'ombre de Clannad,
Eluveitie,
Elane,
Lyriel et de Loreena Mc Kennitt que dans celle de
Nightwish,
Epica,
Xandria,
Theatre Of Tragedy ou
Imperia. Une évolution stylistique plus qu'un réel changement de cap, in fine, synonyme d'une réelle prise de risque, au demeurant parfaitement assumée car mûrement réfléchie, et qui sied bien à nos acolytes.
Cela étant, un propos richement doté en sémillants harmoniques, pourvu de mélodies finement sculptées et des plus efficaces, renvoyant chacune à la féconde inspiration de leurs auteurs, recelant une technique instrumentale et vocale affermie doublée d'une ingénierie du son rutilante s'offre à nous. De louables qualités qui, cependant, se voient contrariées par l'absence d'une quelconque fresque symphonico-progressive et de pièces instrumentales, exercices de style pourtant souvent espérés par le féru de symphonique folk. Etat de fait qui ne saurait empêcher la troupe biélorusse de se hisser dès lors parmi les valeurs montantes de ce registre metal. Bref, un groupe à suivre de près, de très près...
Note : 16,5/20
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