Deux ans déjà que j’ai découvert l’univers unique et ô combien fantastique de
Emilie Autumn (je ne peux parler de cette fille sans insérer une kyrielle d’adjectifs laudatifs dans chaque phrase, mais j’essaierai de rester aussi objectif qu’il m’est possible dans cette chronique). Deux ans déjà que je me demande pourquoi elle reste si méconnue. Deux ans que je tente la plupart du temps en vain de la faire connaître, l’excentricité du personnage jouant certainement contre lui car le mot est faible. Deux ans déjà qu’elle continue pourtant invariablement à me surprendre, chaque fois que l’envie me prend de replonger dans une de ses œuvres. J’espère sincèrement que cette chronique permettra enfin de réveiller quelques paires d’oreilles en mal d’originalité et de belle musique, résolument gothique.
Le premier contact fut bref et distant mais je ne mis pas longtemps à me laisser emporter par la magie d’
Enchant, bien que le style inclassable et inimitable de cet album soit très éloigné des références musicales qui flattent généralement mes exigeantes esgourdes (
Nightwish,
Black Stone Cherry,
Airbourne)… La chanteuse nous embarque plus ou moins malgré nous dans une majestueuse rêverie, féérique, envoûtante, ensorcelante, reposante sans toutefois manquer de rythme, dont on se réveille coi, abasourdi, ébloui (et pourtant j’essaie…). La beauté de sa voix, dont on perçoit déjà la puissance, sublime les magnifiques solos de violon et les notes discrètes de piano (écoutez en priorité "Chambermaid", "
Rose Red" et "
Castle Down").
Or, malgré l’unité et la beauté de ce véritable premier opus, Emilie tranche définitivement le cordon qui le reliait à elle, basculant brutalement, sans que rien ne le laisse vraiment présager dans
Enchant, du côté obscur de la force. Fini l’ambiance céleste, nimbée de brume et de douceur, "Opheliac" nous ouvre les portes d’un monde tinté de noirceur et de moiteur, un royaume sur le point de s’effondrer, sombrant sous le poids de ses antiques péchés, rongé par le souvenir des horreurs qu’il a traversé. Si
Enchant était l’écho d’un paradis perdu, "Opheliac" est sans nul doute celui d’un enfer dans lequel notre âme se plaît pourtant à errer, et ce en compagnie du fantôme de la chanteuse qui nous entraîne cette fois dans une danse macabre dont la mélopée plaintive est entrecoupée des cris de rage désespérés qui nous balance cette fois sans coup férir toute l’étendue de son talent : du plus grave au plus aigu, du murmure craintif au cri machiavélique, et même lorsqu’elle semble dérailler complètement, notamment dans les morceaux où elle est soudain prise d’une « crise d’hystérie vocale » ("
Liar", "
God Help Me", "I Know Where You
Sleep"), sa voix couvre les octaves avec une justesse et une maîtrise sans faille.
Malgré le choc dû au changement radical de style depuis
Enchant, l’auditeur attentif n’est cependant pas forcément dérouté par cette magnifique oblation au Diable, car il y retrouve le sceau inimitable d’Emilie, qui semble avoir laissé, dans chacune de ses chansons, un petit morceau d’elle même, comme pour soulager son âme torturée. Pourtant, tout le monde ne pourra pas apprécier ce second opus pour ce qu’il est ; nombreux sont ceux qui n’en retiendront que la violence, la noirceur, la bizarrerie apparente. Bien sûr, ce cocktail peut plaire pour lui-même, mais la musique d’Emilie ne saurait se résumer à ce vulgaire triptique : elle noue avec ceux qui l’écoute un véritable lien auteur-auditeur et nous fait plonger au plus profond de la complexité de l’âme humaine. C’est le retour de la musique-création, loin de toutes les influences néfastes de l’argent ou de certaines maisons de disques. Un petit reproche tout de même pour finir (je m’auto-flagelle en disant cela tant j’apprécie cette fille !!), il faut avouer que le second cd est un ton en dessous du premier, poèmes et bonus n’apportant pas grand-chose à mon sens…
"Opheliac" reste cependant un chef-d’œuvre comme on en entend rarement, dont la beauté torturée et énigmatique surprendra plus d’un adepte de ce qu’étaient les mélodies féériques d’
Enchant mais ne peut en aucun cas laisser indifférent. Une page se tourne à présent. Emilie a réussi à nous transformer en adorateurs des ténèbres ; Dieu seul sait de quoi son prochain album sera fait, à moins que cela ne dépasse aussi son imagination…
Si Bojart a tant apprécié, je veux bien redonner sa chance à Emilie...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire