Il y a trois façons d'écouter de l'orgue : aller à la messe du dimanche dans une cathédrale digne de ce nom, voir un film d'épouvante des années 70, ou écouter un album de
Vigilante.
Ce One Man Band originaire de Bourg-en-Bresse est le projet de Vincent Dromard, alias Dr. V, qui l'a fondé en 2009, et se distingue par un mélange de black, d'industriel, et d'orgue. Loin d'être un ornement ou un gadget, c'est autour de ce son d'instrument liturgique dévoyé de sa fonction première que Dr. V compose tous ses morceaux, leur conférant une dimension franchement occulte.
Trois albums sont déjà sortis : "
Warning" en 2011, "Licence to Killin" en 2017, et "
Zero Summons" en 2017, sur lesquels il a approfondi un style reconnaissable des les premières secondes. Si les sorties physiques se font en nombre limité, elles sont chiadées, et le Dr. V gâte par avance ceux qui voudraient adhérer à son culte, et pousse ses concepts en musique, en images et en vidéos pour les immerger dans son univers. Ainsi, le packaging de "
Opacities" opte pour un format DVD, avec le CD de l'album, et un morceau bonus en huit parties sur un second CD, et une plaquette soignée.
Comme ses albums précédents, tout est enregistré en analogique, sans ordinateur, des instruments classiques comme la basse, la guitare, l'orgue bien sûr que la boite à rythmes, et les synthés. Dr.V a enregistré, mixé et produit son quatrième LP au SPA studio à Bourg-en-Bresse .
"
Opacities" sort donc le 18 mars 2022, sur Detergent Records, avec un artwork énigmatique autour d'une pièce d'échecs : Le Fou. Car le thème de l'opus est la folie, ou les folies, celle qui peut s'emparer d'un cerveau, comme celle qui peut déshumaniser par la technologie.
Un orgue funéraire égrène des mélodies d'hôpital psychiatrique, des riffs zinzins qui utilisent la répétition à outrance pour forer un trou dans votre cerveau, puis ouvrir d'autres horizons alors qu'on croyait la boucle infinie ("Not
Human", où on trouve un thème lumineux, joué au hautbois par sa fille
Heidi). Je dois avouer que la musique de
Vigilante a un pouvoir hypnotique assez bluffant, et quand on se plonge dedans, il est difficile d'en sortir.
Si Dr.V se montre inspiré par, pèle mêle,
The Dead Kennedys, Jean Michel Jarre, The Dum Dum Girls ou ces derniers temps par le black glacial de Verglas Sanglant ou de Neige et Noirceur, son chant me ferait plus penser à Al Jourgensen qu'à un quelconque hurleur aux yeux de panda, et l'usage de samples (souvent tirés de films) à des moments stratégiques peut rapprocher
Vigilante du
Ministry le plus violent et le plus tordu.
Les patterns de la boîte à rythme peuvent être proprement aplatissants en terme de rapidité, tordus en mode indus, ou même groovy ("Used Condom Park"). Les samples sont flippants à souhait, comme ce chuintement industriel au début de "Vermindevourer", qui laisse place à des riffs de guitare faussement guillerets par la suite. Avec une instrumentation aussi bizarre,
Vigilante se retrouve même pas très loin des délires d'un
Mr Bungle (le jouissif bordel de "Death Tempo at Bleach Cafe").
Il n'y a quasiment pas de répit et les idées frappantes se succèdent en donnant le tournis, les rares pauses étant fournies par des samples dérangeants, et la lecture des titres de morceaux chtarbés. Etonnement, alors que je m'attendais à en avoir marre d'écouter des orgies de touches grinçantes, l'usage qui est fait ici de ces sons est troublant, et… j'en redemande.
Ça tombe bien, la claustrophobie qu'on peut ressentir de manière oppressante sur les huit pistes de cet album se prolonge pour les heureux détenteurs des versions CD et vinyle, avec un morceau bonus de presque quarante minutes justement nommé "Post Scriptum", instrumental en huit parties complètement déjanté, comme le sont les deuxièmes moitiés de films de David
Lynch (celles où tout semble chamboulé sans dessus dessous et vaguement cauchemardesque), ou encore les expérimentations de
The Caretaker. La folie et de la dégénérescence de l'âme sont donc bien des sujets d'étude du Dr. V, dont il a recueilli pour l'illustrer des bribes sonores dans un établissement psychiatrique.
On pourrait objecter que
Vigilante reste ancré dans ses habitudes et propose sa recette spéciale avec les mêmes ingrédients. Cependant il est indéniable que celle-ci s'enrichit au fil des années.
La façon dont les mélodies amenées par l'orgue et les guitares changent les ambiances est plus subtile que par le passé, s'affranchissant des barrières stylistiques : le pendant black par exemple n'est plus identifiable de manière ostentatoire, mais infuse toute la musique. La seule critique que je formulerais concernerait le son, certes de bonne qualité où tous les instruments sont discernables, mais avec un son de guitare plus travaillé et net, et une basse plus profonde, la musique de
Vigilante prendrait à mon humble avis une autre dimension.
Vu de loin, on pourrait facilement passer à coté de
Vigilante en le limitant à un carambolage de folklores, black, indus et liturgie. Dès qu'on se plonge dedans, le bombardement de sensations opposées provoque une fascination certaine. La première fois que j'ai entendu parler de
Ghost, son imagerie et ses masques, ce que j'imaginais avant de l'écouter ressemblait à un truc comme
Vigilante.
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