La destruction de l’âme par le média ; corruption intellectuelle par le visuel ; anéantissement de la pensée individuelle par le parti…la société nous ronge chaque jour un peu plus de notre libre arbitre et de notre propension à penser indépendamment et NON sous le joug d’une idéologie à laquelle on se dit adhérer pour cacher un manque d’autonomie cérébral.
Cette capacité volontaire à autodétruire son propre inconscient personnel…cette peur abstraite de la solitude, de la différence…cette volonté âpre de repousser l’unicité pour se confondre dans une masse béante et rassurante, se cacher dans une uniformité bienfaisante et tranquille.
Tout ceci est notre monde…tout ceci fit l’objet d’un concept répondant au doux patronyme de "NON".
Quel univers musical plus approprié qu’une masse informe évoluant entre death, indus, black et electro des plus noirs et bruitistes, profondément minimaliste et se galvanisant du plus violent de ces différents mondes ?
The Amenta donna vie à ce monstre sonore ignoble et expérimental, que personne n’attendait et qui choque autant qu’il déstabilise les aprioris…et si tout n’avait pas été déjà créé ?
Présentant un concept infiniment nihiliste et anarchiste,
The Amenta se divulge sous la forme d’un terrorisme intellectuel symbolisé en premier lieu par un artwork mettant en scène des terroristes ayant pris en otages des écrans de télévisions fantomatiques. Chimériques à l’instar des musiciens, dont les noms ne seront pas mentionnés dans un livret minimaliste aux couleurs à la froideur exultée d’un Matrix désormais culte.
Minimaliste mais dans le même temps d’une complexité rare,
The Amenta abreuve l’auditeur d’une musique sale et glauque, où quelques références de
Strapping Young Lad,
Ministry ou
Fear Factory pourront remonter légèrement aux oreilles de l’auditeur sans pour autant les agresser. Car ce que l’on entend sur une composition comme "
Slave", et son introduction ignoble "
Entropy" (capharnaüm sonore, bruitiste et malsain, fait de diverses sonorités industriels et évoquant le
Nine Inch Nails à ses heures les plus torturées, entre percussions électroniques et vocaux déchirés de haine), c’est une haine pure, viscérale ; couplée à une sensation de peur s’emparant de nous. Un blast supersonique, très synthétique, tranchant, littéralement acéré même, nous accueille avec des vocaux lointains, susurrés, passés dans un vocodeur afin de leur offrir une connotation plus inhumaine que jamais.
Nergal, méconnaissable, intervient dans cet uppercut sombre et presque épique, brutal mais parfois atmosphérique, comme s’il n’agissait déjà plus mais se résignait à observer ce troupeau grouillant et déjà perdu.
Là où "
Whore" et "Junky" exploiteront des atmosphères plus directes et simplistes, "Spine" par exemple affole par sa complexité technique et cette sensation oppressante de schizophrénie, marqué par des pauses souvent minimes, des accélérations de quelques secondes, des hurlements plus marqués dans une ligne vocale déjà particulièrement ignoble et dégueulasse. Le chant, n’ayant ici plus rien d’humain, devient métaphore d’une détresse humaine et d’une haine envers ce que l’humanité a fait de sa race. Il n’y a plus qu’ici que déclamation de nihilisme et de violence, sans sommation et sans retenu, à l’instar d’un être omniscient vomissant sa haine sur un monde répugnant.
"
Skin", quand à elle, marque une pause dans l’évolution narrative de l’album. Les guitares disparaissent, une voix féminine déclame une narration prenant la forme d’un constat de fin du monde, d’un couperêt définitivement tombé, sous un fond musical entre ambiant et industriel pur, comme si les expérimentations de
The End rencontraient la terreur mélancolique d’Aphex Twin.
Tout ceci introduit un "Dirt" déjà différent…plus lent, encore plus sombre et apocalyptique. Les blasts rapides et les riffs death disparaissent au profit d’une atmosphère chargé de mort et de puanteur, d’éléments indus étouffants et glauques. Le pont, particulièrement violent, met en scène une batterie jouant seule avec les samples, avant qu’un bloc monolithique de riffs meurtriers et suffocants ne viennent assaillir l’auditeur de toutes parts.
"
Atrophy", dans la ligne logique d’"
Entropy", froide et chaotique, intermède bruitiste, prépare magnifiquement un "Rape" à la violence inouïe, particulièrement dans le fond (plus que la forme), une violence sourde et complètement anarchique, à l’instar d’une bombe explosant littéralement dans notre crane à la manière d’un
Red Harvest. Une rapidité d’exécution impressionnante accompagne des vocaux hurlés comme jamais, des riffs brutaux et secs mais surtout des arrangements plus massifs et imposants encore que précédemment, enveloppant complètement l’auditeur, le plongeant dans un chaos total, tout comme ces blasts intenses surgissant de nulle part au milieu de hurlements sourds. Puis le silence…quelques instants…avant le spectacle…ce paysage détruit, maudit, malade et rongé dorénavant mort, qui n’aura plus à ramper pour survivre. La seconde partie de cette composition de sept minutes se veut contemplative, narrative et NON plus active…comme si après cette débauche de brutalité, il n’y avait plus rien à dire…si ce n’est contempler l’étendue des dégâts…nos propres dégâts…une force d’évocation presque atmosphérique que n’aurait pas renié
Devin Townsend dans le
Strapping Young Lad éponyme, tout aussi bordélique que "NON".
The Amenta n’est pas un messie…mais son art déploie des émotions si intenses, d’une manière si originale qu’il bouleverse les règles établies dans une scène extrême probablement tout aussi sclérosée actuellement que la société critiquée. Les australiens choquent et osent, et, loin de se cacher derrière des visages ou des noms, préfèrent l’aNONymat au profit de l’unique art musical. Les musiciens ne sont plus, ils deviennent parties intégrantes d’une élaboration musicale complexe et avant-gardiste, la chair même du projet…se nourrissant de la pourriture du monde pour donner vie à la magnificence pourriture de notre société…miroir et reflet de notre propre existence.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire