La scène metal symphonique argentine inspirée par
Nightwish et consorts, depuis deux décennies déjà, n'a de cesse de voir affluer de talentueuses formations, encore peu popularisées hors de leur terre natale. Et ce, à l'instar d'
Abrasantia,
Boudika,
Cinnamun Beloved,
Daemon Lost,
Escapist ou encore
Lumine Criptica. A son tour, Utopica entend faire partie des valeurs montantes de ce concurrentiel registre metal, sur un plan local d'abord, à l'échelle internationale ensuite. Dans ce dessein, 4 ans après sa création, le quintet originaire de
Buenos Aires réalise un plantureux album introductif « Memorias de Ficcion », auto-production de 12 titres égrainés sur un ruban auditif de pas moins de 62 minutes. C'est dire que le combo s'est laissé le temps nécessaire au peaufinage de ses arrangements et surtout de son ingénierie du son, dispensant notamment un mixage visant au juste équilibre entre instrumentation et lignes de chant. Une mise en relief qui nous pousse à l'effeuillage du méfait...
Cofondé en
2012 par José Rodríguez (batterie), Walter Pallares (basse), Emmanuel Costilla (guitare et chant) et Karina Conicelli (frontwoman au timbre chatoyant), le groupe intronisa Pablo Pallares (claviers) un an plus tard. Ainsi constitué, le combo nous livre un set de compositions souvent magmatiques, techniquement efficientes, plutôt mélodieuses, aux accords peu convenus, parfois romantiques, avec une touche latina en substance, et dont les paroles, écrites pour l'essentiel en espagnol, s'en font l'écho. Ce faisant, nos acolytes évoluent dans un metal symphonique gothique à la fois sémillant et pénétrant, inspiré par
Nightwish,
Xandria,
Stream Of Passion,
Amberian Dawn,
Rhapsody et
After Forever, entre autres.
Ce sont les passages proprement metal symphonique qui auraient la capacité d'éveiller le plus largement d'authentiques plaisirs. Cinématique et brève entame instrumentale d'inspiration nightwishienne où souffle un vent inquiétant, « Hacia la
Utopia », par un fondu enchaîné, nous conduit dans les entrelacs du vibrant mid tempo « Los Olvidados ». Propos qui, comme le frondeur « Le Era Dorada », sait prestement capter l'attention. Et ce, tant par leurs riffs ébouriffants que par les claires et puissantes impulsions de la sirène, mais aussi par leurs insoupçonnées gradations, leurs délicats arpèges au piano et d'éblouissants soli de guitare dans la veine de
Dream Theater. Dans cette salve, on ne saurait oublier ni le tubesque et néanmoins complexe « Tiempo de Paz » pour ses soudaines accélérations comme ses délectables harmoniques dans la lignée de
Rhapsody ni l'avenant et contrasté «
The Forgotten Ones » aux refrains ''delainiens''.
Soucieux de diversifier leurs atmosphères, et non sans témoigner d'inspiration, nos compères parviennent ainsi à nous rallier à leur cause sur l'une des deux pistes, moins sur l'autre. Ainsi, le frétillant et un tantinet énigmatique « Miles de Anos », dans la lignée d'
Abrasantia, se dote de modulations latinas et de complexes variations, sans pour autant perdre de vue l'agréable ligne mélodique dispensée. On appréciera l'enchaînement sur de touchantes gammes livrées par le maître instrument à touches, celui-ci fermant la marche pianissimo. Variant ses ambiances à l'envi, le combo nous projette en d'orientalisantes contrées, dans la veine de
Xandria (première période), à l'aune du mid tempo « Pensar el Destino » ; titre aux riffs vrombissants empli de mystères et où ondulent les patines de la belle. On aurait toutefois espéré davantage de modularités mélodiques, notamment sur le refrain, et moins de passages technicistes pour pouvoir emporter l'adhésion.
Lorsqu'il ralentit la cadence, le collectif argentin réserve quelques pépites, nous livrant ainsi des mots bleus que ses homologues pourraient lui envier. D'une part, « Démeter (Cuando el Dia Se Esconde) », aérienne et émouvante ballade progressive dans le sillage de
Xandria (première mouture), de par sa mélodie catchy, ses arrangements nightwishiens et le cristallin grain de voix de la déesse, saura gagner le cœur des amateurs du genre. Et comment rester de marbre face aux caressantes volutes de la maîtresse de cérémonie sur le frissonnant « Elementales », ballade a-rythmique propice à la zénitude profonde ? A fleur de peau et muni de fines nuances de tonalité, sans crier gare, l'intimiste moment où s'observe un subtil picking à la guitare acoustique est apte à nous retenir plus que de raison. Enfin, sur un soyeux piano/voix, le troublant et câlinant « Siempre » nous embarque également dans de célestes espaces sur fond de riffs émoussés et de choeurs opportuns. Et la petite larme perle sur la joue, une fois de plus...
Cependant, malgré tant de qualités, la troupe accuse aussi quelques relatives baisses de régime. Ainsi, se posant comme la fresque symphonico-progressive de l'opus, à mi-chemin entre
Dream Theater,
Stratovarius et
Therion, « Cronologia Infinita » en fait partie. Sur ses 10 minutes d'un spectacle épique, un tantinet rageur, le pléthorique effort nous secoue souvent par ses soudaines montées en puissance. Cela étant, en dépit de rayonnantes phases techniques, dont un enchanteur solo de guitare, on regrettera une sente mélodique manquant d'unité et de saveur, que ne parvient guère à relever l'interprète. Par ailleurs, une basse claquante secondant d'enveloppantes nappes synthétiques enflamment l'up tempo « El Flautista » ; titre aux séries d'accords et aux phases techniques à dompter au fil des écoutes avant de l'adopter. On aurait, là aussi, souhaité plus de fluidité dans le cheminement mélodique pour davantage nous impacter.
Au final, l'opus révèle ses atours au fur et à mesure des écoutes, avec d'efficaces propositions et quelques élégantes pièces à la clé. Varié dans ses atmosphères et ses rythmiques, subtil dans ses variations et changements de tonalité, suave dans ses cheminements mélodiques, parfois mélancolique, le brûlot n'a pas tari d'armes pour se défendre face à une concurrence toujours plus féroce. Cependant, par moments, la technicité instrumentale se fait très, voire trop présente, au point de nous égarer de la ligne mélodique de certains passages. Passés ces ajustements et aux fins d'un poil d'originalité supplémentaire, le groupe aura une belle carte à jouer pour figurer en bonne position dans ce registre metal. Mais en guise de message introductif, cet opus témoigne déjà d'une inspiration féconde de la part de ses auteurs ; celle-là même pouvant requérir l'adhésion d'aficionados des sources d'influence du collectif argentin...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire