Il y a des disques que plus personne n’attend pour la simple et bonne raison que leurs principaux protagonistes semblent appartenir à un autre temps.
Non pas (loin de là même) que Mike Portnoy ou
John Petrucci font partie de cette catégorie mais suite au froid entre les hommes de
Dream Theater et leur ex-batteur et compositeur principal, il semblait acté qu’ils ne créeraient plus rien ensemble. La presse interposée avait fait le reste du travail lorsque le batteur avait quitté (ou été renvoyé ?) du théâtre des rêves et le si hyperactif Portnoy avait vaqué à ses nombreuses occupations dans d’innombrables groupes qu’il avait créé ou simplement rejoint pour l’occasion.
Mais voilà, le guitariste semblait déjà avoir mis de l’eau dans son vin quand il annonça l’année dernière que son second album solo ("Terminal Velocity") aurait pour batteur son ex compagnon de crime. Les cachotiers nous avaient également caché que
Jordan Rudess (claviers) avait également rejoint la troupe accompagné de Tony Levin pour reformer le fameux
Liquid Tension Experiment qui n’avait rien proposé depuis 22 ans ! Ce même projet formé avec Jordan avant qu’il ne les rejoigne dans
Dream Theater. Une reformation inattendue, qui pose forcément question à propos de l’avenir de Mike Mangini (même si uniquement les fans semblent s’en préoccuper pour le moment), mais surtout sur l’intérêt de sortir un nouvel album sous cette forme.
Sobrement intitulé "3" (comme le précédent s’appelait "2"), avec un Tony Levin dépassant aujourd’hui les 70 ans et un concept qui semble étiolé étant donné tout ce que le prog a pu accueillir comme progression depuis plus de deux décennies.
"
Hypersonic" déboule sans crier gare et l’impression de plonger aux débuts des années 2000, dans l’ambiance de "6 Degrees of Inner Turbulence" ou encore du second "LTE" nous imprègne en quelques instants. C’est ultra technique, alambiqué, très rapide, démonstratif et ... imbuvable ! Disons-le clairement, même en tant qu’adorateurs de prog, de ces hommes ou de shred, on se prend 8 minutes de soli où chacun mène sa propre partition, d’un Petrucci qui ne propose aucune solution mélodique ou aucune assise si ce n’est des leads, de Portnoy qui enchaine les descentes de toms et les patterns à l’excès, de Rudess qui a ressorti sa banque de sons (pour le meilleur et le pire) pendant que Levin suit le train en marche avec des lignes de basse d’un autre monde. Alors oui c’est impressionnant, pourquoi pas jouissif mais dans l’absolu, on sait tous depuis 30 ans ce qu’ils savent faire et ce genre de « jams » pourrait être marrant si on sentait un certain second degré mais pas du tout. Bref, si ce genre de titre pourra plaire, il est pour ma part une introduction d’assez mauvais goût, rappelant bien trop le
Dream Theater du passé sans pour autant proposer autre chose que de la technique sans queue ni tête. Est-ce que l’on abandonne alors même que l’album se divise en 2 cds (l’officiel et un bonus) et qu’on a quasiment 2h de musique (whaaaaaaat ?) ? Du courage mes amis, à l’abordage et voyons si un trésor ne se cacherait pas en soute.
Un trésor mon capitaine ? Dieu non mais quelques joyaux qui trainent ici et là tout de même.
"Beating the Odds" qui suit possède déjà dès l’intro ce que le premier titre n’a pas. Un riff et une mélodie qui accroche l’oreille, rappelant même un peu Satriani dans l’approche. On se posera encore et toujours quelques questions sur le côté ouvertement kitsch de certaines sonorités de claviers (mais c’est devenu la norme depuis "A Dramatic Turns of
Event" donc bon ...) mais ça sera rattrapé par certains très beaux chorus de guitare du professeur Petrucci. Le facétieux batteur est plus discret même si son jeu de cymbales est toujours aussi précis et diabolique, ce qui laisse de l’espace à Tony Levin pour tisser un dédale à la basse assez dantesque d’autant plus qu’il est très en avant dans le mix, occupant presque parfois le rôle d’une seconde guitare (c’est assez évident sur le second solo du titre, un peu comme ferait un
Billy Sheehan). Puis viendra le temps de certaines expérimentations vraiment bienvenues. Parlons de cet étrange "Chris & Kevin’s Amazing Odyssey" où Rudess fait un boulot immense sur le son et l’ambiance avec un Portnoy impressionnant sur les toms, comme un long voyage dans l’espace où jamais les guitares ne viendront nous attaquer (le groupe n’a jamais aussi bien porté son nom) hormis sur des nappes lourdes et presque glauques. Parlons également de trois pavés prog qui culminent à plus de la demi-heure (deux fois 13 min et 7 pour l’autre).
On reconnait forcément la patte unique des compositeurs sur chacun d’eux. "The Passage of Time" est un pur riff heavy et très dense dont Petrucci raffole qui rappelle l’époque de "Systematic Chaos" avec une vraie emphase progressive et surtout une absence de chant jamais préjudiciable sur l’appréciation et la dynamique du titre. "Key to the Imagination" s’ouvre sur une belle partie de piano avant un autre riff très sec qui se délite au fur et à mesure dans la pure tradition du prog tel que le conçoive ces musiciens. Treize minutes où s’enchainent des soli, des breaks, encore des soli et, diront certaines mauvaises langues, des plans qu’on a pour la plupart déjà entendus sur
Dream Theater, ou Sons of Apollo, voir
Flying Colors (Mike composant moins dans
Transatlantic et le premier
Adrenaline Mob ou
The Winery Dogs étant bien plus rock). C’est autant la marque des grands que d’avoir une telle identité comme cela peut devenir lassant tant on a la sensation de ressortir les mêmes plans du tiroir. "
Rhapsody in Blue" sera quant à elle différente puisqu’il s’agit d’une reprise d’un chef d’orchestre américain (George Gershwin) même si on a trop souvent la sensation de retomber dans les travers de "
Hypersonic" (de la technique qui fuse mais une ligne mélodique trop souvent décrochée et on s’y perd totalement).
Et dans tout ça, je n’ai même pas parlé du disque de jams ...
Je peux comprendre l’euphorie de retrouver tout ce beau monde ensemble mais force est d’admettre que ce LTE3 souffre trop souvent de la démesure de ses participants, de leur propension à constamment se tirer la bourre et montrer ce dont ils sont capables. L’album est parfois difficile à suivre, filerait un mal de crâne à n’importe quel réfractaire à la technique et le constat ne serait pas vraiment apte à être sauver. On garde de très bons moments, la production est démente et tout pète aux oreilles du feu de Dieu. Mais ce côté « musique de musiciens » peut sembler désuète en 2021 et surtout donner l’impression d’une grande fuite en avant, d’une longue marche à travers le vide.
A ne pas mettre entre toutes les mains c’est une évidence ...
typo: la phrase n'est pas francaise: "La presse interposée avait le reste du travail"
Oups, oublié un mot. Je corrige ça ;)
Sinon bonne chronique, tu n'aimes pas la première piste, mais elle est un peu à l'image des premières pistes de LTE1 et LTE2, mise en bouche ultra (trop?) technique. a+
Si la perfection n'existe pas , la on s'en rapproche pas mal quand meme .
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