D'une façon tout à fait étrange, mais qui, je l'espère, devrait rendre hommage à cet album, il est primordial de s'intéresser tout d'abord à l'artwork du disque.
Il a été réalisée par Pierre Guiol, qui ne pouvait on ne peut mieux cerner le concept de l'album dans toute sa complexité.
Sur le recto: un visage de profil, digne des statues de l'île de Pâques, abrite un petit homme qui lit un journal (à en juger par le format) ou un livre (trop grand pour lui). Sur celui-ci, il est marqué "le temps de la réflexion". Le bonhomme est assis sur l'intérieur du nez du visage. Sa lecture semble éclairée grâce à une ampoule sortie du seul orbite visible.
Néanmoins, si l'on prend le temps de s'intéresser au verso : l'ampoule est ni plus ni moins que la tête d'une autruche perchée sur l'oreille de ce visage toujours de profil. Le bonhomme lui a disparu et le nom du groupe apparait en police inversée.
D'un point de vue symbolique, le visage qui contient l'autruche et le bonhomme, pourrait représenter n'importe quel humain. L'autruche juchée sur son oreille indique directement le lien entre l'organe auditif et l'organe de la vision. Le corps de l'autruche se trouvant la où devrait être, d'une façon schématisée, le cerveau.
Dans l'imaginaire populaire, l'autruche est bien connue pour cacher sa tête dès qu'un danger l'entoure, pensant que si elle ne voit pas son ennemi, son ennemi ne peut pas la voir. Mais toute la complexité de cet artwork réside dans le fait que l'autruche "cache" son corps dans la tête de l'homme en profil et fait dépasser sa tête, devenue ampoule.
L'ampoule, elle, représente les idées, renvoyées par le "regard", mais renvoyés également au bonhomme du recto qui prend "le temps de la réflexion" (puisqu'il lit).
La découpe en profil du visage rappelle également ces visages découpés en lamelles au XIXe siècle, supposés "éclairer" sur les mécanismes du cerveau. D'un côté (le verso), l'oreille indique l'extérieur du visage; de l'autre (le recto) son absence montre l'intérieur de celui-ci.
Il faut supposer qu'une fois sa lecture terminée, le bonhomme du recto descendra exprimer ses idées via l'organe communiquant avec le nez : la bouche (ici rigide et figée).
Il serait possible d'aller encore plus loin et de dire que le livre du bonhomme se trouve être l'intérieur du booklet de ce premier album. A noter que les textes ne sont pas dans l'ordre de la tracklist, tout comme les idées peuvent se mélanger avant d'être exprimées.
Les textes inscrits seraient cette fameuse réflexion, qu'il est possible d'entendre en mettant le disque, et en faisant donc appel à notre propre autruche : la boucle est bouclée.
Cette étude, un peu complexe sans l’appui du verso de la pochette, amène directement au propos de l'album, dont le titre est on ne peut mieux choisi.
"Le Temps de la Réflexion" indique que le groupe mené par Julien Cassarino a murement pensé ses compositions et textes avant de les plaquer sur une galette.
A la lecture des textes, il est important de constater que beaucoup de lignes sont des questions, auxquelles si réponses il y a, elles sont toujours énigmatiques, flirtant avec le délire psychotique et l'absurde.
Musicalement, les titres assez sont complexes, oscillant entre folie furieuse et rythme métronomique implacable.
Mais le génie du groupe ne réside pas dans le mélange des tempos, mais dans la variation des styles musicaux. Tout y passe, avec une facilité déconcertante. Les autres projets développés par "Ju" témoignent de cette vision éclectique de la musique.
Il ne serait pas difficile de croire que plusieurs groupes de la scène française se sont secrètement inspirés de premier effort, sans jamais l'avouer, et sans jamais l'égaler (l’excellent "Objectif Thunes" d'
Ultra Vomit pourrait bien en faire partie).
Le délire psychotique se poursuit dans la structure même de l'album, puisque quasiment tous les titres pourraient être divisés en deux (ou le sont):"To Be(tray)..." ouvre directement sur "...Or Not To Be", "Martin X" est divisé en deux parties, "L'Autruche" pourrait l'être également.
La présence de deux voix (celle de Julien Cassarino et celle de Milka) accentue considérablement cette schizophrénie musicale et rappelle, à l'instar de la pochette, que n'importe qui possède deux profils.
Ainsi, cette logique s'applique aux autres instruments et ils possèdent tous une double identité.
Plus qu'un patchwok musical et réflexif, cet album est un véritable puzzle. Il faut en effet un certain "temps de [...] réflexion" pour pouvoir le comprendre, pour pouvoir appréhender sereinement ses textes et leur relation à la musique.
Je gage que les auditeurs les plus avertis mettront au moins plusieurs écoutes attentives avant d'en assembler toutes les pièces.
Comme tout puzzle, il y a un bord aux pièces et elles forment, une fois la galette finie, un contour musical cohérent, qui définit à lui tout seul
Psykup.
Force est de constater que les "réflexions" du groupe ne sont pas des opinions bien tranchées, comme on aurait pu s'y attendre, mais des questionnements sur le monde qui entoure les artistes et les auditeurs.
On pourrait aller plus loin et tenter de deviner au travers de tout ceci le choix d'un nom comme "
Psykup". M'est d'avis qu'une racine grecque à toute son importance ici.
Même s'il n'y parait pas au premier abord, ce premier album est très mature, et il faut absolument le replacer dans le contexte dans lequel il est sorti (le petit texte à la toute fin du livret est une aide précieuse sur le sujet) : il s'agit ni plus ni moins d'un constat amer sur la folie ambiante à l'aube du troisième millénaire.
Peu connu du public français qui préfère le hardcore des Tagada Jones et autres Black Bomb A, le groupe a pourtant sorti des merveilles comme ce Temps de la Reflexion et L'Ombre et la Proie.
J'ai eu la chance de les voir en première partie de Watcha et ils ont tout dégommé.
Quant au 20/20 c'est ridicule, je ne donne aucune credibilité à une chronique notée ainsi.
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