Il aura fallu seulement deux ans aux Avignonnais pour accoucher d'une suite au très réussi "Errances", et la première chose qui frappe avant même d'introduire l'album dans sa chaîne Hi-Fi est la beauté du digipack. Loin de vouloir faire de la retape de base, il faut quand même bien avouer que recevoir un album dans un bel écrin fait plaisir aux yeux et permet aussi d'avoir une idée de l'univers du groupe. Mais, un bel écrin permet aussi de noter divers points de détail dont le chroniqueur va pouvoir se servir. Comme ici, le fait qu'on ne trouve que 5 titres en tout et pour tout. Le connaisseur remarque aussi que sur les 5 titres en question, il connait déjà l'un d'entre eux : "Moonflower", très chouette pièce musicale de presque 20 minutes qu'il avait pu découvrir sur la démo du même nom en 2011. En extrapolant, et avant même d'en avoir écouté une seule note, on sait donc déjà que l'album aura une durée bien supérieure à ce que le faible nombre de titres peut laisser croire.
Mais il est temps de passer à l'écoute et, dès le premier riff, on constate une évolution dans le son général de
Angellore. La base reste toujours le
Gothic Doom à l'ancienne, pour être plus précis les balbutiements du genre (1993/1995) : période charnière où le
Doom Death des écoles anglaises (
My Dying Bride,
Paradise Lost,
Anathema) et bataves (
Celestial Season,
Spina Bifida) commence à s'imprégner de mélodies issues indifféremment des musiques baroques, romantiques mais aussi du Heavy
Metal traditionnel (notamment la NWOBHM pour les solos), pour en arriver à phagocyter l'éphémère scène
Gothic Death allemande (le
Crematory de "...Just
Dreaming" et "Illusions", le
Atrocity de "
Blut" et "Willenskraft") et aboutir, par la force des choses, au premier effort de
Theatre Of Tragedy. Mais sur cette base, le trio décide de construire quelque chose de différent. En cela, le précédent album "Errances" méritait bien son nom car il exprimait ainsi l'amour du passé (qu'il soit historique, littéraire ou musical) qui animait le groupe. Et après avoir suffisamment erré,
Angellore a finalement trouvé l'endroit où bâtir sa cathédrale.
"A
Shrine Of
Clouds" frappe d'entrée par ce choix inédit d'accélérer le tempo, s'aventurant sur des terres inattendues : celle du
Gothic Metal mélodique tel que pratiqué en Finlande et dans les pays baltes. Toutefois, le tempo ralentit rapidement, et on se retrouve en terrain familier avec les éléments qui font la marque de fabrique du groupe : alternance entre grognements et chant clair, subtil mélange dans l'utilisation de chaque instrument (on notera une fois de plus la délicate alchimie reliant guitares et claviers, et la cohérence soutenant chacune de leurs différentes interventions) et émotions à fleur de peau.
Parlons du chant, justement : clairement l'une des meilleures surprises de l'album. Les deux chanteurs (Rosarius et Walran, chacun d'entre eux s'occupant à la fois du chant clair et du chant grogné/hurlé) ont énormément travaillé, et cela s'entend dans la manière qu'ils ont de couvrir un spectre vocal particulièrement riche. Ils sont aidés en cela par les interventions de Lucia, dont le timbre angélique tranche avec les hordes de sous-"TarjAnneVibeke" qui persistent à croire qu'être capable d'imiter une corne de brume fait de soi une chanteuse.
Musicalement, "La Litanie des
Cendres" doit autant à
My Dying Bride (influence évidente, et pas seulement par l'utilisation judicieuse d'un violon) qu'à des groupes beaucoup plus progressifs dans la scène gothique (la réinterprétation de "Moonflower" à de faux airs des premiers albums de
Saviour Machine, mais on y entend aussi un peu d'arrangements à la
Dream Theater). Le groupe n'est pourtant pas tombé dans les travers parasitants de nombreux groupes progressifs (notamment la démonstration à tout crin) : au contraire, ici la technique est au service de la musique et, malgré leur durée, chacune des chansons présentes dispose de suffisamment d'accroches mélodiques qui font que l'auditeur ne perd jamais le fil. Et, preuve que les Avignonnais ne souhaitent pas se limiter à un style unique, ils démontrent aussi un talent certain pour les pièces plus courtes (la très réussie "Inertia"). Derrière la noirceur de la base musicale,
Angellore sait aussi faire briller une lumière éclatante, de ces lumières qui incarnent l'espoir.
Dernier point, assez important à mes yeux lorsqu'on aborde un groupe dit 'gothique' : les textes. Trop souvent les groupes alignent les clichés du Romantisme Noir avec une aptitude dans le mauvais qui confine au génie ("tu es morteuh et je t'aimeuh et la beauté-euh de la forê-euh émeuve mon coeur-euh comme un poèmeuh de Baudelaireuh" et autres horreurs polluant les blogs remplis d'images de Victoria Francès qui infestent la Toile). Ici, le travail fourni est exemplaire dans la maîtrise de la langue anglaise et des règles régissant sa poésie. Au point que les textes de "La Litanie des
Cendres" se révèlent aussi plaisants à la lecture qu'à l'écoute, apportant une dimension supplémentaire bienvenue à l'appréciation de l'album.
Malgré son titre particulièrement négatif, l'écoute de "La Litanie des
Cendres" est un plaisir véritable de bout en bout, comparable à celui que l'on peut éprouver à marcher dans une forêt quand viennent les premiers frimas automnaux. Il y a dedans tout ce qu'un fan du genre pouvait espérer, et même plus. C'est peu dire que "La Litanie des
Cendres" est l'un des chefs d'oeuvre du genre et j'ai, personnellement, ressenti à son écoute les mêmes frissons qui m'avaient saisis à l'écoute de "
Arcane Rain Fell" de
Draconian il y a dix ans : l'impression d'avoir découvert un futur grand groupe, l'un de ceux avec lesquels il va falloir compter dans les années à venir.
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