Disons-le franchement, la Colombie n’est pas un pays particulièrement reconnu pour sa scène metal. Néanmoins, s’il y a un groupe de cette contrée qui jouit d’une notoriété internationale et d’un statut plus que respectable sur la scène black, c’est bien
Inquisition. Le duo américano-colombien, actif depuis 1988 et fort de sept albums, est depuis
Obscure Verses for the Multiverse signé sur Season of
Mist, qui a eu la bonne idée de rééditer les anciens travaux du groupe, dont le premier et fameux
Into the Infernal Regions of the Ancient Cult qui nous intéresse ici. Autant le dire tout de suite, rien d’inédit sur cette réédition, si ce n’est un nouvel artwork splendide signé Paolo Girardi qui retransmet particulièrement bien l’atmosphère sombre et oppressante qui règne sur cet opus entièrement dédié au Malin. Niveau compos et son, rien n’a bougé, autant dire que cette sortie n’intéressera donc que ceux qui n’ont pas la version originale.
Directement,
Inquisition nous plonge dans l’ambiance avec cette intro horrifique fleurant bon le film fantastico-gore des années 70, suivie par ces riffs gras très typés death et ce matraquage lobotomisant qui jaillissent des enceintes sans crier gare: l’accordage extrêmement bas forme un mur grondant et tellurique, renforcé par cette batterie mate au son caverneux et la voix de
Dagon, complètement hallucinée et incantatoire, résonne, monocorde et grinçante, et nous plonge dans une transe malsaine. Ces vocaux sont l’une des marques de fabrique du groupe, graves, rauques, se répercutant en un écho blasphématoire comme un croassement infernal qui marque de son empreinte une musique particulièrement sombre. Ce premier morceau,
Unholy Magic
Attack, porte particulièrement bien son nom, enchainant déflagrations assassines et grasses comme vomies par un groupe de proto death rudimentaire et guitares grésillantes à l’aura mélancolique et mélodique palpable.
Effectivement la musique du combo est un mélange particulièrement occulte et noir, alternant morceaux hypnotiques et mid tempo à la beauté envoûtante et accès furieux d’un metal blasphématoire, virulent et poisseux. Ainsi, The Initiation, avec ses mélodies crépusculaires, ses guitares acoustiques et entêtantes à la
Satyricon et ce refrain, particulièrement lugubre et lancinant, porté par des vocaux inhumains, exhale un sulfureux parfum de sabbath et de magie noire, et le fantastique Solitary Death In
Nocturnal Woodlands, nous égare dans les entrailles de la terre avec cette basse ésotérique, ces guitares vibrant d’un dégoût misanthrope et ce rythme lent et mécanique, semblant nous convier à quelque cérémonie occulte et innommable. Paradoxalement, le titre éponyme, entièrement instrumental, sonnerait presque thrash par moments, avec ces riffs roulants et cette double infatigable, particulièrement envoûtant malgré une agression marquée qui sait alterner avec de courts breaks plus insidieux pour mieux relancer la machine. Sur un morceau comme
Empire of
Luciferian Reign, lourd et poisseux à souhait, avec ces riffs gras et ce rythme tapageur, l’influence death est particulièrement audible, ainsi que sur Mighty Wargod of the Templars (
Baphomet) aux guitares simples, saccadées et épaisses et aux blasts particulièrement lourds, mêlant riffs presque rock n’ roll avec des sonorités plus dissonantes et mystérieuses.
Sur Those of the
Night ,
Dagon débite lentement sa litanie satanique comme pour mieux pénétrer notre esprit engourdi par les assauts sauvages de la rythmique, le refrain, sentencieux et hypnotique, s’imprimant comme une véritable profession de foi dans notre cortex souillé, et résonnant d’une façon inquiétante sur ces trémolos de guitares aux mélodies vicieuses qui brillent de mille lueurs fallacieuses au milieu de ces ténèbres opaques.
Inutile de préciser que l’ambiance est d’une épaisseur à couper au couteau, à la fois noire, ésotérique et morbide,
Inquisition réussissant l’exploit de proposer une musique à la fois relativement simple et directe, imparable rythmiquement, et particulièrement rampante et suffocante, à l’aura blasphématoire presque dérangeante: ce côté ritualiste est magistralement porté par les vocaux uniques de
Dagon, le son extrêmement grave et épais et les extraits de films d’horreur qui interviennent en intro de plusieurs titres.
Certes, le black de la paire maudite n’est pas foncièrement technique et musicalement novateur, mais force est de constater que les Colombiens ont un style bien à eux, immédiatement identifiable, et qui se démarque assez nettement de la vague de black qui embrase la Scandinavie durant les années 90.
L’album se termine sur un
Hail the Cult particulièrement immersif et hypnotique, aux guitares aériennes et aux vocaux plus apaisés, comme délivrés de leur pesanteur terrestre. Durant un peu plus de 4 minutes, ce morceau nous enveloppe dans une lente et troublante transcendance, nous irradiant d’une pureté et d’une beauté presque trop belles après l’étreinte interminable de ces ténèbres suffocantes: la liberté sublime du Sataniste affranchi des principes veules et abâtardis d’une existence humaine pitoyable.
Ceci dit, si ce
Into the Infernal Regions of the Ancient Cult s’impose en cette année 1998 où il parait initialement comme une oeuvre sincère, habitée et originale, il n’est pourtant pas exempt de tous défauts: en premier lieu, cette voix si atypique au timbre désaccordé et inhumain que beaucoup trouveront irritante et qui, en toute objectivité, est trop monocorde pour ne pas lasser sur la longue. De même, les compositions, formant un bloc compact de 66 minutes, ont tendance à se ressembler, les riffs et les structures sonnant assez similaires et rendant parfois une impression de redondance (Summoned by
Ancient Wizards Under a Black
Moon), et on ne peut que s’imaginer l’ampleur de l’impact si ces dix titres avaient été expurgés de leurs longueurs superflues et amputés d’une quinzaine de minutes.
Néanmoins, il serait tout de même malvenu de se plaindre, et même si on peut déplorer que cette réédition ne comporte aucun bonus musical, il convient de saluer comme il se doit l’initiative du label français de ressortir un album désormais culte et difficilement trouvable à un prix raisonnable. Une chose est sûre, en ces temps d’intégrisme religieux,
Inquisition a encore de beaux jours devant lui.
“
Serpent God Below
Hiding in the veil of black
As the mighty
Legion attacks
Those of the
Night, so full of Might,
Like the Darkest dreams, so unreal but true”
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