Dans l’imaginaire du metal, le terme de black/doom véhicule son lot de représentations de mauvais augure. Lame de rasoir aiguisée, corde en chanvre nouée façon pendu, paysages mornes et désolés, aussi pessimistes que les sombres pensées hantant un cortex décrépi… Des débuts de
Katatonia,
Bethlehem et
Deinonychus jusqu’aux plus récents colporteurs que sont
Forgotten Tomb,
Apocryphal Voice,
Ghast,
Stoic Dissention ou encore
Mourning Dawn, les principaux vecteurs musicaux du black/doom à travers les âges (pouvant aussi englober le "dark metal") affichent clairement une propension au malaise, à la mélancolie et à la torture mentale, voire au meurtre et au suicide perpétrés au fin fond d’une bicoque crasseuse et oubliée de tous.
Sans parler d'une frange du black dépressif qui s'autoproclame abusivement black/doom, sans rien avoir en commun avec le doom. Car lenteur du jeu et pensées dépressives ne riment pas forcément avec doom, qu’on se le dise !
Bref, rien dans ce préambule qui n'incite pas aux pulsions maladives et à la pensée négative...
Et c'est là qu'Avant Soliloque entre en scène.
Par rapport à l'esprit black/doom habituellement insane, ce tout récent projet en provenance de Roumanie se démarque en proposant une approche méditative. L'âme y est débarrassée de ses tourments, préférant construire des réflexions sur l'existence en y portant un regard philosophique, plutôt que de la détruire sordidement en un geste aussi malheureux que définitif.
Faire du black/doom tout en s'affranchissant de sa connotation malsaine, voilà où réside en grande partie l'originalité d'Avant Soliloque et de son premier album autoproduit.
Œuvre du seul musicien Cristi Lincu, "
Imagery in Ochre Lures" associe des ingrédients de black symphonique (typé
Emperor, en particulier "Anthems…" et "Promotheus…") et de doom mélodique (le violon remémore les premières œuvres de
My Dying Bride, notamment) en une alchimie, sinon inédite, du moins très peu courante et tout sauf ordinaire.
Loin d'un simple copier/coller black sur doom (ou inversement), la fusion prend tout son liant au travers d'orchestrations néoclassiques omniprésentes.
Emperor était cité,
Thou Shalt Suffer et son album "Somnium" pourraient également l'être, tant Lincu partage le même goût qu'
Ihsahn pour la musique baroque, particulièrement évident sur le long intermède central "
Eidetic" aux airs de sonate pour piano & violon de Bach. La mise à l'honneur du théorbe et de la viole de gambe (dès l’ouverture "Abydos" et sur "The
Moon Amidst Megaliths" en particulier) tombe sous le sens, en conférant à l'ensemble une cohérence autant sonore que conceptuelle.
Par contrastes et contrepoints, chacune des huit compositions évolue selon de complexes chemins, prenant l'auditeur à revers mais sans jamais le perdre dans des méandres dédaléens, grâce à la présence de thèmes récurrents agissant en bienfaiteurs points de repère. Tantôt rallentando tantôt accelerando, les gammes harmoniques explorent la fougue bâtisseuse de l'humanité autant que ses doutes, s'aventurant jusqu'aux sources de la création entrevues via les samples naturels de la péroraison "An Atom of this Adornment". Leur tracé suggère d'étranges flux chromatiques assemblés en géométries variables évoquant les temps ancestraux comme les temps futurs, l'infiniment grand de l'espace comme l'infiniment petit de l'atome, et faisant complètement oublier l'absence de section vocale. Car oui, la démarche pleinement instrumentale est une autre caractéristique essentielle d'Avant Soliloque.
Cependant, là où nulle parole ni chant ne viennent perturber les fresques abstraites élaborées par Lincu, certains aspects de la production insinuent néanmoins le trouble. Si la clarté du mixage permet d'apprécier à sa juste valeur le sérieux travail de composition et si l'homogénéité du son démontre une direction artistique précise, le rendu n'est cependant pas exempt de tout reproche, spécialement à cause de ses textures bien trop synthétiques. Les guitares manquent cruellement d'espace et de tranchant, amoindrissant l'élan des séquences rapides (leur traitement est similaire à celui fait sur "The
Red Jewel" de
Tartaros… un autre disciple d'
Emperor, justement). Et malgré l'évident travail fourni pour combler son usage, la boîte à rythmes s'avère handicapante, notamment lorsque la cadence s'élève.
Cet aspect artificiel induit une distanciation du psychisme, l'auditeur se trouvant face à un imaginaire certes fertile, mais qu'il observe davantage qu'il ne le vit. Comme un cœur qui battrait de manière virtuelle, là où on aimerait le sentir animé d'un influx organique. Voilà mon principal bémol concernant cette première ébauche, malgré tout encourageante.
"
Imagery in Ochre Lures" n'est qu'un premier essai et gageons que le traitement sonore aura largement l'occasion d'être revu, afin qu'Avant Soliloque puisse franchir un nouveau cap dans son façonnage du grand œuvre.
Les idées et les capacités de Cristi Lincu sont indéniables. L'originalité de son approche et sa vision déjà bien esquissée d'un concept fouillé sont autant d'autres socles sur lesquels il pourra s'appuyer pour bâtir son futur. En attendant la suite...
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