Even in Arcadia

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14/20
Nom du groupe Sleep Token
Nom de l'album Even in Arcadia
Type Album
Date de parution 09 Mai 2025
Labels RCA
Style MusicalMetal Atmosphérique
Membres possèdant cet album15

Tracklist

1.
 Look to Windward
 
2.
 Emergence
 
3.
 Past Self
 
4.
 Dangerous
 
5.
 Caramel
 
6.
 Even in Arcadia
 
7.
 Provider
 
8.
 Damocles
 
9.
 Gethsemane
 
10.
 Infinite Baths
 

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Sleep Token


Chronique @ Eternalis

17 Mai 2025

"Even in Arcadia" est beau, tout simplement. Déchirant par moment, d'une sensibilité à fleur de peau.

Sleep Token est devenu un phénomène. De mode. De foire. Médiatique. Mais avant tout artistique. Qui divise, qui interpelle, que l’on adore ou que l’on déteste et si clivant qu’il déchaîne les passions. C’est peu dire qu’une telle passion pour un nouvel artiste est devenu rare en ces temps de dématérialisation, d’écoute passive et de “hits” sans lendemain. Il y avait eu Ghost il y a quelques années. Sleep Token a pris brillamment le relai, confiant leur identité masquée à une entité céleste plutôt qu’un simple gimmick, rendant encore plus inutile le fait de savoir qui se cache derrière Vessel et ses musiciens. Plus personne n’en parle. Vessel est devenu un être à part entière et, plus important, c’est de musique que l’on parle désormais uniquement, et non de la nouvelle incarnation de Tobias Forge ou du prochain masque de Corey Taylor.

Quatrième opus après le succès étincelant du fabuleux "Take Me Back to Eden", marquant déjà une fracture d’un certain public avec "Sundowing" et le déjà très ouvert "This Place Will Become Your Tomb", "Even in Arcadia" est partout depuis sa sortie. Sur les réseaux sociaux, dans les charts du monde entier, dans la bouche des artistes et les multiples vidéos qui fleurissent partout témoignent d’un phénomène que rien ne semble endiguer. Comme souvent dans ces cas là, la question est de savoir si toute cette énergie déployée est bien légitime ou si le plan comm est simplement parfait. On remarque néanmoins que le groupe ne parle pas. Qu’il n’y a pas d’interviews. Presque aucune intervention officielle. La communauté le fait pour eux.

Parlons-en, de ce mystérieux opus. Le précédent avait ouvert la porte à de nombreuses expérimentations électroniques, à des vocodeurs et autotune ainsi qu’une atmosphère qui se voulait à la fois plus lumineuse mais paradoxalement beaucoup plus lourde quand les guitares surgissait (la production bien supérieure aux deux premiers opus n’y était pas étrangère). "Even in Arcadia" continue dans la même lignée. En explosant tous les curseurs.
C’est simple, cet album est plus “tout”. Plus ambitieux. Plus mélodique. Plus sombre. Plus lourd. Plus électronique (nous pourrions dire “moins metal”, si l’on peut encore appeler ça ouvertement du metal). Plus osé, aventureux et d’une émotion à couper le souffle. "Even in Arcadia" est beau, tout simplement. Déchirant par moment, d’une sensibilité à fleur de peau, d’une sincérité confondante tout autant qu’il plonge dans les tourments de son créateur principal, dans les affres de sa propre souffrance.

"Look to Windward" en est un magnifique précurseur. Un voyage débutant sur une sonorité quasiment désuète, accueilli par la voix désormais reconnaissable entre mille de Vessel (la première phrase étant tout de même “Will you listen just as my form starts to fission?”, comme une provocation). Le spectre sonore s'étoffe progressivement de multiples couches pendant plus de trois minutes. Avant la première explosion, témoignant d’un son absolument dantesque dans la lourdeur de ses riffs (jamais complexes, mais écrasant au possible), les premiers hurlements et cette densité qui va nous envelopper durant près d’une heure. Un tempo urbain va alors nous accueillir, nouvelle marque de fabrique des britanniques, avant une reprise au piano d’une beauté imparfaite, magnifiquement accompagnée par une partie de batterie de II à couper le souffle (lui qui sera un des artisans principaux de l’immense musicalité de cet album) avant de sombrer dans une noirceur inhabituelle mais qui surgira par explosion tout au long du périple.

Un périple qui nous amènera sur des terres mélancoliques et souvent squelettiques, centrées autour du chant et du piano, où les incursions électriques sont autant d’explosions magmatiques condensant toute la violence et la noirceur de l’âme humaine. Parlons du sublime "Caramel" (évoquant les difficultés de la popularité), s’ouvrant sur un xylophone et continuant autour de la voix de Vessel accompagnée d’une beatbox. La progression du titre est très naturelle, très pop, II allant progressivement imprégner une touche jazzy incroyable à ses parties de batterie … avant de se rapprocher du black metal dans un final ahurissant en blast beat où Vessel va littéralement cracher ses tripes sur des riffs vous broyant au sol. A l’inverse, le très progressif "Emergence" (quel spectre sonore) va chercher du côté d’un djent très moderne et créatif qui monte doucement en puissance mais se finira au saxophone pour évoquer un certain Periphery.

Chaque composition est si riche, si surprenante et identitaire qu’elle mériterait qu’on s'y attarde. Le title track et son ambiance japonisante (à l’image de son artwork) nous touche en plein coeur par la pureté de sa mélodie au piano et du chant de Vessel, très pur ici. La tension va monter crescendo, dans une musicalité presque symphonique, préparant une éruption qui n’arrivera jamais, entre frustration et maîtrise totale de son art (quelle vocalise finale sur le “Have You Been Waiting long … for Me ?”), terminant sur un solo de violon beau à pleurer. Il y a également ce "Dangerous" qui n’en porte que le nom, Vessel semblant évoquer sa fameuse divinité, prenant de multiples formes dans son sommeil. Là encore, les guitares s’effacent intégralement au profit d’une poésie électronique qui guidera les riffs sur sa dernière partie. Certains diront que la structure narrative des morceaux se répète. Ils auront raison mais le résultat émotionnel n’en demeure pas moins impressionnant. "Damocles" suit un schéma encore similaire, s’ouvrant comme une ballade piano/voix, Vessel témoignant des états d’âmes de sa position de créateur à qui on demande de créer sans chercher à percevoir l’homme derrière (qui, un jour, s’effondre, faute d’inspiration). La progression se veut plus rock cette fois-ci, Vessel se montrant à nu vocalement, et II faisant encore des miracles derrière les fûts sur un final éblouissant de talent, de dextérité et de feeling (poser un solo de batterie de façon aussi imperceptible est assez impressionnant).

"Gethsemane" reprend une plus grande densité pour cette fin d’album (bien que Vessel n’ai jamais chanté de façon aussi aiguë) avec un riff vraiment couillu qui s’effacera dans un drum n’ bass, inversant les habitudes des autres titres. Avant une ultime révérence. "Infinite Baths". Comme une claque définitive, d’une violence non contenue. Durant huit minutes. Une fermeture qui semblait pleine d’espoir et de lumière mais qui laisse éclater l’instant le plus noir et destructeur de la carrière de Sleep Token. Véritable condensé d’une violence coercitive, que l’auditeur subi comme une déflagration qui puise sa rage dans une colère sourde qui terminera dans un fade out pernicieux, comme si elle ne s’arrêtait jamais totalement, mais préférait se cacher pour mieux revenir sur un prochain opus …

"Even in Arcadia" … quel album. Quel voyage. Quels artistes. Album marquant de cette année, qui ne laissera personne indifférent, il place définitivement Sleep Token comme un groupe différent, propre à dépasser les records et proposer une expérience singulièrement différente et nouvelle. C’est si rare que seule la démarche pourrait être saluée. Alors quand elle est accompagnée d’une telle réussite artistique … respect.

1 Commentaire

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Hathore - 24 Mai 2025:

C'est fou comme Sleep Token divise autant et surtout, qu'il y ait un tel engouement. J'ai l'impression que les metalleux découvrent totalement les autres genres de musique en écoutant ce groupe. Comme s'ils étaient enfermés depuis des années dans une grotte et qu'enfin un groupe leur proposait d'écouter autre chose que ce que propose la base du metal.  Et pourtant, ce que propose Sleep Token est assez réchauffé. Est-ce que ça permet aux metalleux de décomplexer par rapport au fait que oui, la musique de ne résume pas à du blast ou à une formule unique qui ne se résume qu'à son seul style ? Est-ce que ça fait office de petit plaisir coupable qu'ils ne considèrent pas eux-mêmes comme metal ? La production est énorme, c'est indéniable et ça participe, à mon sens pour beaucoup au succès. Les riffs manquent de personnalité ou sont juste minimalistes, la puissanace de la prod' leur permet d'élever justement le peu d'essence du riff. Et tout le côté pop... C'est ce que propose la musique mainstream, électro et j'en passe depuis ces dix dernières années et sans renouveler le genre. Doit-on louer le groupe pour avoir eu l'idée de coller tous ces styles ensembles ? Je ne sais pas. En tout cas, il est clair que ça a amené pleins de curieux qui n'écoutaient absolument pas de metal car Sleep Token propose davantage de la pop que du metal (surtout sur cet album). Et attention, c'est pas un problème en soit de faire autre chose que du metal, au contraire. Pour le coup, c'est peut-être bien, si ça permet aux gens de découvrir de nouveaux horizons. Et du coup, ça fait peu l'effet inverse pour ces personnes : ça leur semble incroyable car ils ont accès facilement à un peu d'agressivité intrinsèque au metal dilué dans un océan mielleux de lignes vocales (que l'on laissera à l'appréciation de chacun) et d'une prod énorme. D'ailleurs, j'ai l'impression que ces dernières années, les groupes de metal moderne, dans une vibe assez metalcore ont pris d'affection cette formule pop-metal (Novelist, Spirit Box, Make Them Suffer qui restent tout de même plus violents). Et finalement, ça regroupe comme ça divise pour ces raisons interconnectées. Il y aurait beaucoup de points à développer dans le propos. Pour moi, le plus gros problème de cette nouvelle vague, c'est que paradoxalement à ce qui est avancé comme un argument de nouveauté me semble au contraire manquer de beaucoup de personnalité.

Merci pour ta chronique en tout cas, c'est intéressant de voir comment la perception d'une oeuvre varie du tout au tout d'une personne à une autre.

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Chronique @ Groaw

18 Mai 2025

L’éclat vacillant d’un culte en métamorphose et une inspiration suspendue entre ferveur et oubli

Dans l'ombre où murmure l’occulte et là où les cœurs brisés cherchent une liturgie s’élève Sleep Token, entité énigmatique menée par une voix de velours et de larmes à savoir Vessel. L’être n’est ni homme, ni dieu mais l’intermédiaire d’un culte voué à un amour ancien, peut-être imaginaire, peut-être éternel prénommé Sleep, divinité du silence et de la passion.
L'offrande du collectif débute en clair-obscur, avec Sundowning (2019), cathédrale de sons où chaque piste est un autel, chaque note un exorcisme. On y entend le mariage du metal et du R&B, la tendresse qui flirte avec la rage, les soupirs électroniques qui se mêlent aux cris célestes, un album comme un coucher de soleil éternel où l'âme cherche rédemption dans le tumulte des sentiments.
Vient ensuite This Place Will Become Your Tomb (2021), un murmure abyssal et une confession d’un cœur qui se délite. Les textures se font plus amples et les structures plus liquides. Ici, le sanctuaire devient labyrinthe et la douleur s’y étire avec élégance telle une brume qui refuse de se dissiper, un lieu où l’on se perd volontairement pour mieux renaître.
C’est finalement en 2023 qu’arrive l’apothéose du groupe, le très décrié Take Me Back to Eden, une rose piquante qui éclot comme une apocalypse amoureuse, un opéra sans rideau, un dernier acte livré à nu où les échos d’un paradis perdu résonnent entre brutalité sacrée et caresses digitales. Les Britanniques y atteignent une forme d’extase sonore et mêle breakdowns colossaux et balades suspendues dans une tension mystique entre fin et commencement.

Un souffle nouveau traverse le sanctuaire

Even in Arcadia ne vient pas du même lieu que les autres rituels. Il semble émerger d’un monde parallèle, un jardin étrange où l’éternité s’effrite lentement. Le titre lui-même évoque un paradoxe : même au cœur du paradis, la mort parle encore. Mais ici, ce n’est pas la fin que l’on célèbre, c’est la beauté de ce qui fane en silence. Dans ce disque exubérant et spectral, notre formation abandonne les grandes cathédrales sonores pour mieux s’égarer dans des ruelles de synthèses diaphanes, de pulsations mécaniques et de voix filtrées par l’écho d’un rêve : moins prière, plus murmure ; moins cri du cœur, plus étreinte fantôme. Cette quatrième esquisse n’est pas un banal coup de pinceau, il est un fragment, un éclat de mémoire tombé d’un monde oublié, une fenêtre entrouverte sur un futur ruiné ou peut-être un passé idéalisé. Nos artistes nous immergent dans leur plus pur mystère, une âme insaisissable, éphémère mais chargé de sens.

Un esprit entre deux tempêtes, une liberté en forme de question

Mais à force de questionner, Sleep Token semble s’être peu à peu éloigné de son propre autel. Car dans Even in Arcadia, quelque chose vacille. La ferveur se dilue dans des choix esthétiques qui, au lieu d’approfondir le mystère, en émoussent l’impact. Loin des envolées cathartiques et des crescendos organiques qui faisaient vibrer les précédents opus, les ritournelles s’abandonnent à une mer plus tiède où la trap et les rétroéclairages R’n’B viennent border la prière d’un voile trop lisse. Past Self en est un témoignage frappant où les percussions claquent avec une certaine froideur numérique et où le rythme s’étire dans une nonchalance presque désincarnée. On reconnaît parfaitement la patte des musiciens mais elle est tremblante. On entend également leur cœur mais il bat sous anesthésie. Ce choix d’enlacer des sonorités ultramodernes donne à l’ensemble une texture paradoxales : soignée mais creuse, hypnotique mais sans vertige. Le quatuor, dans ce fragment-là, semble plus chercher à séduire qu’à bouleverser.

Les mots comme vestiges sacrés

Pourtant, au-delà des choix sonores discutables, l'écriture de Vessel demeure une lueur dans la pénombre. Les textes se font incantations et tissent des récits où l'intime et le mythologique s'entrelacent. Sur le morceau éponyme, le vocaliste évoque une forme de quête de rédemption, une préparation à un jugement inéluctable et mêle spiritualité et introspection (Come now, swing wide those gates / 'Cause I have paid my penance kindly well in time for judgment day). Damocles se présente comme une ballade psychologique où le chanteur confronte ses propres vulnérabilités. La chanson progresse grâce à un piano délicat vers des sonorités plus intenses et reflète une véritable montée en puissance émotionnelle. Quant au titre Caramel, il explore les douceurs et douleurs de l’amour avec une sensualité palpable grâce à son style reggaeton. La composition offre un travail lyrique qui capture la complexité des émotions humaines, un chaos accentué par le passage final dans un registre blackgaze.

Les braises sous une carapace fragile

Si Sleep Token s’égare parfois dans des limbes électroniques, il n’en oublie pas pour autant l’éclat brut du fer et du feu. Even in Arcadia, malgré sa parure plus synthétique, conserve des poussées métalliques qui tranchent le silence comme autant d’épiphanies furieuses. Ces instants, rares mais précieux, rappellent que le culte ne s’est pas entièrement détourné de ses fondations de granit.
Sur l’ouverture Look To Windward, une montée en tension s’installe et culmine en une explosion de guitares saturées et de percussions martelées. La voix de Vessel, d’abord douce et éthérée, se mue en un cri primal et rappelle les racines djent du groupe. Emergence poursuit cette dynamique et alterne entre des couplets apaisés et des refrains puissants où les riffs tranchants et les rythmes syncopés prennent le devant de la scène. La structure du morceau évoque une lutte intérieure, une oscillation entre quiétude et fracas. Infinite Baths clôture en beauté l’album sur une note puissante. Après une introduction atmosphérique, le morceau bascule dans un final où les éléments métalliques s’entrelacent avec des textures plus électroniques et créé un paysage sonore riche et contrasté.

Un dernier écho dans l'alcôve des murmures

Ainsi s’achève cette nouvelle incantation, plus trouble, plus fluide, plus énigmatique. Even in Arcadia n’est ni une rupture, ni une révélation : c’est une mue silencieuse, une marche sur la crête fragile entre la fidélité et l’expérimentation, un disque qui interroge plus qu’il ne répond, qui s’éloigne parfois de l’éclat divin au profit d’un reflet flou mais qui garde cette empreinte unique, celle d’un culte qui préfère le vertige à la certitude. Sleep Token, ici, nous livre un artefact hybride, un souffle venu d’ailleurs, moins immédiat, moins viscéral mais peut-être plus spectral. L’adoration devient contemplation et la ferveur un doute suspendu. C’est là, dans cet équilibre instable, que réside la beauté de ce quatrième opus : un mirage sonore qui ne s’impose pas mais qui hante.

Le bourdonnement d’une seconde œuvre

À peine Even in Arcadia a-t-il déployé ses ailes que déjà, une nouvelle ombre s'étend sur l'autel. Le 16 mai, une publication énigmatique surgit : une silhouette en posture de combat, surmontée de l'inscription "The Battle Continues…". Pas de "Behold…", où aucune proclamation ne figure, seulement ce message sibyllin qui embrase les conjectures. Et si cette bataille évoquée n'était pas une fin mais une transition, une passerelle vers une seconde entité, un miroir inversé où les harmonies se muent en dissonances, où la lumière cède la place à l'obscurité ? Peut-être que cette première projection n'était que l'aurore d'un crépuscule à venir, une promesse d'explorations plus profondes, plus sombres, plus intimes. Dans ce silence chargé de présages, une certitude demeure : le culte ne repose jamais. Et nous, fidèles égarés, attendons avec une grande impatience la prochaine exaltation, la prochaine lamentation, le prochain tableau.

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