Et voilà que dix ans après sa mise en terre, le cadavre putride de
Nortt ouvre le cercueil dans lequel il pourrissait et revient hanter le monde des vivants. Pour ceux qui n’auraient pas suivi,
Nortt, de 1995 à 2007, c’était l’une des incarnations du doom black le plus désespéré, suicidaire et misanthrope, une musique terriblement dépressive, minimaliste et rachitique, sorte de longue marche inéluctable vers la mort. Mais, après la longue plainte lugubre de
Galgenfrist, le Danois s’est tu. Lentement, silencieusement, il est retourné dans le monde des ombres qu’il n’aurait jamais dû quitter, laissant un lourd héritage de dépression dans son sillage, et quelques jours après ces funérailles, le soleil a refait sa timide apparition.
Jusqu’à cette date maudite du 29 décembre 2017, où Avantgarde Music a décidé de desceller le caveau de l’horreur, boîte de Pandore de la musique qu’il aurait mieux valu continuer d’ignorer pour l’éternité. Dix ans après sa mort donc,
Nortt revient avec
Endeligt, son quatrième album, et le temps semble ne pas avoir eu d’emprise sur cette entité dont le corps est déjà tombé en poussière depuis longtemps. Cette nouvelle pièce s’ouvre sur Andaegtigt Dodsfald, morceau d’ambiant minimaliste aux sonorités inquiétantes et sourdes, bande originale d’un au-delà froid et inconnu dans lequel le cadavre décharné du musicien n’aura de cesse de vouloir nous entraîner durant les 39 minutes que dure l’album. Les guitares, baveuses et saturées, se mettent lentement en branle dès 2,06 minutes histoire d’animer un peu plus le cauchemar, et des percussions lentes et lourdes viennent rythmer la six-cordes qui traîne ses notes sales et grises dans la boue comme un cœur à l’agonie. On reconnait immédiatement l’empreinte sonore unique du one-man-band, et pas de doute,
Endeligt est la suite logique de
Ligfaerd et
Galgenfrist, avec des mélodies de clavier aussi simples que funèbres, quelques arpèges gelés, des guitares obscènes qui vrombissent leurs derniers rugissements et la voix putréfiée de
Nortt. Un rythme lent et anémié et des guitares acides qui expirent leur souffle ultime, avec par-dessus ce squelette musical, quelques notes de clavier répétitives qui font souffler un vent glacial sur l’ensemble de l’album, voilà en gros ce qui compose ces neuf titres qui lorgnent toujours plus vers l’ambiant (Andaegtigt Dodsvald, Gravrost, la glaçante Kisteglad, funèbre et irrésistible appel vers l’au-delà).
On le sait, les albums de
Nortt ne respirent pas la joie, et
Endeligt ne fait évidemment pas exception à la règle. Oui, bien sûr,
Nortt est triste, pue la mort et le désespoir, ceci dit, les 39 minutes de ce quatrième album sont empreintes d’une certaine sérénité, et un état d’indifférence proche de la sagesse nous engourdit lentement au fur à mesure que les pistes défilent : on se sent comme détaché de tout, empli d’un sentiment de résignation flottant, l’immatérialité de la musique nous éloignant toujours plus de la vanité superflue d’un monde auquel on ne croit plus. De cet amalgame de tristesse et de cataplexie se dégage une certaine beauté qui semble vouloir nous appeler au loin, au milieu de ces ténèbres grises qui s’enroulent autour de nous, comme un chant des sirènes hypnotique qui tente de nous charmer de sa voix de sépulcre, et dont les promesses ne sont pas simplement celles de la paix éternelle du tombeau, mais celles d’un outre-monde aussi fascinant que mystérieux : si les guitares, lentes et mortuaires, grésillent et bourdonnent, les claviers proposent parfois de timides éclaircies dans cette grisaille crépusculaire (Fra Haeld Til Intet, morceau enivrant plus mélancolique et contemplatif que réellement létal, Stov fot Vinden, aux mélodies tristes très proches du doom funéraire). D’une manière générale, la mélodie est plus présente qu’auparavant (le superbe Afdo), et on remarquera d’ailleurs que le son est plus propre et puissant, moins drone et grésillant que sur les albums précédents, le rythme plus marqué, la voix plus articulée, grave et intelligible, donnant un côté plus palpable et concret à la musique du Danois qui s'apparente de plus en plus au funeral doom.
Que dire de plus sur cet album ? Le one-man-band continue imperturbablement son chemin vers les profondeurs sans se préoccuper des turpitudes du monde extérieur et distillant comme il y a dix ans son malaise musical unique et identifiable entre mille.
Endeligt ne constitue qu’une étape supplémentaire et ne changera pas la donne, ceux qui aimaient le groupe avant continueront à l’aimer et ceux qui le détestaient continueront à le détester. Quoi qu’il en soit,
Nortt s’en fout, puisqu'il est mort depuis 1995…
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