Rarement groupe français n’aura marqué par sa différence le paysage du
Hard-Rock en ces années 80. Quasiment indifférent au côté obscur du star system, cette bande de potes, en parfaite communion avec ses fans, prendra et donnera un plaisir fou sur scène en l’espace de cinq années. La fulgurance de leur courte carrière mérite de s’attarder quelques instants sur leur histoire, leur style et leur musique.
Philippe Guadagnino, bassiste talentueux, et son ami guitariste Pierre Holzhaueser connurent en 1979 un premier revers avec leur groupe Diamant et le monde austère des maisons de production discographique hexagonales. Projet de disque avorté, les deux joyeux lurons de l’Essonne, en banlieue parisienne, font la rencontre en
1980 d’un chanteur prometteur en la personne de Marc Ferry et enrôlent au poste de batteur un ami d’enfance de Pierre, Régis Martin. Blasphème est né. Déçu et trahi quelque part par les grands argentiers du disque, le groupe se focalise sur la scène et écume les MJC de l’époque. Privilégier les échanges et les contacts avec le public leur permet d’être très vite suivis par une base de fans grandissante, semaine après semaine. Leur toute première démo de fin
1980 contient 5 titres (Jéhovah,
Désir de Vampyr, Saint d’esprit,
Sanctuaire et
Jack l’éventreur) et fera le bonheur des radios, encore souvent pirates. Leur persévérance dans l’effort va leur offrir l’opportunité de faire figurer le titre « Jehovah » sur la compilation
Metal Plated en 1983 de la compagnie anglaise Ebony, dont
Vulcain, aussi présent avec
Demon Eyes sur ce disque, immortalisera l’expérience d’enregistrement avec son légendaire « Ebony » sur « Rock’n roll secours ». Lors d’un énième concert sur
Paris en
Octobre 1983, le producteur anglais Rob Wood convaincu du potentiel scénique et musical du quatuor leur propose un premier deal qui se concrétise (enfin) en un premier album éponyme. Malgré le succès énorme de ce premier disque, la scène reste le premier point d’attention de Blasphème. Combien ont encore en mémoire ce moment de douce folie vécue un jour de Toussaint 1984 au forum des Halles ? Blasphème communique à ses fans leur bonne humeur, leur autodérision d’un système qui les rebute. Quatre copains, unis et solidaires, qui ne se prennent pas la tête. Et ils tournent et tournent encore, sans pour autant franchir les frontières du pays. Ce sera chose faite peu après la sortie de cette nouvelle galette.
Ce second album, sorti telle une primevère au printemps 1985, est d’abord singulier par sa pochette grise et rose, toute en symbole. Le diablotin accroché à cette croix renversée est un clin d’œil aux débats incessants du PMRC aux États-Unis sur le caractère satanique du
Hard-Rock. Ce groupe de pression, Parents Music Resources Center, créé en 1984 se lancera dans une croisade telle, que
Dee Snider et
Ozzy Osbourne durent intervenir sur les chaines de télévision américaines alors que ce mouvement faisait un bien immonde rapprochement entre le suicide d’un kid et le titre «
Suicide solution ». Ils furent à l’origine de la mention « Parental advisory » que l’on trouve encore sur certains disques, comme une mise en garde et une sortie sans gloire excessive d’une bataille qui défraya la chronique de longues années durant. Blasphème aurait sans nul doute invité Tipper
Gore et Susan Baker, deux femmes de sénateurs américains à la tête de cette croisade, à assister à l’un de leurs concerts plutôt que d’écouter les 33 tours d’AC/DC et Motley Crüe à l’envers afin d’y déceler un texte subliminal à caractère satanique…
Cet album est aussi riche de textes plus hilarants et réussis les uns que les autres. Les thèmes abordés restent plutôt classiques, comme le sexe, la religion et les faits de société. Néanmoins, le verbe de Marc Ferry est particulièrement croustillant. Par exemple, «
Seul » est une apologie du plaisir solitaire et une ode à la « veuve-poignée », transpercé par un couplet divin « Et l’homme au noble geste, qui donnait ses caresses, dans la souffrance de l’amour, espère toujours, non sans humour, qu’à deux l’amour, ça rend moins sourd ». Le thème de la débauche est abordée dans « Orgie romaine », où l’empereur César « prend le droit de cuissage, qu’il monnaie en nature, tant les vices du dépucelage le font bander bien dur » avant de jouer « le sexe fort, qui s’offre à contresens, mais le vice en guise de mort, le castre d’impuissance ». S’interrogeant sur la nature humaine avec son « Homme ou diable, où diable est l’homme ? » dans « Saint d’esprit », Marc Ferry devient vindicatif et Trustien sur « Taxer le peuple » et bien philosophe sur « Contrôle » lorsqu’il déclare « l’homme a toujours une idée pour s’évader, l’idée a toujours trouvé l’homme pour voyager, si un jour deux hommes se donnent à la même idée, ils n’ont qu’une idée, c’est de la tuer ». Pour finir sur une note optimiste, dégustons « Erreur de mœurs » et son couplet « chanteur au pénis entier, connaissant la mesure, les femmes qui veulent essayer, je suis à leurs pointures », titre durant lequel le chanteur joue avec son organe de castrat et une éventuelle absence de virilité prétendue. Non ce n’est pas une erreur, Marc Ferry est bien UN chanteur ! Son chant donne d’ailleurs l’illusion d’un accouplement inavoué et bestial entre Florent Pagny et Daniel Balavoine. Bien belle prose qui confirme que Blasphème n’a nul besoin d’endosser cuir et clous, textes sataniques et ambiance morbide pour faire de la musique.
La bande d’amis n’est pas en reste pour la partie musicale. Cet album bénéficie sur sa version originale d’un son propre, voire un peu « clinique » pour la guitare qui est assez en retrait sur les parties de lead, alors que le chant est mis au premier plan. Et quel chant ! Voix plutôt grave qui sait si bien monter dans des aigus à la
Ian Gillian (« Au nom des morts », « Orgies romaines »), Marc partage cette singularité avec Pierre Guiraud des
Satan Jokers dans un registre un peu différent. Il est époustouflant sur «
Vivre Libre », titre lent où la clarté de sa voix, proche du timbre aigu de Balavoine au début, épouse la partie de guitare tout en toucher de Pierre Holzhaueser. Tout au long des 10 titres, le timbre du chant de Marc s’adapte à l’atmosphère que souhaite dégager le groupe sur chaque chanson. Parfois conteur, parfois moralisateur mais toujours en phase avec une structure plus lente ou un rythme soutenu. La section rythmique fait penser pour les lignes de basse à Steve Harris et le jeu technique sans démonstration de frappe excessive de Régis Martin apporte le punch nécessaire aux compositions.
Leur signature musicale est marquée par une influence de
Judas Priest et d’Iron Maiden.
«
Seul » en est l’exemple, titre rock abouti et réussi. Basse trépignante, batterie claquante et ligne de guitare fluide comme Iron Maiden et beau solo à la Judas. Accroché aux paroles de Marc, les quatre minutes passent à la vitesse de l’éclair. On retrouve au rayon des morceaux plus rapides « Orgies romaines » et ses chœurs gothiques en introduction, assorti d’un break béton et un solo en toucher, « Contrôle », titre speed avec un riff proche de Motörhead et un couple basse/batterie bien au diapason, ou bien encore « Taxer le peuple », titre punk dans l’esprit et son super riff de guitare qui fait un écho permanent à la diatribe de Marc Ferry, qui a revêtu le costume d’un
Bernie Bonvoisin moins énervé. En morceaux mid-tempo et dégageant une atmosphère spécifique, « Saint d’esprit », tout d’abord, est un titre construit sur une ligne de guitare à la
Judas Priest et un chant où Marc Ferry s’invite régulièrement dans les graves. «
Désir de Vampyr » installe, quant à lui, une sensation un peu malsaine sur un riff très Accept sur les bords pour partir dans une accélération Maidenienne et s’achever dans un cri perce-tympans, marque de fabrique du frontman du groupe. Belle partie de guitare sur ce titre aussi, œuvre d’un Pierre Holzhaueser qui gagne à être connu. Enfin, « Erreur de mœurs » clôt pour sa part, avec son contretemps de batterie, la panoplie des titres à l’influence Iron Maiden. Le riff et les arpèges de guitare fleurent bon le «
Piece of Mind » par moments.
Comme «
Vivre Libre », « Territoire des hommes » et « Au nom des morts » figurent dans le registre des titres plus lents, où le chant est bien mis en avant, sans pour autant masquer la qualité du solo du premier des deux. « Au nom des morts » et sa construction complexe permet à nouveau à Marc Ferry de laisser son organe s’aventurer sur les terres de
Ian Gillian lors d’un refrain d’arrière-cour d’église.
Le clap de fin pour Blasphème intervint donc dès 1985 avec un split cruel malgré la vente de 20 000 exemplaires de cet album. Absence de structure, maison de disques te buvant le sang jusqu’à la dernière goutte, promotion en berne : le quotidien des groupes français à l’époque. Ils seront obligés de quasiment autoproduire le clip de «
Seul » dans lequel apparait en videur de boîte le futur chanteur-leader des Garçons Bouchers, François Hadji-Lazaro. Pourquoi donc se reformer une vingtaine d’années après, me direz vous ?
Pas pour en faire une opération financière quelconque, rassurez-vous. Pour le fun ! Oui, juste le fun. Refouler à nouveau les planches, comme marcher sur des braises qui vous auront tiraillé les entrailles pendant une si longue absence. Et en prime, Blasphème a confié les baguettes de batteur au fiston Guadagnino, Aldrick, qui avec papa propose une section rythmique bien carrée. Une bande à part, vraiment à part.
… Bourre et bourre et ratatam le corps de femme
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