Niclas Frohagen n’est pas à proprement parler un joyeux drille. Comment pourrait-il l’être d’ailleurs, lui dont la sensibilité se tisse dans la fibre du doom / death désabusé des premiers
Katatonia, lui qui fut co-auteur du tragique "Where Dreams Turn to
Dust", un opus remarquable d'une mélancolie poignante et meurtrissante.
… Et dire que ce n'était qu'un aperçu …
Désormais seule âme hantant la Forêt Des Ombres depuis le départ de Micce Andersson, le suédois s'est fermement replié sur lui-même. En proie à une période extrêmement trouble de sa vie, il a clairement touché le fond, se raccrochant à sa musique pour éviter de céder à l'abattement, de celui qui pousse à lâcher prise pour sombrer dans les abysses. Son art comme exutoire à ses maux, accouchant douloureusement d'une œuvre au combien intimiste … "
Departure", son manifeste d'une souffrance abominable.
Personnel, cet album l'est assurément, au point d'être parfois ostensiblement boudé. Original, il l'est aussi, au point d'être parfois misérablement rejeté. Bien plus que de subtilement y insuffler une part de lui-même, Frohagen y a littéralement mis toutes ses tripes bilieuses et tout son cœur battant d'amertume, allant même jusqu'à puiser son inspiration à des sources hors de la sphère metal pour parvenir à exprimer pleinement son malaise.
Ainsi, l'orientation électronique de la démesurée ouverture de "Sleeping Death" a de quoi rebuter le plus traditionnaliste des doomers, qui filera vite fait vers des terres plus organiques. Et pourtant, c'est peu dire qu'elle s'accorde à merveille au psychisme neurasthénique de son compositeur, faisant plus que fortement déteindre sur ce morceau en particulier et sur l'album en général. Elle administre d'entrée un venin hautement carcinogène, ce même venin mortel qui empoisonne le très sombre et glacial "Mezzanine", conçu par les trip-hopeux bristoliens de
Massive Attack à une époque douloureuse de leur existence, … eux aussi. Le parallèle est saisissant et d'évidence, "Sleeping Death" reprend les notes de piano éparses de "Teardrop", aux résonances graves et troublantes, réenclenche les ressorts rythmiques de "
Angel", sa construction évolutive sur fond de percussions au hachoir de plus en plus insistantes au fur et à mesure que se densifie la grisaille poisseuse. Frohagen y appose sa marque en étirant au maximum les patterns pour s'engluer encore plus dans cette grisaille tournant au noir pétrole, accompagnant la noyade d'arpèges acoustiques sournois nous y plongeant toujours plus profondément … avant de brusquement se mettre à nous broyer de riffs d'une lourdeur monstrueuse : le second mouvement de "Sleeping Death" ravive la lancinance du
Shape Of Despair des débuts, dont Frohagen s'est avidement nourri, lui ôtant au passage la teneur éthérée pour n'en conserver qu'une angoisse dévorante, troquant l'hypnotisme planant et cotonneux contre le tranchant froid et assassin de la lame de rasoir.
Enchâssée dans ces nouvelles influences, la fibre katatonienne ne s'est pas pour autant estompée de la musique de
Forest Of Shadows. Elle subsiste notamment dans le troisième mouvement de "Sleeping Death" où l'on retrouve cette manière de ciseler des mélodies simples mais à la teneur émotionnelle orgiaque, le choix des notes justes sans tomber dans la technicité démonstrative. Elle persiste comme la désillusion continue de flouter la vision de Frohagen sur le monde qui l'entoure, un monde où tout semble s'écrouler, un monde où tout sourire semble dégouliner comme une mauvaise (dé)confiture, un monde duquel il se sent étranger … A l'instar de son chant qui se trouve éloigné dans le mix, dans un rapport de distanciation accentuant la morosité de son timbre clair dénué de toute pleurnicherie mielleuse, décuplant la rage intestine de ses growls déchirants… La voix d'un supplicié constamment à la limite de la rupture sous le joug de ses tourments internes, tour à tour fredonnant et fulminant des paroles qui peuvent certes paraître cliché, demeurent néanmoins chargées d'une tristesse parfaitement sincère.
Sincérité, tel est le maître-mot à retenir de ce dantesque "Sleeping Death" qui s'impose comme une pièce singulière autant qu'audacieuse, à l'image du reste de l'album où s'allonge le passage du temps tandis que s'accroît un mal-être gagnant en intensité par les contrastes exacerbés de "
November Dream" et "Open
Wound". Deux monuments s'ouvrant à quelques séquences plus délicates et épurées, dignes du rock atmosphérique de l'
Anathema post-"
Alternative 4" où l'on sent parfois renaître l'embryon d'une lueur d'espoir … Autant de chimères bien vite anéanties par l'impitoyable réplique de la masse doom huileuse, ses miasmes cafardeux, ses mesures assenées sans aucune pitié, enserrant le thorax déjà bien alourdi d'un terrible chagrin.
Le rêve est beau, mais le retour à la réalité fait mal. Tenter de remonter pour finir par s'écraser encore plus bas, encore plus durement, pour voir se raviver des blessures ne cessant de sourdre une peine découlant des pires afflictions, de celles desquelles naissent les œuvres les plus intenses, les plus vraies, celles forgées de cette authenticité dégageant un parfum d'intemporel, … mais aussi les plus splendides.
Tel est le constat devant lequel me pose ce "
Departure", car oui, malgré son insistant et contagieux pessimisme, il y a bien de la splendeur dans cette littérale mise à nu musicale … La splendeur des instants de félicité auxquels Frohagen aspire et que l’on entrevoit au travers du voile pourri de l'écœurement, comme cet air de flûte apparaissant sur "
Bleak Dormition" et délinéant un havre de sérénité, encore vague et lointain … inaccessible ? … Des horizons cléments vers lesquelles Frohagen semble s'élancer sur le final étonnamment véloce du morceau-titre … avant de s'arrêter net sur des notes de piano énigmatiques : spleen éternel ou délivrance enfin matérialisée ?
… Il aura fallu patienter quatre longues années pour trouver la réponse …
J'adore ce groupe, ou du moins j'adore cette album. Probablement un des meilleurs qu'il m'ai été donné d'écouter. Ce contraste claire/sombre, mélancolique/lourd est géniale.
Par contre, le peu que j'ai écouté du dernier ne m'avais bien moins plus.
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