Imaginer un avenir où tout ne sera que bonheur illusoire et peine renfermée, où l'on vous promettra délicates effluves de rose et doux soleil radieux, sans daigner vous avertir que ces trompe-l'œil ne sont que l'arbre cachant la forêt … Une forêt exhalant les pires relents de charogne, s'étendant à perte du vue sous de désolants et apathiques cieux grisâtres.
Imaginer un "avenir lugubre" ? … Non … Le voir au présent, le vivre au quotidien … Le quotidien d'une civilisation moderne, accroc acharnée aux innombrables supports de cybersocialisation, s'écrivant des kikooloo sur "Mysperme", se répondant des lol sur Fesseboule, perdue dans les méandres d'un monde virtuel aspirant sa sève émotionnelle, se rendant à la merci des innombrables instruments de propagande laveuse de cerveau sévissant comme des rapaces affamés, la rendant toujours plus prompte à bouffer de la bouillie aussi nauséabonde qu'on regretterait que ce ne fût pas de la merde.
Ces saloperies d'autorités, crapules bonimenteuses camouflant du racket financier sous couvert de bienfait social, ces putains de media people établissant les standards, les définitions de ce qui est bien et de ce qui est mal, de ce qui est in et de ce qui est out, ces "enculées de majors" violant allégrement l'art musical pour n'en laisser qu'un divertissement grotesque de supercherie … Autant de putes racoleuses, pompes à oseille, aspirateurs à mentalité, réduisant notre société en un troupeau sans plus aucune once de personnalité, d'une "léthargie" veule, où chacun de ses clones réagit tel un "androïde" à leurs leçons moralisatrices dissimulées derrière le voile idyllique des bonnes paroles, des "paroles de sagesse", bourrées d'une condescendance nauséeuse, conduisant l'inendiguable flot des moutons de Panurge vers sa seule et unique fatalité, sa seule et unique "destination : nulle part", le royaume du néant, la ville du rien, celle du corps et de l'esprit de l'être déshumanisé dont les froides artères fourmillent de globules transitant comme des millions d'amas de ferraille sur un glacial revêtement bitumé, dont le cœur bat comme un modem traversé d'impulsions préprogrammées, vide de toute émotion organique…
Le quotidien d'une humanité exsangue devenue depuis longtemps sa propre plaie … et
Lifelover est le parfait instrument de la mise en musique de sa "décadence", balançant avec sa toute dernière œuvre "Dekadens" un nouveau coup de scalpel rageur dans son masque d'excellence et de respectabilité, une nouvelle éjaculation monumentale sur sa face grimaçante de perversion et d'hypocrisie … le vrai visage de l'humanité.
Comme à son habitude, le quintet suédois a été on ne peut plus ponctuel à son infaillible rendez-vous annuel, n'ayant posé aucun lapin depuis sa formation en 2005, malgré le passage par la case hôpital psychiatrique de son guitariste H il y a quelques mois de cela.
Voilà l'occasion rêvée de souhaiter avec force rails de coke, héroïne en piquouse et alcool frelaté, les seuls remèdes aux affres de l'existence, un joyeux anniversaire au brillant "Pulver", au remarquable "Erotik" et au prodigieux "Konkurs", ainsi que célébrer comme il se doit l'arrivée du petit "Dekadens", livré sous format EP avec 7 nouvelles décharges de gnole et de schnouf pour 26 minutes de festivités démentielles.
Restait alors à savoir, comme à chaque coup, si le cynisme tranchant de
Lifelover n'allait pas s'émousser avec un tel rythme … Que nenni ! Il est au contraire plus aiguisé que jamais et les incurables aficionados des barges suédois vont encore pouvoir se taper leur ration de neurasthénie pré-hivernale comme un junkie sa dose de came, et leur content de dégoût envers ce résidu de sous-primate que l'on a coutume d'appeler être humain, bouillonnant en une profonde aversion et une haine d'écorché vif ne demandant qu'à être expulsées telle la pestilentielle diarrhée d'un cancéreux du colon en phase terminale.
Sans réellement surprendre mais sans faiblir non plus,
Lifelover continue avec "Dekadens" à dévider son style si singulier, œuvrant dans un rock aussi sévèrement vitriolé que profondément déprimé, traversé de convulsions black assassines et transcendé par les vocaux déchirants de l'hallucinant Kim Carlsson, alias (), qui excelle autant dans les hurlements inhumains propres à glacer le sang d'un méditerranéen de pure souche que dans les plaintes monocordes et désabusées (doublé pour l'occasion par son compère de psychopathie Nattdal, alias B), dignes d'un looser dépressif jusqu'à la moelle fin prêt à se faire sauter le caisson et à repeindre le plafond de sa chambre putride de morceaux de sa cervelle cramée aux acides.
Un caractère dual qui se retrouve dans les morceaux proposés sur "Dekadens", glissant progressivement de compositions accrocheuses mettant en exergue les racines black metal du combo, avec les leads aiguisés de "Luguber
Framtid" dansant comme la lame effilée d'un rasoir ou encore les spasmes mortels de "Major
Fuck Off" opprimants au possible, jusqu'à des odes aigries faisant la part belle aux arpèges de guitare désenchantés et aux harmonies de piano mélancoliques ("Androider", "Visdomsord", "Destination: Ingenstans").
Sept nouveaux titres dans la plus pure tradition de
Lifelover, à une différence près, et de taille : le judicieux enrôlement d'un vrai batteur en la personne de Non, en remplacement de la boîte à rythmes en vigueur sur les précédentes réalisations du groupe, rend la musique de
Lifelover incontestablement plus profonde et consistante que par le passé, les salves rythmées enregistrant un surplus d'impact meurtrier, tandis que les instants posés gagnent en intensité intimiste.
Le gaillard, tissant tout au long du disque un jeu de cymbales puissamment mordant ("
Lethargy") ou plus finement transportant ("Visdomsord"), s'est manifestement très bien intégré à la bande de disjonctés déjà en place, signant de sa plume acerbe et incisive plusieurs textes, dont l'excellent "Myspys", qui peut être vu comme un jeu de mots entre le nom du célèbre site de cybersocialisation (Myspace pour ceux qui n'auraient pas suivi) et le terme "spys" signifiant "vomir" en suédois.
Se nourrissant de tout ce que la civilisation moderne offre de plus laid et de plus abject en ce bas-monde,
Lifelover poursuit son œuvre empreinte de marginalité et de folie … Une folie paradoxalement lucide quant à l'inexorable décrépitude du monde qui nous entoure, y posant un regard aussi impudent que sans concession … Une folie profondément ancrée dans le cerveau de ses géniteurs, dont l'inspiration semble couler d'une source inépuisable, délivrant un nouveau crachat hautement caustique du nom de "Dekadens".
Bien plus qu'un simple EP, bien plus qu'une simple collection de titres composés à la va-vite et jetés en pâture aux fans invétérés, ce "Dekadens" leur est tout aussi indispensable que les précédents albums. Une réussite constituant en outre une excellente porte d'entrée aux curieux et autres inconscients qui souhaiteraient partir à la découverte du secteur acrimonieux de
Lifelover, de son environnement délabré sur fond de déchéance urbaine, avec un format court qui incite à enclencher la touche repeat pour en profiter … inlassablement … s'en abreuver … encore et encore …
Juste encore une petite dose …
Rien qu'une petite dose …
Et en ce qui concerne la musique, encore une sorti réussie pour le groupe, toujours aussi barrée et jouissivement maladive.
Plein de souffrance et de haine. Saleté de vie. Putain de groupe !
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