A peine une démo réalisée et une série de concerts locaux achevée que le combo espagnol, porté par un vent d'inspiration nouveau, remet le couvert. En effet, suite au remarquable « Maqueta » (2011), la bande à Samuel Munoz (compositeur et guitariste) revient dans les rangs avec « Chaos », imposant album full length d'une heure d'un ruban auditif à la fois dynamique et romantique sur lequel s'égrainent 12 pistes, y compris les 5 de la-dite démo. Dans ce message musical conjuguant metal gothique et touches progressives et symphoniques s'illustre à nouveau la charismatique mezzo-soprano Cristina Mendoza, au timbre de voix apparenté à celui de Simone Simons (
Epica). On y décèle les mêmes sources d'influence à l'image de
Diabulus In Musica,
Within Temptation,
Xandria, Beto Vazquez
Infinity,
Xandria ou
Delain. Déjà remarquées sur le précédent opus, la qualité d'enregistrement comme celle du mixage permettent une mise en valeur optimale des solides et magnétiques compositions de cette auto-production. Va-t-on alors assister à nouveau à un spectacle tenant toutes ses promesses et goûter à ce qui a pu manquer dans la première offrande, à savoir un brin d'originalité et de diversité atmosphérique et vocale ? En piste...
Les premières portées vocalisées de l'opus renseignent déjà sur les intentions de nos acolytes de s'illustrer, visant une adhésion quasi-immédiate du pavillon, sans pour autant céder aux sirènes de la facilité mélodique. Un signe est donc lancé à la concurrence à l'aune du vivifiant « Look into My
Eyes », titre metal gothique mélodico-symphonique progressif inspiré par les vibes d'
After Forever, de Theatre of
Tragedy et des premiers
Sirenia. Ce faisant, cet acte épique, déjà présent sur la démo, laisse la cavalerie instrumentale s'emballer au fur et à mesure de son avancée sur son truculent chemin rythmique. Des blasts bien sentis, des riffs en tirs en rafale, contribuent à dynamiser le pléthorique convoi orchestral, magistralement distribué à l'image de Beto Vazquez
Infinity. Mention spéciale pour le flamboyant solo de guitare à l'expert délié octroyé par Samuel. Sans oublier les puissantes et claires impulsions de la sirène, d'une soufflante justesse, que ce soit sur les lumineux couplets ou sur les refrains, immersifs à souhait. On comprend dès lors que la formation ibérique tient déjà toutes ses promesses, à l'aune d'une piste que l'on ne quittera pas d'un iota, conjuguant comme il se doit technicité et mélodicité, redoutables d'efficacité. Et ce, avec un souci permanent de la parfaite cohésion groupale. Un second argument, et non des moindres, vient conforter cette assertion. Ainsi, le tonitruant « Chaos », lui aussi inclus dans la démo, laisse exploser sa fougue percussive sans y perdre en substrat mélodique, loin s'en faut. On détecte déjà les prémisses d'un hit en puissance qui s'inscrira durablement dans les mémoires de ceux qui y auront goûté. Inspiré par les harmoniques propres à
Delain et le saillant riffing d'un
Epica des premiers émois, ce morceau distille une heureuse alternance de sculpturaux couplets et d'imparables refrains, dotés en prime de soyeuses nappes synthétiques et d'un flow d'une grâce indéfectible.
Assurément l'un des moments forts de cette pièce en actes.
Quant à l'entraînant «
Sad Men », il joue aussi dans cette catégorie metal gothique mélodico-symphonique, avec quelques points d'accroche toutefois moins lisibles. Cette offensive et souriante proposition, dans le sillage percussif de
Delain, dissémine de subtils accords à la lead guitare corroborés à de frétillants riffs, et ce, sans y perdre de son substrat mélodique, celle-ci optant davantage pour les nuances de tonalité que pour d'imparables séries de notes. Et la sauce prend sans avoir à forcer le trait.
Sinon, dans une logique moins directement orientée vers les charts, les Espagnols tirent aussi leur épingle du jeu, notamment lorsqu'ils jouent avec habileté des contrastes atmosphériques, mélodiques ou rythmiques. En témoigne le vrombissant « Idyllic World », assénant ses riffs assassins adossés à une saillante rythmique, dans la droite lignée d'
After Forever. Si les couplets se montrent toniques et linéarisés, le contraste est saisissant avec les refrains, légers et catchy, non sans rappeler
Diabulus In Musica. Un somptueux solo de guitare s'intercale sur un sculptural pont mélodique, avant de voir le convoi orchestral fuser et exploser sur le faîte du refrain, doublé par le gracile filet de voix de la douce. Dans une mouvance rythmique plus contenue, le combo parvient non moins à encenser le tympan. Sous l'égide d'une rythmique entraînante, plurielle, un tantinet syncopée et frelatée, secondée de quelques accords effilés d'une hispanisante guitare acoustique, à la manière de
Diabulus In Musica, « A
Past Secret » déroule le tapis rouge pour nous convier à une plage empreinte de sérénité, où règne une parfaite harmonie instrumentale et d'amples et saisissantes variations. Mû par un don peu commun de la richesse mélodique, corroboré à une envoûtante touche latina, le collectif nous mène en de célestes espaces oniriques d'où l'on ne redescendra que pour mieux les regagner. Que les amateurs de formations plus aguerries dans ce registre se rassurent, ils y trouveront de quoi se sustenter, et ce ne sont ni les fondantes inflexions ni le placement, d'une précision chirurgicale, de la jeune diva qui démentiront ce constat. Surtout, nos acolytes recèlent cette rare capacité à véhiculer une puissante charge émotionnelle, si souvent requise par leurs homologues stylistiques et pas nécessairement au rendez-vous des attentes de tympans de plus en plus exigeants en la matière.
Quant au secteur des moments tamisés, le combo ibérique se montre non moins à son aise, offrant avec sincérité et en toute humilité ses mots bleus. De délicats arpèges au maître instrument à touches s'échappent et s'accouplent avec le vibrant et cristallin timbre de la déesse sur « I Feel Unlike with You », touchante ballade, tout en nuances mélodiques. De romantiques séries de notes à la guitare acoustique s'invitent à la danse d'un titre gagnant progressivement en richesse orchestrale pour nous offrir un féérique moment d'intimité, à l'image d'un slow qui emballe, dans la veine d'
Epica, rien de moins. Difficile dans ces conditions de résister aux charmes incompressibles de ce voluptueux et magnétique instant de félicité servi par des arrangements d'excellente facture. De son côté, la ballade progressive « Seize the Day », là également non sans rappeler
Epica dans son schéma oratoire, laisse entrevoir une confondante finesse du timbre de la jeune interprète. Lorsqu'elle amorce une montée en puissance, la déesse parvient à atteindre de frissonnantes notes haut perchées. Suivant une mouture mélodique invitatoire à la captation de nos sens, la sulfureuse ritournelle recèle également des charmes instrumentaux auxquels on pourrait bien succomber, à commencer par les rayonnants arpèges d'un piano romantique jusqu'au bout des ongles. Et que dire de « My Soul
Cry », mélancolique instant en guitare/voix où un vibrant duo mixte en voix claires s'esquisse ? En toute simplicité et en légèreté, on est transporté dans un univers feutré au cheminement mélodique sécurisé, nous faisant flirter avec de lointains horizons. Une chaude émotion pourrait bien nous envahir sous les caresses incessantes des hypnotiques volutes oratoires ainsi coordonnées.
Par ailleurs, une touche exotique empreinte de mystère s'imbrique, cette fois, dans le copieux menu de la troupe ibérique. Ainsi, l'orientalisant et engageant « Satcconnia » pourra évoquer une originale combinaison des premiers
Xandria et
Epica, dans cette perspective stylistique. En cela, le combo a veillé à diversifier sa palette atmosphérique et artistique, dans un exercice qu'il maîtrise déjà, même si l'on s'y perd par moments en conjectures technicistes au détriment d'une ligne mélodique qui, peu ou prou, tend à s'affadir sur les couplets. Mais les splendides envolées lyriques de la belle ainsi qu'un solo au prégnant legato permettent d'éviter l'écueil d'une désorientation de l'attention. Un appaisant dégradé de l'intensité sonore en clôture d'acte témoigne de finitions passées au crible dans cette généreuse rondelle.
Autre nouvel exercice auquel s'est adonné le collectif espagnol, à l'instar de « The Last Way », sculpturale et aérienne fresque de 9 minutes. Avec de faux airs de Blackmore's
Night quant à l'assise rythmique sur le refrain, le groupe entonne sa marche en avant, fièrement, avec une éloquence mesurée, dans la veine percussive d'
Epica, avec un zeste mélodique d'
Arven. Sachant ménager des effets de surprise, octroyant blasts en série, riffs crochetés, breaks opportunément placés, ponts technico-mélodiques de bonne facture, la pièce en actes ne saurait souffrir de la moindre désaffection. On parcourt cette plaine luxuriante avec l'intime conviction que le potentiel déjà amorcé se révèle dans toute sa splendeur. Sans exhibition technique ostentatoire, le gemme fait cohabiter un enivrant tracé mélodique avec de radieuses lignes vocales. Et ce, de bout en bout d'une piste harmonisant le Ying et le Yang, la fulgurance rythmique et la soie d'une intimiste instrumentation.
Mais, le film n'est pas terminé, et on aurait tort de descendre prématurément le rideau sur cette scène épicurienne où les instrumentaux n'ont pas manqué à l'appel. Dès l'entame « New
Daybreak », bref titre symphonique distillant de sinueuses et enveloppantes nappes synthétiques dans une trame progressive, et ce, non sans rappeler
Nightwish, on est aspiré par la tourmente. Dans une dynamique complémentaire, d'affriolantes ondulations d'une lead guitare en pleine possession de ses moyens ne tardent pas à titiller le pavillon, entamant le frondeur «
Energy », poignant et roboratif instrumental, que d'aucuns n'attendaient pas nécessairement mais qui réserve son lot de surprises harmoniques et des accords d'une extrême rigueur. Soudain, un venimeux et oscillatoire serpent synthétique fait face à son léonin adversaire pour un titanesque et jubilatoire combat. Les coups pleuvent, les chairs sont lacérées de toutes parts et pourtant aucun de nos belligérants ne veut céder du terrain, étant au taquet de bout en bout de la piste.
Pas d'essoufflement en vue dans cet impitoyable corps à corps, où une énergie décuplée en émane, pour déboucher sur une volcanique effusion. Ce qui ne manquera pas de nous faire prendre conscience que l'on a affaire à de sérieux clients en matière de technique harmonique et de luminescence mélodique dans un exercice de style parfois en proie à la désaffection par la concurrence.
On ressort de l'écoute de la gourmande galette avec l'agréable sentiment d'être en contact avec une formation qui en a sous le pied, proposant une palette étoffée de son savoir-faire, qu'elle livre avec inspiration et détermination, sans ombres au tableau. Surtout, les carences en termes d'originalité, de prises de risques et de diversité atmosphérique et vocale repérées dans le premier effort ne sont plus qu'un lointain souvenir.
Message a donc été reçu par le combo ibérique. Là aussi, et peut-être plus qu'avant, un réel équilibre entre moments vitaminés et grisants paysages de notes s'inscrit dans les gênes de ce méfait. A l'instar de ce brûlot, on peut arguer qu'une franche progression dans son registre metal d'appartenance se dessine, asseyant une personnalité artistique et technique de plus en plus affirmée. Celle que pourrait précisément apprécier un auditorat sensibilisé par ce registre metal à chant féminin et ses illustres maîtres inspirateurs. Dans cette énergie, selon de votre humble serviteur, la formation ibérique pourrait bien avoir une belle carte à jouer et n'être qu'au début d'une longue histoire...
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