Aborder le cas
Type O Negative sans insister sur l’aspect curieux de son leader charismatique, Peter Steele, serait nécessairement une erreur. Car incontestablement l’homme est atypique, pour ne pas dire insensé. Il cultive, avec talent, l’image d’un agitateur perturbé et dépressif, à coup de frasques souvent farfelues, parfois de mauvais goût, mais toujours d’une sincérité déconcertante. Incontestablement c’est subtil, d’autant que le
Metal Gothique ne se prête pas seulement formidablement à cette introspection de la douce instabilité, il est aussi le plus parfait théâtre de ce voyage intérieur au milieu de ces propres névroses. Pourtant si les errements de cet homme n’étaient pas aussi révélateurs d’un talent assez captivant, ils n’en seraient que plus ridiculement anecdotiques.
Un aspect non négligeable de l’essence de la musique de ce groupe réside dans cette capacité, à puiser son inspiration à d’autres sources que celles étroites de l’unique
Metal. Du
Doom, au Post-Punk, en passant par le Thrash et même par le Pop/Rock, (Peter n’ayant jamais caché son amour pour les Beatles, le groupe allant même jusqu’à se présenter comme "The Drab Four" (les quatre "ternes")en référence au surnom "The Fab Four" des quatre de Liverpool)
Type O Negative aura su définir dans une vision, à la fois très personnelle et à la fois très précises, des paysages vastes riches et, quoiqu’on en dise, uniques.
Si ses deux premiers albums offrent l’évocation d’artistes qui se cherchent musicalement dans un propos influencé essentiellement par des rythmes et un esprit Punk/Rock/Thrash, aux guitares froides et mécaniques sous-accordées, véritable être hybride où les passages
Doom ne sont que des intermèdes délicieusement glauque; et où le Gothique n’est pas primordial mais sous-jacent, c’est incontestablement avec
Bloody Kisses que le groupe change, assez radicalement, de visage pour devenir un être principalement
Doom/Gothique aux charmes sensuels. L’album, qui marque véritablement un tournant important dans la carrière du groupe va incontestablement marqué les esprits car, outre ces titres envoutants, là où certains autres, à cette époque, instrumentalisent leur musique au travers de thèmes récurrents tel la mort, le désespoir, la poésie, la littérature, ou encore les quelconques autres vicissitudes souvent douloureusement imaginé dans un spectacle symbolique ou un certain romantisme suranné, et quelques peu sur joué, prends tout son sens,
Type O Negative, quant à lui, privilégie, toujours encore, une certaine authenticité, certes souvent de manière insolente, mais assurément plus légitime. Il est largement aidé en cela par son chanteur, son humour et ses humeurs dépressives. Peter ne compose pas uniquement ce qu’il ressent, mais aussi ce qu’il vit et en quelques sortes ce qu’il est.
Si ce
Bloody Kisses est dans son ensemble une synthèse d’émotions délicieuses et ensorcelantes qui caressent l’esprit au son de la voix suave, grave et charnelle de son chanteur, magnifiquement mis en avant par ces guitares profondes perdues, souvent, dans une lenteur infiniment mélancolique; c’est assurément avec les morceaux
Christian Woman et Black N1 (Little Miss Scare-All) que le groupe offre la quintessence de son art. Retraçant avec une dérision sarcastique les souffrances d'une chrétienne déchirée entre son dévouement à Dieu et ses désirs les plus inavouables pour l'un et de la futilité face aux angoisses existentielles d’une femme gothique dont les soucis d’apparence sont ridiculisés pour l’autre ; ils constituent l’ossature vertébrale la plus caractéristique de cette œuvre réussie. Dans une danse de séduction de plus de vingt minutes, le chant de Peter érotise les sens de l’auditoire, accompagné de riffs profonds. Les titres
Summer Breeze, reprise du groupe Seals
And Crofts, et
Bloody Kisses (À Death in the Family), sont deux autres chapitres aux mélopées alanguis, qui, un peu moins bouleversant de cette Bible, s’inscrivent, eux aussi, dans cette page d’histoire comme d’excellents morceaux.
Parler d’autres titres tels que Set Me On
Fire, To Late :
Frozen ou
Blood And Fire pour leur aspect plus "énergique", plus "sauvage", plus "rapide" sans évoquer que cette "énergie", cette "sauvagerie", cette "rapidité", ne venant certainement pas nuire a l'ambiance de cette romance charmeuse que constitue cet album, est somme toute, assez relative, serait trompeur. En vérité seul certains passages de We
Hate Everyone, et surtout un
Kill All the White People véloce, derniers relents Punk-Rock/Thrashy, viennent, quelques peu déséquilibrés cette aubade. Ce dernier, ultime crachat aux visages de ceux qui accusèrent le groupe de sympathie fasciste, tentent de discréditer ces accusations en prenant l’apostolat inverse, défendant un extrémisme prônant la suprématie du peuple noir.
L’atmosphère chargée de morceaux aux climats pesants de ce
Bloody Kisses donne naissance à de profondes impressions délicieuses. Ces émois délectables se mêlent à ceux déstabilisant ou l’étrangeté d’une folie douce n’est pas très loin. Peter Steele, en maître de cérémonie habile, vient semer ce trouble en complétant son œuvre par de petits instrumentaux aussi déroutant qu’incompréhensible, aussi déstabilisant qu’inaccoutumé. Ces morceaux tels
Machine Screw, Fay Wray Come
Out and Play,
Dark Side of the Womb, 3.0.I.F, qui donnent à entendre des machines ronflantes, des bébés hurlants et des femmes soient en mauvaises postures, soient en plein orgasme, sont autant de petite pièces qui viennent s’insérer parfaitement dans un puzzle aliénant, porte ouverte sur l’esprit troublé du chanteur. Imprégnant son auditoire de toutes ses émotions (romance, folie, mélancolie…), l’homme peint ici un tableau complexe qui lui ressemble et, pour peu qu’on se laisse séduire, dans lequel on retrouvera forcement un peu de soi.
Cette lenteur, maintes fois évoquées, de mélodies lascives aux chants dramatiques sur fond de riffs indolents, marquent sans conteste la moelle naissante d’un style, faisant de ces particularités identitaires propres à
Type O Negative, les références d’une frange de musiciens non négligeables. Si on peut parler d’inspiration évidente, on peut aussi évoquer bien plus que cela tant l’empreinte du groupe New Yorkais est, aujourd’hui encore, bien présente, telles des stigmates obligatoires, dans nombres d’œuvres. Ainsi on ne peut écouter
The 69 Eyes, Him, Michelle
Darkness, et d’autres encore sans immédiatement penser aux quatre de Brooklyn. Preuve en est que si
Type O Negative n’est pas tout à fait une légende, en faisant de ce
Bloody Kisses une œuvre historique incontournable, il pourrait bien le devenir.
Belle chronique, comme tu l'as dit c'est une pierre angulaire du gothic metal.
R.I.P. Pete...
Un monstre de chef d'oeuvre et merci à eux de m'avoir autant apporté.
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