Le thrash c'était mieux avant, c'est ce que se disent beaucoup de fans du genre, même si le revival thrash de ces dernières années a vu pléthore de groupes ressortir les vieux plans saccadés des années 80. Parmi cette vague, quelques-uns ont pu dépasser les schémas établis, en les modernisant, à l'image de Vector, qui a d'ailleurs sorti un split avec… Cryptosis, formation néerlandaise qui nous intéresse aujourd'hui.
Son premier album "
Bionic Swarm", paru le 26 mars 2021 chez
Century Media, est une des bonnes claques surprises de ce début d'année, et pourtant ce trio n'est pas inconnu. Laurens Houvast (guitare, chant), Frank te Riet (basse, chant) et Marco Prij (batterie) sévissaient déjà depuis quelques années sous le nom de
Distillator (qui serait un nom parfait pour un tribute band de
Tankard, tiens), avec un leitmotiv qui dit tout : "Formed in january 2013, but sounding like 1986" ! Alors que jusque-là, ceux-ci se satisfaisaient d'être noyés dans la masse et promis à un anonymat éternel avec un thrash orthodoxe au fumet de vieil
Exodus et de
Slayer au berceau, ils se sont décidés à intégrer toutes les influences et les idées qui ne cadraient pas avec leur style habituel. Lorsque l'album fût quasi terminé début 2020, il devenait évident qu'un patronyme aussi éthyliquement connoté ne collait plus avec l'identité du groupe, et
Distillator disparût de sa belle mort -burp- au profit de Cryptosis.
Rompant avec ses précédentes productions, l'enregistrement avec Olaf Skoreng (pourtant déjà à l'œuvre sur le dernier LP de
Distillator) ainsi que le mastering de Tony Lindgren ont été l'occasion de changer pas mal de choses quant au son du groupe. Un gros travail a été effectué sur la basse, pour rendre la Rickenbaker de Frank vraiment massive, avec un son plus 70's, et l'ajout de mellotron (clavier à bandes magnétiques de l'époque) pour étoffer le son du trio. Contrairement à certains groupes qui jouent live en studio, Cryptosis a préféré enregistrer la basse et la guitare en DI, pour obtenir le signal direct à la sortie de l'instrument. La technique du Reamping permet de rebalancer ce signal des prises dans les amplis pour en réenregistrer le rendu final, ce qui donne l'opportunité d'affiner les réglages à posteriori, ou de changer de pédales d'effet ou même d'amplis.
Avec les retards occasionnés par la pandémie, la sortie de l'album et sa promo n'ont pas été baclées, c'est le moins qu'on puisse dire avec plusieurs titres clippés, dont trois réalisés par Jeroen Niessink, et un concert filmé pour la soirée de sortie de l'album, visible gratos.
Les bataves ont fait appel à Eliran Kantor pour leur concocter un bel artwork qui colle au thème Matrixien de "
Bionic Swarm", où les gens sont connectés par l'intermédiaire d'un parasite qui leur bouffe le cerveau, au propre comme au figuré.
L'ambiance futuriste de l'album est distillée (
Distillator !!!) par les deux intermèdes instrumentaux "Overture 2149" et "
Perpetual Motion" : oppressante, à mi-chemin entre SF
Blade Runner ou 1984 de G.
Orwell, synthétique et froide comme une électrode de savant fou. Mais elle est infusée un peu partout, principalement par le mellotron qui habille les compositions d'une couche presque symphonique. Le son est très bon, précis dans les médiums, sans être surproduit, à l'image du son de la basse qui a un petit coté vrombissant à la Motorhead, ce qui n'est pas de trop pour épauler la seule guitare de Laurens en live.
Cependant, les hostilités commencent après une petite minute avec le rouleau compresseur "
Decypher", un titre qu'on pourrait dédier à Papa
Kreator, où même les hurlements de Laurens s'approchent d'un Mille Petrozza en plus rauque. Le thrash n'est donc pas mis au rebut : rythmique furieuse, mitraillage de double grosse caisse, tiens un ptit blast pour la route, riffs techniques et véloces, refrains scandés déboulent en une avalanche inarrêtable. Cryptosis fait un gros doigt levé au dicton qui veut qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, et repousse les limites de sa vitesse de croisière ; la vitesse d'exécution des riffs, des rythmiques et des roulements plaque l'auditeur au siège sans pitié. Oui, j'ai marqué trois fois "vitesse", c'est pour dire que ça va vite. Que dire du riff moteur de "Transcendance", où le mid tempo écrasant tranche avec l'avalanche de coups de médiators et de double grosse caisse qui vous roule dessus ? C'est du gros thrash rapide et technique, voilà ce qu'on peut en dire, en essuyant un beu de bave à la commissure des lèvres. Si la musique dérive parfois avec le progressif, les hurlements âpres et assez bourrins de Laurens gardent un fond de violence constant, compromis entre le chant d'
Exodus et
Kreator. On retrouve la déférence d'hommages appuyés aux maîtres du thrash d'antan qui a toujours caractérisé le trio ; "Flux Divergence" et son cri en chute libre presque potache pour poker
Slayer, les dissonances de "
Death Technology" qui n'ont rien à envier au Voivod de … "Killing Technology", ces gros riffs accrocheurs à la
Exodus ou
Overkill, ou la complexité du techno thrash des premiers
Coroner. Si on replonge avec une nostalgie jouissive dans la fin des années 80 (pas celle de Mylène Farmer), "
Bionic Swarm" a une dimension résolument moderne. Son ambiance futuriste imprègne tout l'album, et décrit une technologie qui ronge de charnel jusqu'à l'os.
L'autre aspect qui fait que Cryptosis se détache du lot est son efficacité redoutable : chaque morceau vous saute dessus avec un riff moteur imparable, s'imprime dans le cerveau avec des refrains scandés en chœur ("
Death Technology" , "Conjuring the Egoist",…). Les compositions son vraiment bien foutues, avec une batterie qui joue avec le rythme comme une montagne russe : longues parties rapides, breaks hachés et destructurés, accalmies menaçantes (le mélodique et majestueux "
Prospect of Immortality"). La machine à remonter le temps n'est heureusement pas bloquée sur 1988, et on trouve ça et là quelques influences plus variées : ce passage headbangueur très groovy sur le break de "
Prospect of Immortality", des harmonies supersoniques death en tremolo picking à la
Deicide, ce riff moteur style
Mastodon version thrashisée sur "Game of Souls", ou même des notes orientales sur "Conjuring the Egoist". Car le groupe n'a pas hésité à inclure des choses éloignées de son style de prédilection. L'ajout judicieux de mellotron pour ouvrir le son et faire le pont entre les lignes basse et les mélodies donne à la fois un coté légèrement prog 70's à certains passages mélodiques, ou à l'inverse une connotation black metal en se conjuguant à certains accords de belzébuth. D'ailleurs, ces accents black en filigrane se déploient totalement sur le majestueux "Mindscape" : des riffs et une ambiance ténébreuse, sur un mid tempo tantôt martial tantôt ternaire. On pourrait se demander qu'est ce qui leur a pris, mais cela s'insère parfaitement dans l'univers qu'ils dépeignent, et procure un genre de climax à l'opus de manière intelligemment malsaine.
Au lieu de se contenter de faire un simple album de thrash
Old School de plus qui n'aurait rien apporté à personne, Cryptosis est le cas d'école d'un groupe qui se pose, analyse sa musique, réfléchit, et met tout en œuvre pour en améliorer chaque aspect avec… du travail. Ils disent volontiers qu'ils se sont énormément entrainés pour cet album et ont monté leur niveau technique pour parvenir à jouer ces compositions en étant à l'aise. Au passage, a éclot une chose inattendue et quasiment absente, il faut bien le dire, de feu-
Distillator : du talent. Lorsque j'ai écouté leurs deux albums précédents en tant que
Distillator, le choc a été rude : si les musiciens sont les mêmes, le niveau est bien inférieur, la technique approximative, le son assez plat et pas maitrisé, avec ces effets cathédrale sur le chant le poussant à la limite de l'horripilant, et des riffs à la qualité inégale. Repasser ensuite à Cryptosis donne l'impression de passer d'une série Z à une superproduction et il y a l'équivalent de dix ans de bourlinguage entre le thrash ampoulé et scolaire qu'ils dispensaient il y a deux ans et le concept album ambitieux et abouti qu'ils ont conçu ici. "
Bionic Swarm" est une petite perle, une divine surprise, une madeleine de Proust thrash, et poursuit une exploration moderne et expérimentale dans une voie plus rentre-dedans que celle déjà ouverte par les excellents Vector. Je ne peux qu'espérer qu'ils ne s'endormiront pas sur leurs lauriers dans la suite de leur carrière, et qu'on pourra vite voir Cryptosis sur scène.
Excellent album que je ne regrette bigrement pas d'avoir acquis. Unique petit bémol, j'aurais souhaité un chant un peu plus diversifié d'un titre à l'autre.
S'il y a quelques-uns qui ont acheté l'album de Cryptosis, c'est top, ils méritent vraiment !
Witchfucker : La petite réserve au niveau du chant, je me l'étais faite à la première écoute, c'est vrai qu'il est très basique. Mais en écoutant les progrès depuis Distillator, et sachant qu'il se tape toute la gratte en même temps, il est pardonné. Ca risque d'être mon numéro 1 thrash de 2021.
Me concernant il figurera au minimum dans mon top 3 de cette catégorie. A moins que nous ayons la joie d'assister à une déferlante d'albums Thrash en béton armé d'ici la fin de l'année. Mais j'en doute.....
Les écoutes sur Youtube couplées à 1 lecture attentive de la chronique ont mis en avant la necessité de disposer d un tel album. Si chaques commentaires apportent 1 plus a cette belle chronique,force est de constater que l album est des plus inspiré et dispose d une vraie personnalité.
Vektor a reouvert 1 voie il y a qlq annees...cryptosis l a elargit....
Magique
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