Il faut bien le reconnaître,
Eis n’est pas le groupe le plus reconnu parmi les hordes metalliques qui sévissent en Teutonie. Evoluant dans un black épique et sombre comme bon nombre de ses confrères, le combo de Bielefeld s’était notamment fait remarquer par un excellent
Galeere en 2009 sorti sous le patronyme de
Geist.
Depuis, le quatuor continue tranquillement son petit bonhomme de chemin, réenregistrant ses deux premiers efforts et se fendant d´un nouveau full length en
2012. Il était donc temps de donner une suite au très bon
Wetterkreuz, et voici venir le petit dernier de la troupe germanique,
Bannstein, désormais sous l´égide de Lupus Lounge.
Un grondement sourd, des grincements sinistres, des hurlements de loups et des bruits lointains et diffus nous accueillent, semblant esquisser une grande fresque épique et horrifique, bientôt confirmée par une narration inquiétante et cruelle qui semble achever l’exode de ces pauvres hères vers la dépravation sans retour de la ville. C’est alors qu’un riff lourd et dissonant, comme coulé dans une forge maudite, nous ouvre les portes de ce
Bannstein, résonnant comme un funeste présage de malheurs et noyant définitivement toute lueur d’espoir: d’emblée, le son, massif et écrasant, s’impose à notre être frêle, calcinant dans nos chairs un sceau typiquement germanique, glacial, carré et robotique, sonnant presque indus.
D’ailleurs, les vocaux de Marlek, nouveau venu dans le groupe, très graves, grondants, articulés et parfaitement compréhensibles pour qui est familier de la langue de Goethe, ajoutent à cette noirceur et à ce côté volontairement déshumanisé.
Ce premier titre propose une sorte de croisement entre
The Vision Bleak pour le côté sombre, théâtral et volontiers horrifique et un black lourd, rampant et sournois : d’une manière générale, le tempo est lent, le rythme marqué et obsédant, rappelant parfois presque
Rammstein, notamment grâce à une batterie sourde bien mise en avant, et le tout est extrêmement pesant, distillant un metal froid, désespéré et hanté. Ces dissonances de guitare, ces petits arrangements de claviers rappelant parfois
Carach Angren ajoutent à cette noirceur baroque qui suinte par tous les pores de ce premier morceau.
S’ensuit Im Noktuarium qui commence par des guitares acoustiques à la mélancolie latente, donnant naissance à ce riff puissant amplifié par des cuivres conquérants rappelant la majesté d’une nature fière et sauvage en une sorte de mélange délectable entre
Sear Bliss et
Drudkh. Le rythme est toujours lent et impassiblement marqué, imprimant de manière hypnotique ces coups de toms catatoniques dans notre esprit engourdi par le froid et la nuit, et les courtes accélérations en milieu de titre n’en sont que plus savoureuses. Là encore, les claviers jouent un rôle important sur la deuxième partie du titre, apportant encore en relief, et tissant un voile de brume et de mystère sur ces 8,52 minutes alternant judicieusement passages guerriers et galvanisants à d’autres plus ténébreux et introspectifs.
D’une manière générale,
Eis reste très mélodique mais toujours suggestif et sombre, proposant un black narratif lent et majestueux qui aime prendre son temps pour développer ses atmosphères lugubres. Néanmoins, si le tout est impeccablement exécuté et l’ambiance très travaillée, on déplorera que la lourdeur un peu rébarbative de ces cinq compos prenne trop souvent le pas sur l’agressivité, la haine et la folie: plus de passages blastés, à l’instar d’Über den
Bannstein, titre de plus de 10 minutes alternant moments de bravoure et accalmies acoustiques, auraient apporté une intensité et une diversité au sein des morceaux qui manquent un peu sur l’ensemble de ces 45 minutes un peu longues.
Fern
Von Järichs Garten se fend de quelques passages plus rapides et entraînants, mais qui sonnent un peu brouillon avec ces riffs dissonants mal amenés qui déparent trop avec une musique assez figée et solennelle. Et un morceau comme Im Schoβ der welken Blätter, qui clôt l’album avec ses presque dix minutes, peine à décoller et ennuie rapidement, avec ce début longuet au violon et à la guitare acoustique sonnant comme un
Empyrium du pauvre et ce riff saturé se répétant à l’envi et sans grandes variations, alternant timidement sur des parties acoustiques, histoire de finir sur une note mélancolique. Le titre n’est pas désagréable et s’écoule paisiblement, mais le tout manque de vie et semble passer comme au ralenti, au même titre que l’automne, gris, long, froid, nostalgique, plein de spleen mais un brin monotone.
Eis signe donc avec ce
Bannstein un album qui plaira certainement aux amateurs de musique mélodique, sombre et soignée mais qui risque de laisser les amateurs d’un metal plus rapide et intense sur leur faim. On saluera l’effort des Allemands, qui ont mis un point d’honneur à proposer des morceaux finalement très travaillés et assez variés, même si, paradoxalement, certaines longueurs parsèment ce nouvel effort et que l’ensemble sonne parfois assez répétitif, la faute à un mid tempo prédominant et à une lourdeur parfois un brin rébarbative.
Il n’en reste pas moins que le combo fait preuve d’un talent certain et d’une maturité musicale respectable qui le mettent en bonne position pour acquérir une reconnaissance internationale méritée. C’est du moins tout ce qu’on leur souhaite, et
Eis en est capable. Alors, en attendant, tâchons de nous délecter de ce nouvel opus qui se savourera tranquillement au fil des écoutes et ne révèlera sa langueur enivrante qu’aux plus patients d’entre vous.
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