« Parfois, la note la plus forte est celle composée de silence »
Jared
Leto, pendant la promotion de
America
L’Amérique post-Donald Trump. Vaste débat. Vaste sujet, dont le plus grand chantier est de faire un état des lieux sans juger ni invectiver qui que ce soit. Difficile à l’heure où l’impopularité du pays n’a jamais été aussi forte (ou peut-être aux débuts des années 2000 avec le fils
Bush) mais voici le défi que Jared
Leto s’est fixé en réalisant un film et un album sur le sujet.
L’acteur, vocaliste, producteur, musicien et désormais apprenti-réalisateur venu de Louisiane a ainsi en tête de présenter son pays, d’évoquer le rêve américain sans le glorifier et, par l’intermédiaire de certaines actions (la vidéo réalisée « A Day in
America ») de montrer que la présentation vue de l’extérieur n’est pas forcément représentative de la réalité. Tous ces projets prennent évidemment du temps (si on ajoute le tournage du dernier
Blade Runner de Dennis Villeneuve pour Jared, ainsi que The Outsider) et cela n’a fait que repousser continuellement la sortie du cinquième opus des frères
Leto. C’est donc cinq années après "Love,
Lust,
Faith + Dreams" et une nouvelle immense tournée mondiale que "
America" voit le jour.
Un album donc sous forme de concept, dont le patronyme n’aura été dévoilé qu’au dernier moment. Un titre simple, peut-être même cliché mais suffisamment fort pour montrer ce que
30 Seconds to Mars souhaite évoquer. C’est aussi une série d’artwork pour le moins particulier (laids, il faut bien le dire) mais porteur d’un message conceptuel finalement fort, puisque chaque pochette (six au total), de couleurs différentes et avec des mots différents, représentent des sujets importants aux Etats-Unis. Que ce soit des organisations gouvernementales (
CIA, FBI), des positions sexuelles, des sujets controversés (le Bitcoin, l’Intelligence Artificielle), l’argent dépensé dans les prescriptions de drogues légales, des sports à risques ou des opérations chirurgicales (l’Amérique ou le pays de l’apparence), ces affiches, sans design, avec une police des plus banales et des couleurs unies, prennent quasiment la forme de propagande. En soi, si le résultat est esthétiquement plus que moyen, le fond est bien plus pensé que ne le laisse sous-entendre le résultat final. A cela s’ajoute une absence de crédits dans les livrets, d’informations sur les membres du groupe et nous avons l’impression d’avoir un objet destiné à la promotion d’un parti politique plutôt qu’à un album de musique. Même la tracklist va dans ce sens. Un parti pris mais déjà une manière de faire différente et à saluer.
Parlons désormais musique. Sur ce point, les polémiques auront forcément lieu, même si "
America" réalise le meilleur départ de l’histoire du groupe et s’est classé dans le top 5 du Billboard (à la 2e place) dès la première semaine (plus de 50 000 ventes). Il ne faut pas se leurrer. Le premier opus est une oasis que nous ne reverrons jamais. Sa noirceur, son caractère spatial, planant et industriel tenait aussi d’une production très saturée que Jared lui-même déclare pas forcément volontaire (dommage car elle est exceptionnelle). Ensuite, "
A Beautiful Lie" a placer le groupe comme plus populaire et a réellement défini la personnalité du groupe, même si ce dernier se voulait plus rock/metal avec une voix se baladant souvent dans des notes arrachées et hurlées. "
This Is War" se voulait plus conceptuel avec quelques expérimentations sonores quand le dernier opus allait résolument plus sur des terres électroniques. En ce sens, "
America" n’est pas une surprise musicale puisqu’il suit la ligne tracée par les deux derniers opus, en se séparant encore plus des instruments rock aux profits de machines, de samples, de percussions électroniques et d’effets en tous genres. C’est probablement là que certains auditeurs sont déçus mais qu’il faut également dépasser l’apriori des premières écoutes.
Oui, "
America" n’a rien de rock. Il n’a même pas sa place objectivement ici (il ne l’a même peut-être jamais eu, mais comme le public était parfois identique…) mais le confiner à un disque standard de pop serait aussi réducteur que faux (et laisserait sous-entendre que l’ensemble de la pop est mauvaise). Non, "
America" est pétri d’influences, parfois pop, parfois industrielles, parfois électroniques et créer son propre monde. Et si l’absence de guitares ou de structures rock peut décevoir, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a aucune recherche musicale.
"
Walk on Water" est finalement le titre le plus « évident » dans son approche. Un refrain fort, un Jared en grande voix, des chœurs gospels et une ligne de percussions simple à appréhender.
Pas de guitares certes mais un single facile et un sujet très humain pour faire la promotion du disque. On y retrouve la voix que nous connaissons depuis quelques disques, très claire mais apte à s’érailler dès que Jared la pousse un peu plus loin. C’est probablement le seul titre de ce style, qui n’aurait pas dépareillé sur l’opus précédent.
Le reste est forcément plus intimiste, plus électronique, rappelant à de nombreuses reprises le passé du groupe par des clins d’œil astucieux enfermant beaucoup moins "
America" qu’il n’y parait.
"
Monolith" est par exemple un instrumental très cinématographique, peuplé de percussions tribales qui n’est pas sans rappeler "Birth" ou "Pyres of Varasani" (lui-même beaucoup inspiré par les travaux de Hans Zimmer). "
Live Like a
Dream" évoque "
A Beautiful Lie" (le titre) sur sa seconde moitié, quand Jared pousse sa voix sur une ambiance aérienne, comme figée où seuls les toms et une ligne mélodique l’accompagne. Ce n’est pas évident à la première écoute mais ça le devient rapidement. Idem concernant "
Dangerous Night" qui, par certains aspects, empreinte un chemin similaire à l’exceptionnel "Strangers in a Strange
Land", notamment dans son break où les samples se veulent plus sombres et oppressants. Tous ces indices tendent à expliquer qu’"
America" est bien moins éloigné que ses prédécesseurs que ce que l’on veut bien penser.
Forcément, les frères
Leto vont parfois encore plus loin et s’enfonce dans ce monde dénué de chaleur et d’instruments réels (
Shannon va s’ennuyer sur les prochains live). "
Rescue Me" par exemple, se tourne uniquement autour de la voix, particulièrement d’un refrain arraché prouvant que Jared n’a rien perdu de sa sublime voix, qu’il reproduit malheureusement plus que par intermittence sur scène. On pourra en revanche lui reprocher d’user, comme pour l’instrumentation, de multiples vocodeurs et auto-tune pour modifier sa voix. S’il n’en a pas besoin, il est clair que cela est fait pour créer un effet, une ambiance un brin fantomatique mais que le résultat peut-être en demi-teinte, surtout avec une voix naturelle aussi forte. "One
Track Mind" en est le meilleur exemple. Le passage rappé (par un guest) va dans le même sens, il n’y a que la voix et quelques nappes de samples.
Seul résonne, en fin de titre, un solo de Tomo Milicevic qui, lui aussi, n’a pas dû beaucoup sortir sa guitare durant l’enregistrement.
"Great Wide Open" surprend par la sensibilité dans la voix de Jared, n’ayant jamais été aussi fragile, évoquant les sentiments ambivalents des êtres humains de manière toujours aussi cryptique. Des chœurs l’accompagnent régulièrement et, encore une fois, le minimalisme de la musique ne la rend pas si accessible que cela. La fin du titre se veut plus cinématographique, avec de multiples percussions (réelles et samplées) pour donner la sensation d’une grande marche et d’un souffle épique. L’inverse de son froid successeur, "
Hail to the Victor", où on retrouve le piano (à la "
End of All Days" ou "
Hurricane"), quelques beat electro et surtout les cris de Jared. Le refrain est étrange, purement électronique et évoque la lassitude du monde face aux tueries, aux guerres, à la drogue et tout ce qui détruit petit à petit l’humanité. Un titre fort et déchirant, notamment dans son contexte, et bien loin du côté « pop commercial » que l’on voudrait bien donner à
30 Seconds to Mars.
"Remedy" est finalement bien seul.
Plus roots, mélodie acoustique et
Shannon au micro, on se croirait autour d’un feu de camp, sans artifices ni machines. L’ambiance n’est pas sans rappeler le
Linkin Park récent et l’interprétation semble être un hommage au regretté Chester Bennington. Le titre sort tellement du lot qu’il dénote réellement du reste, se voulant bien plus à fleur de peau.
Quant à "Rider", il termine le disque comme 30 Seconds aime le faire, dans une ambiance étrange et lunaire. On pense écouter un générique de fin, une influence symphonique se fait entendre et nous abandonnons le groupe avec une ambivalence, une sensation bizarre.
Oui
30 Seconds to Mars a changé et n’a plus rien de rock, de purement novateur (comme l’était l’éponyme) mais dire qu’"
America" n’a rien de ses prédécesseurs serait faux. Il tisse de nombreux liens et dresse également le futur du groupe, petit à petit, comme chaque album du trio. Il se rappelle constamment aux souvenirs du passé en s’ouvrant inexorablement sur l’avenir. Certains regretteront cet électronique constant, ces vocodeurs incessants mais, loin de cacher une carence créative, ils ne sont que la matérialisation des émotions que souhaitent véhiculer "
America". Minimalisme mais non simpliste, accessible sans être facile d’accès (les refrains ne sont pas si simples et il y a finalement peu de titres purement fait pour la scène ou la radio, moins que sur le disque précédent en tout cas) et empli d’effets sans dénaturer son naturel, "
America" est un disque charnière dans la carrière du groupe. Qui plaira ou pas.
Pas besoin d’une note pour juger un album n’ayant finalement que peu de place dans ces lignes. Écouter. Faites-vous un avis. Bruler les frontières.
Amen.
Merci pour la chronique!
Grand amateur d'A beautiful lie et de l'éponyme, j'avais déjà lâché l'affaire au 3ème album... (Trop de "wohohohoh")
Je connais la suite (ma copine en est fan), mais ça ne me branche plus du tout! Que dire de ce dernier disque: "beurk"
Je ne l'ai écouté qu'une fois, heureusement que je faisais autre chose en même temps et que j'étais loin de la zapette :D (ceci dit, je n'ai pas percuté pour la chanson Remedy, j'irai rejeter une oreille)
Pour l'histoire, même ma copine ne l'a pas écouté. Les "singles" étaient déjà inbuvables pour elle; elle n'a même pas eu le réflexe de lancer l'album dans son lecteur :D
Pas vraiment (pas du tout en fait
) avec le fond de ta chronique. Je devrais en écrire une qui éclairera ma pensée :)
Hâte de lire ça alors ! :P
Voilà
Je n'ai pas mis de note car je n'ai pas envie de débattre là dessus 20 ans. 30 Seconds n'a en soi plus rien de metal ni de rock donc n'a objectivement plus grand chose à faire sur SoM (comparé aux groupes que tu mentionnes dans ta chro qui font partie intégrantes du monde metal, quoiqu'on en pense), s'il y a déjà eu sa place. Donc mettre une note et cherché à le comparer avec ma note du dernier Kamelot, TesseracT ou Hypno5e ne m'intéresse pas (je sais que ça va être le débat sinon ^^).
Moi ce America m'emmène loin et, sans être le meilleur disque du groupe, je ne suis pas trop d'accord avec sa volée de bois vert qu'il se prend. Deux avis valent mieux qu'un :)
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire