Phobos

interview Phobos (FRA-2)N'y a t'il pas de plus grande liberté que l'art d'évoluer seul, à contre-courant des marées ? Derrière cet éventuel sujet au bac philo se cacherait volontiers P.H.O.B.O.S. Car à mille lieues d'épouser schémas et structures en vogue actuellement, ce projet solitaire parisien s'est bâti un univers passionnant et ultra glauque qui demandera certes un gros effort d'adaptation à certains. Mais ne dit-on pas que le propre de l'homme est cette fabuleuse faculté d'adaptation ? Il est permis d'en douter en cette ère de zapping culturel intense, et P.H.O.B.O.S. prend là un sacré risque. Mais quiconque tombera dans ses griffes s'en verra transformé à jamais. Oserez-vous franchir le pas ? Voici quelques clés qui vous y aideront certainement, une interview réalisée en juillet 2005 avec Fred Sacri seul maître à bord.

>Salut ! Pour débuter cet entretien, je te laisse présenter P.H.O.B.O.S. aux lecteurs. Apparemment, ce qui est aujourd'hui devenu un projet solitaire réunissait plusieurs musiciens à la base.
J'ai monté P.H.O.B.O.S. début 2000 à Paris, en recrutant bassiste, batteur et sampler, dans le but de créer un groupe véritable, et espérant l'apport créatif de chacun, pour composer une musique lourde et atmosphérique. Les postes de batteur et sampler ne se sont jamais stabilisés, sans toutefois empêcher l'enregistrement du mcd autoproduit \"Proto\", témoin de ces débuts. Désirant accentuer le côté froid et inhumain, les machines (samplers, séquenceurs) ont ensuite été intégrées comme élément moteur, notamment pour une batterie puissante, lente et précise, et l'apport d'un côté industriel. Après un unique concert en 2003, le projet se retrouva sans bassiste. La perspective d'abandonner ne m'a toutefois pas effleuré l'esprit, ayant été à l'origine des compositions, des arrangements synthétiques et des textes. Lassé par le temps perdu à monter un line-up idéal, j'ai décidé de tout miser sur les machines et ma personne pour concrétiser sur album des titres en gestation depuis trop longtemps. Peu importent les moyens, mon objectif final reste le même.

>Le 1er album de P.H.O.B.O.S. sort donc chez Appease Me/Candlelight. Peux-tu nous parler de la genèse de \"Tectonics\" ? Où / quand / comment a t'il été enregistré ?
Dans un premier temps, suite à la démo \"Home Wreck\", les riffs, les samples et les séquences ont été peaufinés dans mon studio pendant plusieurs mois. Ensuite au printemps 2004, plusieurs sessions pour effectuer les prises et le mix de machines, guitares et voix ont eu lieu au Red studio, dans le nord de la France, avec Olivier Anicaux, ingé-son maîtrisant à la fois le métal et l'électro, et disposant d'un matériel conséquent. Car je pense que pour ce travail, même pour de la musique en grande partie synthétique, une carte-son et des plug-ins de pc ne remplaceront jamais du matériel à lampes (amplis, convertisseurs, compresseurs). Le mastering a été effectué au même endroit, en plusieurs étapes fin 2004, ce qui a permis un recul nécessaire pour le son final.

>Vues les ambiances cauchemardesques qu'il dégage, comment s'est déroulé son processus de composition ? Cela a t'il pris du temps pour arriver au résultat final tel qu'on peut écouter aujourd'hui ? La musique de P.H.O.B.O.S. est-elle composée sur machine ?
Pendant les mois précédant l'enregistrement, les titres devant constituer l'album, qui dataient pour la plupart de quelques années, ont été à nouveau liftés, en structure et en arrangements sonores. Plus le travail avançait, plus mes sons et mes idées de production devenaient extrêmes, d'où les \"ambiances cauchemardesques\" que tu évoques. On peut dire que c'est un processus de composition qui s'est étalé sur 3-4 ans en se radicalisant. Suivant les morceaux, l'idée de départ est très variable. Ca peut être un riff, un sample ou une rythmique que j'aurai préalablement édités, rarement un texte ou une voix. Dans tous les titres, il y a l'aspect machines, l'aspect voix et l'aspect guitares, qui elles sont entièrement jouées et captées à la fois live et via multi-effets. Donc pour te répondre, P.H.O.B.O.S. c'est \"part man/part machine\".

>As-tu déjà constaté qu'il fallait que tu sois dans une atmosphère particulière ou un certain état d'esprit pour composer ?
Pas vraiment. Je peux paraître serein et dans la minute qui suit avoir des idées de samples agressifs sur mes machines, ou à l'inverse être d'une sale humeur ou sous substances, et ne rien donner d'intéressant. Il n'y a heureusement pas de recette, la part d'instinct, d'inconscient et de hasard est primordiale. Il s'agit par contre de bien trier dans mes créations ce qui doit êt
interview Phobos (FRA-2)re gardé, pour atteindre une atmosphère voulue.

>Personnellement depuis Skin Chamber, je n'avais pas entendu un truc aussi torturé, malsain et violent. Certains comparent P.H.O.B.O.S. à Voivod et bien sûr Godflesh ou Neurosis mais pour moi s'il y a clairement une paternité, elle viendrait plutôt de ce mythique duo américain. Quelles sont tes
influences, quels groupes t'ont marqué ?

Les influences Voivod et Neurosis, qu'on ne retrouve plus forcément à l'écoute de \"Tectonics\", ont été citées à tort par mon label, sûrement par souci de donner des références parlantes, alors que sur la bio j'avais précisé que c'était des modèles aux débuts de P.H.O.B.O.S. Par contre, Godflesh et les projets de J. Broadrick constituent indéniablement la source d'inspiration première. En groupes marquants, il y aurait aussi les Swans des débuts, Skinny Puppy, Bathory période black, les côtés lents de Ministry, les deux premiers Treponem Pal. Maintenant que tu me parles de Skin Chamber, je suis curieux de réécouter \"Wound\" car je l'avais revendu il y a une dizaine d'années, le trouvant moyen à l'époque…

>Le titre \"Tectonics\" et les superbes illustrations qui ornent le livret témoignent d'un vif intérêt pour ces phénomènes naturels que sont volcans et autres séismes naturels. Y a t'il un concept derrière tout cela ? Pourquoi ce fil conducteur peu commun ?
La gravité, la lourdeur et la dynamique de certains sons me font l'effet de secousses souterraines, de mouvements magmatiques. Etant passionné par les phénomènes géologiques, et étant né sur une île-volcan très active, regrouper ces sensations en une idée maîtresse, musicalement et graphiquement, s'est imposé naturellement. C'est un lien personnel fort, un vécu qui resurgit, plus qu'un concept calculé.

>Ce thème se traduit-il également à travers les paroles de l'album ? Quels sont les sujets abordés ?
Bien qu'ayant été écrites avant le concept global, il y a ambivalence dans les paroles : On peut soit les prendre comme des réflexions humaines, soit personnifier la Terre Mère et lui laisser lâcher sa colère vengeresse, face à la seule espèce animale inutile et arrogante qu'elle supporte. Sans entrer dans les détails de chaque titre, on trouve les thèmes de la purification par la destruction, de l'éradication de la masse, de la disparition du vivant, du feu, certaines relations extrêmes… Bref, des sentiments nihilistes et misanthropes exprimés soit par l'homme, soit par la Terre, je laisse le choix à l'auditeur…

>Les fans de doom extrême pourront éventuellement accrocher à \"Tectonics\". Mais considères-tu ce que tu fais comme faisant partie de la vaste famille du métal ? D'après les retours que tu as pu avoir depuis les débuts du groupe, considères-tu qu'il faille être un minimum \"ouvert\" d'esprit pour accrocher à ton trip ?
Pour moi les mots \"métal\" ou \"hardcore\" ne signifient plus rien, depuis l'hybridation et l'explosion des styles initiaux. Ce sont des termes généraux, aussi vagues que \"rock\" ou \"pop\", que les épiciers essaient de maintenir avec des sous-genres, et dans lesquels malheureusement la majorité du public cherchant des repères se cloisonne. J'envisage ce que j'écoute et ce que je produis comme de la musique, bonne ou mauvaise. Sans vouloir ratisser large, je pense que mon son peut interpeller des auditeurs aussi différents que le fan de \"métal\", d'industriel brut, de musiques électroniques, de dub, etc... Le dénominateur commun étant une nécessaire ouverture, et un certain acquis dans le domaine des musiques dark, de part les genres représentés à divers degrés. Les qualificatifs de doom et d'industriel reviennent souvent (lancés par moi d'ailleurs, marketing oblige…), mais je veux empêcher l'étiquetage de P.H.O.B.O.S., car à peine des influences ou des genres sont cités, automatiquement et bêtement se créent des blocages chez l'auditeur, avant toute écoute. Sans attendre les retours publics ou critiques, je sais dès le départ que les avis resteront très partagés, mais ils n'influencent pas P.H.O.B.O.S. J'ai la chance de pouvoir publier une musique atypique à une échelle appréciable, sous un label qui me fait confiance, sans consignes d'écriture, ce n'est pas pour me formater.

>Apparemment, la seule et unique apparition de P.H.O.B.O.S. sur scène aura été en Hollande il y a 2 ans. Comment cela s'était-il passé ? A l'avenir, penses-tu réitérer l'expérience si tu réunis suffisamment de musiciens partageant tes convictions ?
Le concert a été organisé par les mecs de Bunkur au Club013. Leur accueil et l'organisation furent irréprochables, à part la dur�
interview Phobos (FRA-2)�e de la balance, une petite quinzaine de minutes. Résultat, un monitoring épouvantable, bien que nous maîtrisions notre set, et un rendu pas terrible en salle je pense (je n'ai pas pu vérifier car notre enregistreur n'a jamais démarré…). Côté public, l'accueil fut poli. Il faut dire que Bunkur+P.H.O.B.O.S. sur une même affiche, deux groupes hermétiques venant de nulle part et donnant leur premier concert, il y avait de quoi être sceptique, mais une cinquantaine de personnes s'étaient quand même déplacées. Je précise que simultanément, à une centaine de kms, il y avait un \"petit\" festival avec Metallica, Manson et Ministry, et je suis encore étonné par la curiosité et le support du public présent ce jour-là. Mais j'ai aussi vite réalisé que pour vraiment signifier quelque chose sur scène, P.H.O.B.O.S. nécessiterait de gros moyens humains et techniques : Au moins deux guitares, deux types aux machines, une salle moyenne, éventuellement des projections vidéo travaillées. L'impression d'emphase et de puissance de l'industriel ne peut être délivrée dans un club, sans visuels, en se la jouant rock'n'roll. Il faudrait en gros les moyens d'un Ministry, ou en plus mainstream, d'un Rammstein (sans les feux d'artifices …). Malheureusement je doute que les ventes de P.H.O.B.O.S. permettent ce genre d'investissements et d'intérêt financier pour des musiciens accompagnants.

>Comment as tu pris contact avec les gars de Blut Aus Nord qui gèrent (je crois) le label Appease Me ? Le fait que Candlelight propage ses prods à l'étranger te fait-il espérer des retombées suffisantes pour continuer l'aventure P.H.O.B.O.S. sous de meilleurs auspices ?
Je connais un des membres de Blut Aus Nord depuis un moment, avant leur signature sur Candlelight. Lorsque leur label Appease Me a eu les moyens via Phd d'enrichir son collectif d'artistes et de les exposer à plus grande échelle, il me proposa de les rejoindre, après une écoute d'un pré-master de \"Tectonics\". Non seulement cette signature m'offre des moyens d'enregistrement, de promotion et de distribution conséquents, mais de plus il ne s'agit pas d'un rapport patron/employé. Les gens d'Appease Me sont avant tout des connaisseurs et des passionnés de musique authentique. Peu importe la réputation radicale qu'ils traînent, ils se focalisent sur l'essentiel, se tiennent loin du cirque médiatique du métal et des pseudo-scènes de poseurs, et je me sens proche de cette vision. Ils ne m'ont pas signé par copinage, ou suite à une étude de marché, mais uniquement par intérêt artistique. Ensuite au niveau des retombées, il semble que les pays anglo-saxons (UK et US) soient plus réceptifs à ce genre de son, et j'espère que le succès de B.A.N. dans ces contrées préparera le terrain pour P.H.O.B.O.S., bien que nos musiques soient différentes. Mais quelque soit l'impact, je ne pense pas que mes idées de composition et mes méthodes d'enregistrement s'en trouveront modifiées.

>Je n'avais pas eu l'occasion d'écouter tes précédentes réalisations. Dans quelles directions P.H.O.B.O.S. a t'il évolué durant toutes ces années ?
Comme je te l'ai détaillé précédemment, il s'agit d'un processus de radicalisation de musiques lourdes, qui part d'une formation métal sur le mcd \"Proto\" pour arriver à une musique froide, mécanique et synthétique sur \"Tectonics\". Il me reste encore de l'exploration mais je suis déjà satisfait de ce parcours, car ma musique s'est complexifiée et m'a forcé à l'envisager aussi sur un plan technologique, ce qui est une grosse part du boulot. Avec le recul, je pense que si P.H.O.B.O.S. était resté sous la forme d'un groupe avec ces compos et ce son initial, il serait probablement tombé dans la mouvance actuelle des combos \"s'inspirant\" de Neurosis ou Isis, et qui commence d'ailleurs à se parodier.

>Aurais-tu des groupes actuels comparables à P.H.O.B.O.S. à nous conseiller ? Tes dernières claques musicales ?
Dans la même démarche, bien que sous d'autres formes, il y a aussi Halo, Esoteric, Hyatari, The Axis Of Perdition, certains artistes de chez Foreshadow prods, et bien sûr Blut Aus Nord, pour ce que j'ai écouté. Pour les dernières grosses impressions, ben pas grand'chose, à part peut-être DeathSpell Omega ou Dälek, mais c'est loin de P.H.O.B.O.S. musicalement.

>Es-tu sensible à d'autres formes d'art que la musique ?
Tout ce qui est chaotique, dérangeant, inclassable, nihiliste, émanant d'esprits non formatés m'interpelle, que ce soit au cinéma, en expression corporelle, ou en arts plastiques ou numériques.

>Je te laisse finir, merci pour tes réponses...
Merci pour l'interview. Restez curieux.

Interview done by DJ In Extremis

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