Icare : Salut à vous ! Pour commencer, pouvez-vous nous présenter Morgu ?
Morgu est un groupe qui aime explorer des sujets et des idées qui ont à trait et peuvent avoir un impact sur l'âme humaine, comme l’isolement, la peur, la souffrance... et peut-être va un peu au-delà en essayant de pressentir quels peuvent être ces impacts, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire… C’est d’ailleurs le cœur de ce qui nous a initialement unis, en tant que groupe de musiciens qui, individuellement, écrivent sur ces mêmes sujets ou des thèmes similaires et ont un passé dans la scène metal extrême albanaise. Nous nous connaissions et étions de bons amis bien avant que le concept de Morgu ne voit le jour.
L’idée de Morgu est née à l’automne 2019, et en juillet 2020, nous avions commencé à travailler et à écrire beaucoup de musique. Les deux premières années ont été principalement consacrées à jouer et à composer de manière confidentielle, car nous faisions connaissance et créions ce type de lien musical qui définit aujourd’hui l’essence même de Morgu, un concept qui évolue comme les émotions humaines ; parfois chaotique et imprévisible, parfois lent et mélancolique, et tout ce qui se trouve entre les deux !
Icare : Vous nous venez d’Albanie, et en France, on ne connait pas trop votre scène metal nationale. Pourriez-vous nous présenter les groupes les plus importants de chez vous ainsi que vos derniers coups de cœur qui valent le coup d’être suivis ?
L’Albanie est un petit pays, délaissé par les dieux et la bonne fortune, même si c’est l’un des plus anciens du monde. Nous avons été envahis par l’Empire ottoman pendant 400 ans, pour subir dans la foulée un régime dictatorial jusqu’en 1991. C’est à partir de là que la scène metal a commencé à émerger. En fait, Morgu est le seul groupe actif, et chacun d’entre nous vient de groupes différents de la scène metal extrême locale : Crossbones, Aten, Nihil, Anbar.
Mais avec Morgu, nous avons voulu créer une saveur inédite, sans nous connecter à ce que chaque membre avait fait par le passé. Chaque pierre de cette fondation devait être innovante, et partir d’une page blanche.

Icare : Morgu est un groupe indépendant et autoproduit, qui semble beaucoup compter sur Internet pour faire sa promotion. Vous avez un superbe site internet, et vous êtes présents sur Youtube (c’est comme ça que j’ai découvert Oceangrave par hasard, mis en ligne en mai, et qui approche déjà les 10 000 vues, impressionnant !). Aujourd’hui, Internet est un outil indispensable pour un bon nombre d’artistes, alors, pourriez-vous nous décrire votre stratégie promotionnelle, et expliquer aux musiciens en quête de visibilité comment un groupe émergent encore inconnu parvient aussi vite dans les suggestions Youtube de milliers de personnes ?
C’est une question très délicate et honnêtement pas facile à répondre. Peut-être ne sommes-nous pas encore à un stade où nous pouvons donner des conseils solides, mais ce que nous pouvons partager, c’est notre approche. Comme tu l’as mentionné, Internet et la présence en ligne sont des outils essentiels pour beaucoup d’artistes. Mais ce qu’il y a d’encore plus important, c’est votre art, votre démarche artistique et l’essence de ce que vous présentez. Dans le contexte actuel, où l’on crée du contenu très rapidement, il est extrêmement facile de perdre son essence artistique dans la course à la création et la pléthore de contenus mis en ligne.
Nous avons principalement concentré nos efforts sur deux choses : créer des morceaux de musique qui satisfont notre soif d’expression ; et construire une image qui correspond à notre concept et à ce que nous écrivons. Comme je l’ai expliqué plus tôt, notre musique coule comme les émotions humaines, alors nous la laissons simplement faire, sans nous mettre de limites qui pourraient restreindre notre façon d’écrire, comme un genre ou un modèle de chanson « standard ». Nous ne nous concentrons pas sur ce que le marché « exige » ou sur les tendances. Nous privilégions plutôt l’écriture et la relation personnelle avec ce que nous créons, en laissant la musique nous guider et s’écouler de manière aussi organique que possible. En faisant cela, quelqu’un, quelque part, pourra retrouver une part de soi dans cette musique, selon sa perception, et accrocher parce qu’il a été touché personnellement, et non parce que les tendances sociales l’ont incité à le faire.
Cela dit, nous sommes extrêmement reconnaissants envers les auditeurs qui ont été attirés par Oceangrave, car cela nous montre que ceux qui l’ont écouté y ont trouvé une part d’eux-mêmes et ont adhéré. Contrairement aux tendances actuelles et aux standards des réseaux sociaux, tout cela incite à adhérer à notre musique d’une manière plus « organique ».
Icare : Quels retours avez-vous eu jusqu’à présent ? La mise en ligne de l’intégralité d’Oceangrave vous a-t’elle aidée à démarcher des promoteurs et/ou des labels ? Aimeriez-vous à terme signer sur une structure professionnelle ou préférez-vous rester indépendants, et contrôler tout ce qui touche à Morgu de A à Z ?
Les retours ont été globalement incroyables et nous ont surpris. C’est une expérience profondément gratifiante et pleine d’humilité de lire des commentaires aussi sincères venant de pays que nous n’aurions jamais pensé atteindre. Nous espérons pouvoir jouer pour tous ces pays un jour. La mise en ligne d’Oceangrave et l’accueil du public ont attiré l’attention, c’est sûr ! Signer avec un label professionnel serait très pratique pour un groupe débutant, car cela pourrait offrir beaucoup d’aide en termes de gestion. Cependant, ce que nous pouvons dire pour l’instant, c’est que nous n’avons pas encore trouvé quelqu’un qui partage notre vision, et jusqu’à ce que ce soit le cas, nous préférons garder un contrôle total.
Icare : Rentrons maintenant dans le vif du sujet, la musique ! Avant tout, je tiens à vous féliciter pour le monstre protéiforme qu’est Oceangrave ! 80 minutes d’une musique à la fois dense et aérée, très riche et variée, pour un ensemble inclassable parfaitement maîtrisé oscillant entre doom, atmosphérique, death et post metal… Comment décririez-vous votre propre son ?
Merci pour ces mots incroyables. Nous sommes vraiment honorés d’être perçus de cette façon. Pour décrire notre son, Morgu n’aime pas les frontières, et je ne peux donc pas donner une description précise sans créer d’attentes. Notre musique, comme les émotions humaines, comme nous, comme vous, les auditeurs, évolue et se transforme. Nous percevons notre musique comme une histoire qui n’est pas racontée, mais plutôt perçue à travers le son et ressentie par les sentiments.

Icare : Peux-tu nous parler des influences musicales comme extra musicales qui ont inspiré et nourri cette œuvre colossale ?
Ce serait une journée entière de discussions et de débats intensifs (rires). Nous sommes six, chacun avec une éducation très différente, et ce sont précisément ces différences qui ont façonné notre travail. Néanmoins, je peux certainement mentionner des groupes tels qu’Amenra, Katatonia, Opeth, Alcest, Cult Of Luna, Neurosis, etc. Je ne les définirais pas comme des « influences » directes, mais plutôt comme des groupes dont nous aimons écouter la musique et avec lesquels nous pouvons profondément nous identifier.
Icare : Oceangrave se distingue par une diversité musicale surprenante et une grande richesse instrumentale, jouant beaucoup sur les clairs-obscurs en mariant passages planants flirtant avec le post rock voire le rock psychédélique, vocaux très agressifs et parties plombées d’une lourdeur suffocante. Comment parvenez-vous à concilier tous ces styles en un univers cohérent ? Morgu se fixe-t’il des limites musicales ou vous permet-il de catalyser et épancher tous vos élans créatifs ?
Merci pour cette question ! Je me souviens d’un moment où nous étions en studio, en train de discuter de ce que pourrait être le genre de Morgu, et nous n’aimions pas l’idée de le définir. Cela nous faisait nous sentir très limités. Comme mentionné plus haut, il nous a fallu environ deux années de jeu et d’écriture pour créer ce genre de lien musical, qui nous permet aujourd’hui de nous comprendre facilement, de réaliser où le processus nous mène, et de savoir quand quelque chose est bon ou non. Au début, c’était assez difficile, compte tenu de nos différences de parcours et d’influences, c’est pourquoi The Discipline of Suffering nous a pris trois ans et reste aujourd’hui comme une simple démo.
Oceangrave, en revanche, est venu d’un Morgu beaucoup plus mûr. Nous savions ce que nous faisions, et nous savions comment nous voulions le faire, alors nous l’avons simplement laissé nous montrer la voie ! Tous ces styles différents n’étaient pas un choix stylistique planifié dès le début, mais plutôt le résultat d’o ! cette aventure nous a menés. C’était ce qui semblait naturel.
Icare : Depuis combien de temps travaillez-vous sur ces compositions, et combien de temps avez-vous mis pour accoucher d’un tel album ? Peux-tu nous parler du processus de composition chez Morgu ?
Les compositions en elles-mêmes n’ont pas pris trop de temps. La plupart des paroles étaient déjà prêtes, et nous avions une idée générale de ce que cette prochaine œuvre allait être. Nous nous sommes installés en studio, et tout s’est simplement déroulé naturellement. Quelqu’un est arrivé avec un riff, un autre savait exactement comment le développer, et le thème correspondait sans effort aux paroles. Le processus d’écriture lui-même a duré seulement quelques mois. Ajouter la touche finale, les détails spécifiques, créer le bon son, et bien sûr pouvoir traduire tout ça en un album, voilà ce qui a pris le plus de temps !
Icare : En allant voir votre site internet, j’ai constaté que vous donniez quelques concerts et que vous aviez une date prévue au Portugal cet été. Envisagez-vous d’autres dates, voire une mini-tournée ? Vous avez une musique très immersive, presque visuelle, comment parvenez-vous à retranscrire ces atmosphères sur scène ? A quoi ressemble un show de Morgu ?
Oui, absolument. Cette année, nous avons commencé avec une présentation live d’Oceangrave, et en juillet, nous jouerons au festival Laurus Nobilis au Portugal, aux côtés de grands noms comme Soen. Nous finalisons encore quelques dates en Italie, prévues pour l’automne. Une mini-tournée n’est pas exclue, mais il est plus probable qu’elle ait lieu durant la première moitié de l’année prochaine.
Nous essayons de rendre nos concerts très immersifs et nous travaillons constamment à améliorer notre présence sur scène. En général, nous préférons des sets avec un bloc musical soudé qui fait voyager le public avec le moins de pause possibles entre les différents morceaux. Lorsque c’est possible, nous aimons inclure des images projetées qui aident à transmettent les émotions sous-jacentes de l’ensemble du set.
Icare : Compte-tenu de la richesse de votre musique, vous êtes prolifique, puisque vous aviez déjà sorti l’année dernière une démo de 53 minutes, The Discipline of Suffering, qui reprenait tous vos singles parus au compte-goutte tout au long de l’année 2022. Avez-vous de nouvelles compositions terminées ou en cours ? Il est certainement trop tôt pour en parler, mais pensez-vous déjà au successeur d’Oceangrave ? Quels sont vos plans pour la suite ?
The Discipline of Suffering a été un vrai voyage pour nous, comme cela a été brièvement décrit plus haut. Lorsqu’on a terminé Oceangrave, nous avions déjà du matériel en préparation, ce qui nous a permis de rester créatifs en évitant de jouer toujours les mêmes choses. Nous consolidons actuellement ce nouveau matériel, qui semble vouloir prendre la forme d’un EP, avec pour objectif de le sortir cette année. Naturellement, d’autres concerts suivront, en Europe notamment.
Icare : Cette interview touche à sa fin, si tu as quelque chose à ajouter pour nos lecteurs, c’est maintenant ! Merci beaucoup pour votre disponibilité et bonne continuation à vous !
Merci beaucoup pour cette interview ! Nous sommes très reconnaissants et honorés d’avoir été invités à répondre à ces questions si pertinentes. Tu nous as fait faire un voyage introspectif, et nous espérons très prochainement faire découvrir cette même expérience au public français lors de nos performances en live ! La scène française a enrichi le monde du metal d’une empreinte importante, et nous vous en sommes profondément reconnaissants !
Un grand merci de nous avoir contactés et d’avoir pris le temps de réaliser cette interview !

Interview réalisée par Icare et mise en ligne par opeth59











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