BLACK SABBATH
TYR (Album)
1990, Intercord Record Service (IRS) / Warner Music Group




adrien86fr
Octobre 1988. Tomas Forsberg alias Quorthon (R.I.P. 1966-2004), membre fondateur du légendaire et référentiel groupe de black metal suédois Bathory ayant enfanté trois pierres angulaires et indispensables d’un style alors à l’aube de sa reconnaissance que sont les immuables « Bathory » (1984), « The Return…… » (1985) et « Under the Sign of the Black Mark » (1987) donne naissance au quatrième album du combo scandinave répondant au patronyme de « Blood Fire Death » encore et toujours édité sur le label de son propre père Börje dit "Boss" Black Mark Production. Rompant avec les patterns propres à la trilogie occulte précédemment citée synonymes de spontanéité musicale brute et relativement minimaliste traitant lyriquement de satanisme bon marché, ce quatrième opus enregistré à la hâte dans un garage de Stockholm baptisé pompeusement Heavenshore épouse la forme d’un disque transitionnel relativement abouti et encore aujourd’hui reconnu comme étant l’instigateur originel du Viking metal. Illustré d’une façon on ne peut plus significative par une magnifique toile de 1872 signée du peintre norvégien Peter Nicolai Arbo intitulée « Åsgårdsreien » représentant des valkyries au combat dans les sphères célestes proches du Valhalla et narrant les exploits belliqueux des guerriers scandinaves des siècles passés notamment à travers la somptueuse « A Fine Day to Die » et l’éponyme « Blood Fire Death » ; ce quatrième disque de Bathory indissociable du concept de mythologie nordique a sans conteste aucun influencé nombre de groupes présents ou passés parmi lesquels peut être ; un certain Black Sabbath.

Black Sabbath voit le jour dans le quartier d’Aston de Birmingham au Royaume-Uni en 1968 autour du vocaliste Ozzy Osbourne, du guitariste Tony Iommi, du bassiste Geezer Butler et du percussionniste Bill Ward. Quasi unanimement considéré comme étant le véritable godfather de la musique heavy metal, le quatuor britannique fait initialement dans un rock relativement lourd et fortement influencé par le blues qui le verra notamment signer son premier contrat discographique avec Phillips Records en novembre 1969. Malgré la présence de fortes personnalités au sein de son line-up et les traditionnels abus de substances plus ou moins licites propres à son époque irretrouvable, la mouture originelle de Black Sabbath restera unie jusqu’en 1978 le temps de huit albums studios parmi lesquels les excellents et cultissimes « Paranoid » (1970), « Master of Reality » (1971) et autres « Black Sabbath Vol. 4 » (1972). Les années 80 verront l’histoire du Sabbat Noir connaitre de nombreux changements de personnel notamment au poste de chanteur, avec le remplacement de l’ingérable Osbourne par l’américain Ronnie James Dio (R.I.P. 1942-2010) pour les albums « Heaven and Hell » (1980) et « Mob Rules » (1981), l’arrivée derrière le microphone de l’ex Deep Purple Ian Gillan pour l’album « Born Again » (1983), celle de Glenn Hughes (ex Deep Purple également) pour « Seventh Star » (1986) et enfin la venue du jeune natif de Birmingham Tony Martin sur les singuliers « The Eternal Idol » (1987) et « Headless Cross » (1989) voyant désormais le six-cordiste prothésé Tony Iommi comme le seul et unique membre rescapé du line-up d’origine de Sabbath. Constitué du bassiste Neil Murray (ex Whitesnake, Gogmagog, Vow Wow), du claviériste Geoff Nicholls (ex Quartz) et du batteur Cozy Powell (R.I.P. 1947-1998) en plus de Tony Martin derrière le microphone ; le cru 1990 de Black Sabbath donne naissance le 20 août de cette même année à un quinzième full length sur le label I.R.S. Records répondant au patronyme mythologique de « Tyr ».

Tyr, ville d’environ 40 000 habitants du Sud-Liban située à quelques 70 kilomètres de Beyrouth mais aussi et surtout dieu du ciel, de la guerre et de ses valeurs dans la mythologie nordique, fils du dieu suprême Odin et garant de l’ordre du monde qui par héroïsme n’hésita pas à sacrifier sa main droite dans la gueule du loup Fenrir pour gagner sa confiance et pouvoir l’enchainer. En apparence, ce quinzième release de Black Sabbath semble à de nombreux égards constituer un concept-album consacré à l’ensemble des mythes polythéistes de l’Europe du nord pré-chrétienne compilés dans les Eddas, démarche qui pourrait être tout à fait plausible compte tenu de l’intérêt notoire du vocaliste Tony Martin pour l’Histoire en général et qui d’ailleurs s’avère être l’auteur de tous les lyrics de « Tyr » mais également quand on prend la mesure des récents succès à l’exercice d’un disque qui raconte une histoire des confrères King DiamondThe Eternal Idol » et « Them » en 1987 et 1988), Iron Maiden (« Seventh Son of a Seventh Son » en 1988) et Queensrÿche avec le remarquable « Operation: Mindcrime » de 1988 notamment. Une introduction solennelle suivie d’incantations latines, le préfacier « Anno Mundi » parait être l’illustration sonore de l’artwork et du concept supposé de l’opus avant de proposer un heavy metal relativement mid tempo d’obédience plutôt spirituelle sur lequel Tony Martin gratifie l’auditeur de son timbre vocal si particulier et charismatique ayant notamment contribué au succès du qualitatif mais particulier « Headless Cross » un an auparavant. Dans un registre similaire, relevons le mid-paced et relativement inspiré « Jerusalem » que Tony Martin réenregistrera deux ans plus tard et inclura en épilogue de son sympathique premier disque solo « Back Where I Belong » ainsi que l’enthousiaste « Valhalla » traitant du paradis des Vikings dans l’antre duquel les plus valeureux d’entre eux se préparent avec Odin à la bataille finale, le Ragnarök. Doté d’une personnalité musicale résolument atypique laissant apparaître un Black Sabbath transfiguré voir totalement méconnaissable par rapport à ce qu’il fut au cours de ses grandes heures, « Tyr » présente néanmoins des titres plus en phase avec ce que l’on est en droit d’attendre d’un combo de heavy metal dit traditionnel à travers les énergiques et fédératrices « The Lawmaker » et autres « Heaven in Black » chargée d’ailleurs de clôturer la galette.

Symbole assez représentatif de la facture relativement inégale de ce quinzième album enregistré aux Rockfield and Woodcray Studios situés près de Monmouth au Pays de Galles, la relativement poussive et maniérée « The Sabbath Stones » qui peine à attirer l’attention d’un auditeur ayant alors conscience que « Tyr » possède de nombreux attributs constitutifs d’une façon on ne peut plus légitime du point d’interrogation discographique de l’anthologique Black Sabbath. Ne formant pas vraiment semble t-il un véritable concept-album traitant de la mythologie nordique dans son ensemble mais proposant plutôt et à juste titre quelques références pagano-spirituelles ci et là ; « The Battle of Tyr », « Odin’s Court » et « Valhalla » font néanmoins ouvertement référence aux mythes polythéistes de l’Europe du nord pré-chrétienne et plus précisément au chef d’Ásgard ainsi qu’au palais aux 640 portes de ce dernier. A l’écoute de la courte instrumentale « The Battle of Tyr » voyant le claviériste Geoff Nicholls seul maître à bord pour l’occasion et proposant assez maladroitement une pièce de synthétiseur relativement grossière et digne des élucubrations sonores d’un combo de black metal symphonique de seconde zone comme il en foisonnait tant au milieu des années 90, l’auditeur ne peut que très difficilement considérer « Tyr » comme un album réussi et dès lors foncièrement indispensable au sein de la riche et conséquente discographie de la légende métallique de Birmingham. Dans une moindre mesure, « Odin’s Court » souffre d’un mal comparable ; celui d’amener Black Sabbath sur un terrain atmosphérique et immatériel qui lui sied relativement mal lorsque l’on vénère au plus haut point les classiques radicalement essentiels et vitaux que sont les inénarrables « Paranoid », « Master of Reality » et autres « Black Sabbath Vol. 4 ». Certes, le temps a passé depuis cette époque révolue et tout artiste s’avère être libre d’expérimenter et d’emprunter tel ou tel autre chemin en fonction de son inspiration créative du moment mais ne pouvait-on pas espérer de Sabbath un disque à la personnalité plus solide et consistante que celle de cet anecdotique « Tyr » à l’aube de la dernière décennie du deuxième millénaire ? Ultime interrogation existentielle propre à ce quinzième effort du mythique Sabbat Noir, l’autosuffisante « Feels Good to Me », single opportuniste de l’opus prenant la forme d’une complainte mélancolique parcourue ci et là de petites bribes vindicatives que n’aurait certainement pas renié un Bryan Adams ou un Richard Marx et dont Tony Iommi a admis qu’elle avait été écrite et placée sur le disque en seule et unique guise de single.

Véritable vrai/faux concept-album ne traitant que partiellement de mythologie nordique malgré son titre et son artwork, offrande musicale maladroitement sophistiquée mettant en scène un combo légendaire mais pour le coup difficilement reconnaissable, présence guitaristique du vétéran Tony Iommi effacée sous des nappes maniérées émanant d’un synthétiseur géniteur d’ambiances prétendument mystiques ; difficile d’adhérer à ce quinzième album de Black Sabbath tant se dernier semble se complaire dans une personnalité inégale et perfectible assez complexe à appréhender. Sans être un album fondamentalement mauvais au sens le plus strict du terme, « Tyr » suscite plutôt l’incompréhension face à son caractère radicalement différent de ce que l’auditeur passionné par le combo puisse attendre de ce dernier. Et si le principal défaut de cette galette n’était pas celui de porter le lourd patronyme de Black Sabbath ? Cependant, un album indispensable à la curiosité des amateurs du sacro-saint groupe proclamé à très juste titre géniteur par excellence du heavy metal.

2011-11-21 17:59:50