EPICA (NL)
THE HOLOGRAPHIC PRINCIPLE (Album)
2016, Nuclear Blast




ericb4 : 15/20
Energisé par l'inspiration créatrice d'un brillant « The Quantum Enigma », encensé par la critique et plébiscité par un public grandissant, il aura fallu au prolifique sextet néerlandais s'armer de courage, de ténacité, témoigner d'une pointe d'audace et d'un brin de folie pour ambitionner de réitérer cet exploit. Mieux, il a caressé le secret espoir de le dépasser à l'aune de cette nouvelle offrande dénommée « The Holographic Principle », huitième album longue durée, sorti chez Nuclear Blast. Autrement dit, le groupe entend marquer plus fort les esprits, accroître une aura internationale déjà largement acquise à sa cause, à sa manière, 14 ans après sa création. Conscient des enjeux d'un tel investissement dans ce concurrentiel registre metal et souhaitant dès lors faire partie des références incontestées du genre, on comprend mieux pourquoi deux ans d'une collaboration de tous les instants ont été nécessaires pour mettre sur pied cette nouvelle pièce en actes. Le résultat final sera-t-il à la hauteur de nos espérances, après les mémorables prouesses observées sur leur précédent méfait ? Un premier regard circonstancié s'impose...

Simone Simons (chant), Isaac Delahaye (guitare), Mark Jansen (guitare, grunts et screams), Coen Janssen (synthés et piano), Rob van der Loo (basse) et Ariën van Weesenbeek (batterie) nous convient à une oeuvre pléthorique de plus de 70 minutes où se succèdent 12 pistes proprement enchaînées, rigoureuses dans leur principe d'émission, bénéficiant d'une qualité d'enregistrement d'excellente facture (supervisé par Joost van den Broek), dont les finitions achèvent de nous convaincre de jouir d'un travail minutieux en studio, transpirant une indéfectible volonté de dépassement de soi et cristallisant une maturité artistique et technique de ses membres. Ce faisant, le son pourra paraître lisse de prime abord, voire aseptisé, mais pas linéarisé, et on regrettera un persistant sous-mixage des lignes de chant, floutant, et même noyant nombre d'impulsions de la mezzo-soprano sous le poids écrasant d'une massive assise orchestrale et d'une prégnante chorale, bien moins perceptible sur le précédent opus.

Une orchestration qui intègre aussi bien nombre d'instruments à vent, à cordes, que moult instruments ethniques et diverses percussions, afin de conférer à cet effort, profondeur de champ acoustique, authenticité du message musical délivré, pureté du son et netteté des formes. Ainsi, tout en souhaitant propulser cet album parmi les plus heavy produits à ce jour par le collectif batave, celui-ci s'est également ouvert à une pluralité de styles alternatifs, incluant des influences death/black, progressives et mélodiques savamment coordonnées à un metal symphonique offensif, abrasif, voire démoniaque, et romantique, désormais aisément identifiable. Ce surplus de maturité a également touché l'économie-même de l'oeuvre et ses textes, ces derniers stimulant inlassablement l'imaginaire, flirtant avec le monde onirique et relatant des multiples et insoupçonnées connexions entre un univers peuplé de fugaces, voire d'insaisissables créatures, et les espaces virtuels les plus complexes que nous ayons à affronter, tous deux étant aussi angoissants qu'attractifs pour l'esprit. Mais, trêve de spiritualité, entrons plutôt et de plain-pied dans le large espace d'expression artistique de nos six acolytes.

Tout comme Leaves' Eyes à l'instar de leur dernier opus « King of Kings », mais dans une tout autre logique argumentative, le groupe a fait la part belle aux choeurs, densifié ses frappes, noirci quelques atmosphères, rendu ses grunts plus saillants qu'à l'habitude, pour nourrir un projet que l'on a souhaité indéniablement voir entrer dans l'histoire.

Tout d'abord, dans un registre metal symphonique pur, et avec quelques belles prestations en prime, on entre en communication étroite avec une rayonnante et palpable proposition orchestrale. Déjà, la puissance des éléments nous parvient prestement des entrailles du progressif instrumental d'ouverture « Eidola ». Doublé de choeurs d'adultes et d'enfants, et fort de ses arrangements taillés au scalpel, tout en équilibrant les parties instrumentales et vocales entre elles, ce titre fort en relief acoustique et d'une durée optimale est annonciateur de la tourmente qui va s'ensuivre. Lui succède, dans un fondu enchaîné, « Edge of the Blade », sculptural et percutant titre metal symphonique où abondent les riffs corrosifs, les attaques armées d'amples choeurs, le tout témoignant d'une indéniable cohésion instrumentale et d'opportunes infiltrations vocales. De saisissants échanges entre la chorale et la sirène, qui tendrait à être aspirée par la dantesque armada, se font sentir. Techniquement solide, cette piste aurait toutefois gagné à témoigner d'une mélodicité plus expressive sur les refrains pour optimiser son impact. En cela, on se se situe un poil en-deçà d'un luminescent « The Quantum Enigma ». Mais le valeureux combo n'a pas dit son dernier mot, loin s'en faut. Ainsi, l'engageant « Beyond the Matrix » ouvre les hostilités par une massive et ondulatoire chorale que suit, parfois trop timidement, une interprète au demeurant bien inspirée. Des riffs acérés étreignent une rythmique enjouée quelque peu libertine sur une trame mélodique agréable, à défaut d'être imparable, sur une piste metal symphonique aux relents dark et aux accents orientalisants. Techniquement complexe et jouant avec habileté d'effets de surprises, avec un joli solo de guitare au passage, le morceau parvient alors à nous pousser à le suivre jusqu'au souffle ultime.

Parfois, c'est dans une veine heavy symphonique que s'inscrivent quelques portées, dont certaines ont pu relever la sauce d'autres moins assurées dans leurs restitutions. Aussi, sur une rythmique plombante et dans une atmosphère orientalisante, et non sans rappeler « The Divine Conspiracy », à cet effet, « A Phantasmic Parade » joue dans la cour des pistes heavy symphonique bien trempées, où Simone et sa cohorte de choeurs, n'ayant de cesse de faire onduler leurs volutes, s'harmonisent parfaitement tout en se faisant face. Mais, une fois encore, bien que ses placements soient convaincants et sa justesse difficile à prendre en défaut, la belle ne parvient que malaisément à émerger de cet échevelant souffle éolien. Toutefois, les empoignades de grunts sont stupéfiantes de pugnacité et contrastent avec les pérégrinations en voix claires de l'ensemble du corps oratoire. Dommage cependant qu'il faille se contenter de refrains au tracé mélodique aussi peu oscillatoire autour de son axe central, même si les couplets se font voluptueux. Par ailleurs, une épaisse et incisive rythmique nous assaille sur le mid tempo « The Cosmic Algorithm », plage heavy symphonique où bruissent les choeurs qu'accompagne une sirène, quelque peu opacifiée par un ensemble rugissant. Des jeux d'ombre et de lumière s'esquissent : Des tirs en rafale de riffs scarificateurs meurtrissent le pavillon, alors qu'un enjôleur solo de guitare tente de l'amadouer ; de fines gradations en voix claire contrastent avec des growls caverneux. Cela dit, on regrettera, ici encore, l'absence d'un sillon mélodique mieux dessiné, sur cette piste aux ombrages dark avérés. Enfin, des perles de pluie au piano assistées d'un doux violon cachent une puissante et rugueuse piste à l'aune de « Tear Down Your Walls », piste heavy en up tempo. Des harmoniques peu convenues s'inscrivent dans les portées de la partition, qui ont pour corollaire des joutes oratoires qui se jouent des codes pour nous ensanglanter de toutes parts. Les lourdes attaques des choeurs corroborent les coupantes insertions du growler, la belle semblant, une fois de plus, en retrait sur ce champ de bataille sur un passage résolument nerveux, anxiogène, apte à donner quelques palpitations.

A d'autres moments on se trouve aux prises avec des passages plus speed, sinon dévastateurs, dans une lignée plus estampée power symphonique, qui semblent avoir réussi au combo. Ainsi, un piano/violon nous ouvre les bras sur le vrombissant « Universal Death Squad », d'obédience power mélodico-symphonique, où mitraillent les riffs et où fouette une rythmique enfiévrée. Mid/up tempo entraînant qui déploie des couplets bien ciselés et des refrains efficaces, aptes à nous retenir plus que de raison. Dans la lignée d'un « Design Your Universe », on évolue dans un bain bouillonnant haut en couleurs, où d'inquiétants growls s'immiscent dans une jungle où cohabitent une déesse un brin effarouchée et ses gardes du corps qui ne la quittent pas d'un iota. Sinon, d'angéliques inflexions introduisent « Ascension - Dream State Armageddon - », piste power sympho empreinte d'une violence maîtrisée et de quelques douceurs orientalisantes en substance. Toute la verve d'une bête enragée lancée à nos trousses nous est déversée, nous glaçant littéralement le sang. Une touche black s'esquisse alors, entretenue par une judicieuse utilisation des choeurs, les rendant plus angoissants qu'invitants. En outre, on ne perd pas de vue une ligne mélodique jouant sur moult nuances, même si, par moments, elle Feint de nous égarer en des espaces technicistes qui, cependant, jamais ne frisent l'ostentatoire démonstration.

Quant aux moments plus intimistes, sans surprises, le combo détient le secret de ces vibes qui nous feront frissonner, transpirer d'émotion, avec quelques nouveaux accords en substance. D'une part, tel un générique d'une production hollywoodienne, une violoneuse entame nous installe en douceur et progressivement sur le corpulent et délicat « Once Upon a Nightmare ». De cette ballade progressive émanent de sensibles arpèges au piano qu'accompagne en filigrane une déesse ayant retrouvé ses plus redoutables armes de séduction, les mêmes qui avaient séduit les amateurs de « The Divine Conspiracy ». Lorsque le convoi orchestral et choral gagne en amplitude de mouvement, et qu'une osmose rejaillit entre vocaliste et instrumentation, le spectacle devient total, la belle, de surcroît, élevant ses impulsions de velours au point de tutoyer les étoiles. On comprend alors que c'est précisément dans ce compartiment rythmique et mélodique que, pour elle, l'art est naturel et que l'émotion, celle que d'aucuns attendent invariablement, ne tarde pas à nous submerger en conséquence. D'autre part, des percussions tribales adjointes à une sitar et un violon déterré du pays des mille et une nuits nous embarque dans les méandres du voluptueux « Dancing in a Hurricane », brûlante power et progressive ballade que l'on parcourt à dos de chameau sous un soleil de plomb, pour un long périple dans une vaste et désertique étendue inconnue. Soudain, tel un sirocco inattendu, des growls viennent hanter les lieux comme pour nous mettre en garde des périls qui nous guettent dans cet espace sablé. Puis, tel une miraculeuse et salvatrice oasis, un refrain d'une pénétrante esthétique mélodique nous est octroyé, comme pour conjurer le sort d'un pauvre hère en quête de sens à sa vie.

Ce serait faire fi des fresques, amples plages d'expression artistique auxquelles le groupe s'est adonné depuis ses débuts et qui, bien souvent, ont conduit à une progressive réappropriation avant une adhésion, elle-même souvent définitive. Et celles qui nous attendent n'échappent pas à cette règle. Véritable pièce d'anthologie de fin et titre éponyme de l'album, exercice auquel le groupe nous avait habitués (pour rappel, « The Phantom Agony » est elle aussi une fresque de clôture extraite de l'album éponyme ; de même « The Divine Conspiracy », « Design Your Universe » ou encore « The Quantum Enigma »), « The Holographic Principle - A Profound Understanding of Reality - » étire royalement ses 12 copieuses minutes en optimisant les passages en up tempo, virulents et démoniaques à souhait, tenus en growls, sur les couplets, scrupuleusement relayés par d'autres plus en retenue et en voix claires, notamment sur les refrains. La kyrielle de passages techniques, de très bonne facture d'ailleurs, ne saurait faire de l'ombre aux phases éminemment mélodieuses, enjolivées par les patines de la belle et magnifiées par des choeurs devenus omniprésents au fil de leur progression. On ne passera pas outre cette perle de metal symphonique qui, comme ses illustres aînées, devra se laisser le temps de l'imprégnation avant que l'immersion dans cette mer de feu ne gagne le fond de nos âmes. Une bien belle manière de clore le dernier acte de cette pièce épique. Eu égard à une seconde fresque, de moindre importance (de 8 minutes tout de même), distillant un tapping martelant, des coups de serpes d'un coléreux growler, le roboratif, virulent et contrasté « Divide and Conquer » mise tant sur ses lumineux refrains pour l'emporter que sur le magnétisme engendré par les joutes oratoires entre la princesse et ses dévoués serviteurs de choeurs. De subtiles variations et changements de tonalité ainsi qu'un pont technico-mélodique bien amené, promptement aspiré par une frontale déferlante sur la crête du refrain, sans que le sillon mélodique jamais ne dérive, font comprendre que l'on détient l'une des pièces maîtresses de l'échiquier.

Si l'on se situe loin des débuts tâtonnants de « The Phantom Agony », que l'on a évité de tomber dans les travers d'un controversé « Requiem for the Indifferent », ce nouvel opus aura toutefois quelques difficultés à se hisser au rang d'un brillant « The Quantum Enigma » ou d'un mémorable « The Divine Conspiracy ». Si cette offrande, jouissant d'une qualité de production de bon aloi, s'avère techniquement aboutie, diversifiée dans ses ambiances, dotée de refrains plutôt efficaces, jouant même parfois les farouches séductrices, elle surprend, taquine nos âmes, bouscule nos certitudes, et parfois se plait à nous déconcerter. Moins immédiatement accessible que prévu, d'une mélodicité douce-amère qui se cherche encore, pour certains passages, des points d'ancrage pour en optimiser l'impact, un sous-emploi des capacités de la frontwoman conjugué à un sous-mix les tiédissant d'autant, une omniprésence de choeurs qui, parfois, auraient pu être placés en background sans en atténuer l'effet escompté, sont autant d'éléments à reconsidérer pour espérer placer ce nouvel opus parmi les perles du metal symphonique de cette année. Ayant à son actif de sérieux atouts, ce méfait n'en décèle pas moins quelques carences autorisant à le placer parmi les galettes artistiquement intéressantes à défaut de jouer les œuvres majeures du registre, et de celles du groupe lui-même. Si l'experte araignée a tissé une solide toile, encore eût-il fallu asseoir l'opus par l'octroi d'un petit supplément d'âme...

2016-09-14 19:00:24