Vous vous en doutez, le réveil pique un peu : je n’ai plus 20 ans, et une nuit sous tente en camping, ce n’est pas vraiment de tout repos, surtout lorsque comme moi, on a un sommeil léger particulièrement sensible à la lumière et au bruit...
Karras (FRA)
Après quelques heures de repos concédées par mon vieux corps fourbu, c’est parti pour le deuxième jour de festival, et c’est Karras qui a l’honneur d’entamer les hostilités sur la Dave Mustage. Karras, c’est un trio de death lourd et gras qui s’inspire beaucoup de l’école suédoise dans le riffing et les rythmiques, mais qui n’hésite pas à ponctuer sa musique d’incursions grind frénétiques (la reprise du fameux You Suffer ! de Napalm Death) et de ralentissements sludge/doom bien lourds et poisseux, bref un cocktail parfait pour des concerts efficaces et puissants ! Et c’est exactement ce que le combo va nous servir : un show brut, sans fioriture avec un son de guitare gonflé aux hormones. J’ai été personnellement surpris par le chant, plus typé hardcore/thrash que death, mais auquel on s’habitue et qui colle finalement plutôt bien à ce death tirant volontiers vers le crust. Les Parisiens feront montre d’une belle énergie, Diego Janson haranguant une foule un peu clairsemée mais qui a globalement bien réagi à une prestation certes classique mais solide et percutante. Pazuzu et les cohortes infernales n’ont qu’à bien se tenir, Karras est dans la place et il est plutôt du genre costaud !
Inhumate
Inhumate fait du grind depuis près de 35 ans et sillonne les routes de France et de Navarre depuis presque autant d’années et croyez-moi, ça s’entend et ça se voit ! Putain, quelle intensité ! Les Strasbourgeois m’ont asséné la claque brutale de cette édition 2024, et pourtant, vu l’affiche, il y avait de la concurrence ! Grind oblige, les morceaux sont extrêmement courts et ramassés, d’une efficacité et d’une puissance redoutables, portés par une batterie hystérique, des riffs costauds et très entraînants, une basse qui claque et une alternance de vocaux growlés, grognés et hurlés dans la grande tradition du style. Les musiciens, au jeu de scène particulièrement dynamique, connaissent leur sujet sur le bout des doigts et assurent, mention spéciale à Yannick qui n’est plus tout jeune mais balance roulements et blasts supersoniques comme un gamin de 20 ans avec une aisance et uen endurance déconcertantes. Ceci dit, l’alien de la bande, c’est sans conteste le hurleur Christophe qui assure le show à lui tout seul ! Complètement possédé et hystérique, ne tenant pas en place, gigotant et courant sur scène, headbangant à quatre pattes comme un chien enragé à s’en écorcher les genoux, frappant ses musiciens avec une furie feinte, le bougre se ravage le front jusqu’au sang à coups d’un pauvre micro qui finira passablement déformé (impressionnant le rendu sonore des chocs !) et descendra dans le pit au beau milieu d’un wall of death histoire de se faire joyeusement éclater la tronche (« C’est moi la cible ! Vous m’ratez vous perdez ! ») avant de continuer à pogoter dans la boue avec les festivaliers, continuant à gruiker comme si de rien n’était, et leur tendant de temps en temps le micro pour qu’ils puissent à leur tour libérer leur rage et leur colère dans une explosion de grind old school salvatrice. Un show d’une intensité et d’une sauvagerie hallucinante, presque cathartique, qui aura vu le groupe et son public communier en un rituel de violence codifié finalement très respectueux et fraternel. Quand on sait qu’ils comptent s’arrêter l’année prochaine, on se dit qu’il faut vraiment profiter de leurs prestations scéniques et qu’il aurait été dommage de rater ça… Magistral !
Incantation
Place à Incantation, autre tête d’affiche de death US que j’attendais impatiemment ! Les Américains n’auront pas déçu, livrant un show certes classique et manquant un peu de folie après le passage des tarés d’Inhumate, mais d’un professionnalisme et d’une efficacité à toutes épreuves.
Pour le coup, là aussi, dans un autre registre, on sent qu’avec leurs 25 ans au compteur, les mecs ont de la boutanche et ils déroulent de façon millimétrée leur death pesant, sombre et dévastateur alternant blasts très rapides et parties lourdes lorgnant méchamment du côté du doom. La musique du groupe dégage cette aura sombre et sulfureuse caractéristique (avis aux amateurs d’Immolation !) mais le leader John Mc Entee semble presque bonasse bien qu’assez laconique, et le contraste entre son growl ultra guttural et la voix gentillette et un brin nasillarde avec laquelle il apostrophe les « French Fucks » prête à sourire. Le son est impressionnant, à la fois très puissant et limpide, les musiciens un peu statiques mais exécutant à la perfection une excellente set list, incluant les classiques Blasphemous Creation et The Ibex Moon et s’achevant sur un Impending Diabolical Conquest impérial et destructeur. Simple et sans fioriture, mais efficace !
Liturgy
Allez, on change d’ambiance et direction la Massey Ferguscène pour un concert de… noise black avantgardiste ? Harsh black expérimental ? Hippie black bruitiste ? Chacun ira de son étiquette mais une chose est sûre, il n’est pas facile de qualifier la musique de Liturgy. D’ailleurs, on imagine bien pourquoi bon nombre de trves les exècrent, eux qui ne rentrent dans aucune case et se foutent complètement des codes et des gimmicks inhérents au genre : rien qu’à voir Hunter Hunt-Hendrix sur scène avec sa petite robe légère doit faire faire la grimace à bon nombres de blackeux intransigeants. Les Américains dégueulent une sorte de chaos sonore bruitiste et déstructuré juste rythmé par la frappe ultra rapide d’un batteur hystérique au bord de la rupture et ponctué par les shrieks maladifs de la frontwoman complètement hébétée et habitée. On est noyé dans un mur de distorsion constitué de riffs mouvants à la limite du noise, donnant parfois l’impression que les musiciens jouent chacun dans leur coin sans souci de cohérence. D’ailleurs, le jeu de scène renforce cette sensation étrange, les guitaristes raides comme des manches regardant leurs pieds dans un mutisme quasi autistique, comme enfermés dans leur bulle, jouant scolairement leur partition sans laisser paraître aucune émotion. Les hurlements suraigus de la chanteuse vrillent les oreilles et nous emmènent aux confins de la folie pour une expérience très éprouvante et décidément hermétique, cette aliénation étant encore renforcée par un jeu de lumière stroboscopique et épileptique. Ceci dit, à certains moments, le mur du son se relâche un peu et on trouve un peu de lumière et de mélodies dans cette ébauche de décibels crispante, respiration salvatrice accompagnée par quelques plans et vocalises plus doux. Quoi qu’il en soit, Liturgy en concert reste une expérience sacrément intense, éprouvante, dérangée et dérangeante. Et si finalement, les blackeux étaient juste jaloux d’un groupe qui parviendrait à faire une musique plus malsaine que la leur ?
1914
Il y a deux ans, les Ukrainiens de 1914 avaient dû annuler leur passage au dernier moment et j’avais été dépité de ne pas pouvoir les voir, Where Fear and Weapons Meet ayant été un de mes gros coups de cœur de l’année 2021. Je ne pouvais donc pas rater ça ! Et pour le coup, la formation livrera une très bonne performance, très solennelle, avec un jeu au cordeau servi par un son encore une fois excellent, à la fois clair et puissant et un jeu de scène assez simple mais parfaitement adapté à la musique et touchant. Les quatre font leur entrée sur l’intro War In, tous affublés de costumes d’époque, avec un visuel sobre et sombre dans les tons cris, deux panneaux affichant une forêt de croix hérissées, celle en premier plan étant juchée d’un crâne semblant hurler et portant encore son casque de guerre. 1914 nous pilonne d’entrée avec FN .380 ACP#19074 et enchaîne avec Vimy Ridge (In Memory of Filip Konowal), exposant rapidement ses différentes facettes, entre passages résolument explosifs et brutaux et moments nauséeux à lourdeur suffocante, les musiciens restent statiques et impassibles, se contentant de faire parler la poudre. John B. Kumar, capitaine des troupes, entre en brandissant le drapeau ukrainien, affublé d’un lourd costume de toile complètement maculé de boue, le visage sale et hagard et mime à la perfection un soldat traumatisé par l’horreur de la guerre, avançant comme un automate avec des pas lents et désarticulés, les gestes saccadés, le regard vide, perdu, l’index tremblotant sur les lèvres comme pour faire taire le bruit des bombes, les mains crispées et les bras se repliant au-dessus de la tête, protection illusoire contre la probabilité d’une explosion imminente. Lors du dernier morceau, Passchenhell, il va descendre de scène et se perdre dans la foule, continuant à accompagner la musique de son chant rauque et arraché à la Roman Saenko, et arpentant inlassablement la fosse de son pas lent, continuant sa pantomime pitoyable. Un show très fort et émotionnel, surtout lorsque le chanteur prend la parole pour dénoncer la réalité du terrain (Fuck war, Fuck imperialism and fuck Poutine !) et que le batteur, réfugié en France depuis trois ans, enchaîne dans un bon français pour remercier la France de son soutien au peuple ukrainien. Un grand moment du festival !
Myrkur
Après les horreurs de la guerre, rien de tel qu’un peu de douceur ! Direction la Dickinscène donc pour se faire caresser les oreilles par la voix angélique et la musique atmosphérique de Myrkur. Autant sur album, la musique de la Danoise ne m’emballe pas plus que ça, autant il faut reconnaître qu’elle prend une autre dimension sur scène, et j’ai été impressionnée par ses capacités vocales dès les premières notes cristallines de Bålfærd, à la pureté incroyable. Myrkur évolue dans un registre très atmosphérique, jouant avec les jeux de lumières et de fumées qui renforce cette impression de langueur éthérée, presque mystique, et nous offre un show tout en sensibilité et en nuances qui captive l’assistance. Quelques montées en puissance viendront légèrement nous tirer de cette torpeur ouatée (les brefs blasts de Mothlike, le superbe Valkyriernes Sang, la fin blastée de Devil in the Detail, très prenante, où les deux musiciennes s’égosillent et le batteur, intelligemment mis en lumière par les spots, se déchaîne) mais le son met surtout en avant les claviers, essentiels à la musique, ainsi que les parties vocales de toute beauté, la batterie restant un peu en retrait (choix judicieux d’ailleurs, car les rares fois où Martin Haumann (?) blaste, il ne fait pas semblant !). En fin de set, Amalie Bruun et Maja Shining, la talentueuse bassiste et claviériste qui évolue également chez Forever still, nous offrent unmoment de grâce suspendu entre ciel et terre, se renvoyant des notes haut perché d’une justesse et d’une beauté à coller des frissons, devant un public qui retenait son souffle, médusé avant d’entamer le délicat et mélancolique Leaves of Yggdrasil. Une très belle prestation et une respiration salvatrice au milieu de ce déluge de décibels et de violence !
Myrath
Après ce joli concert qui permet de redescendre tout en douceur, un peu de repos bien mérité et un pique-nique improvisé sous la tente histoire de repartir de plus belle ! J’entendrai de loin Left to Die (groupe de reprises de Death) et KK ‘s Priest, qui livreront une belle performance, mais le besoin de repos était trop fort ! Un peu retapé, je me dirige alors vers la Massey Ferguscène, curieux de voir la prestation de Myrath, qui depuis quelques années semble jouir d’une popularité croissante et avoir conquis le cœur des fans français. Leur concert le confirme, avec une foule enthousiaste et compacte, et les Tunisiens offriront un show très professionnel avec une mise en scène soignée : décor projeté en fond, avec ces grandes portes mauresques ornées de nombreuses arabesques, un Zaher Zorgati très en voix, à la prestation impeccable, qui fera son entrée en costume traditionnel ainsi qu’une danseuse orientale qui viendra agrémenter le show de ses contorsions envoûtantes, d’abord avec des foulards et avec un sabre sur la bien nommée Dance ! La prestation est très carrée, avec des musiciens irréprochables et un son parfait qui met idéalement en avant les soli léchés de Malek Ben Arbia, et les morceaux s’enchaînent (Into the Light, Born to Survive, Child of Prophecy, le touchant Heroes, que Zaher dédiera aux enfants qui viennent de l’interviewer, victimes de harcèlement scolaire…), servant un heavy progressif moderne et mélodique aux lointaines fragrances orientales et aux timides pointes symphoniques. Un concert chaleureux et tout en sourire, qui m’aura fait passer un agréable moment en attendant le show d’Opeth…
Opeth
S’il y a un groupe auquel j’ai longtemps voué un culte et que j’ai toujours voulu voir en concert, c’est bien Opeth ! Et puis, avec l’ancrage de leur musique dans un style résolument rock progressif au fil des années, où toute trace de death avait disparu, j’ai commencé à me désintéresser un peu du groupe, qui, s’il avait conservé son talent de composition et sa classe musicale, n’était simplement plus pour moi… Autant dire que j’étais un peu circonspect pour mon premier live des Suédois, m’attendant à un show de rock 70’s, avec peut-être quelques titres de leur nouvel album à venir en octobre…
Pour le coup, mes craintes n’étaient pas fondées puisque le quatuor a choisi de présenter uniquement des vieux morceaux, faisant le bonheur des fans de la première heure, dont je suis ! Durant une heure et quart (temps maximal pour les têtes d’affiche du Motoc !) Mikael et sa bande nous ont égaré dans les recoins de leur death progressif brumeux à l’exécution sans faille, enchaînant les intouchables The Drapery Falls (quel délice !), Heir Apparent, Ghost of Perdition et achevant sur un Deliverance architectural de plus de 13 minutes. Le tout avec sobriété et maestria, sans grande exubérance ni démonstration inutile, la seule originalité étant l’estrade sur laquelle jouent le claviériste et le batteur et dont les écrans affichent un jeu de lumières psychédélique. Åkerfeldt, le plus british des Suédois, toujours très affable, sympathique et plein d’un humour pince-sans-rire, affiche cette nonchalance de dandy, et entre deux remarques sur la météo et une déclaration d’amour pour le vin français, reprend avec son groupe le You Suffer de Napalm Death pour la deuxième fois de la journée. La grande classe !
Aura Noir
Après la super prestation d’Havok hier, je voulais me prendre ma petite dose de thrash quotidienne, et c’est Aura Noir qui aura la tâche d’essayer de me faire mosher, même si à 00h20, je suis bien sûr moins exigeant que la veille en plein après-midi. Tant mieux finalement, car les Norvégiens se fenderont d’un set simple, basique et efficace, qui ne restera pas dans les annales, se contentant de balancer leurs morceaux sans grande exubérance ni réelle interaction avec le public. La prestation reste sympathique mais manque un peu de fougue et de folie (le fait qu'Aggressor joue assis n'aide pas, évidemment, même si pour le coup, on ne peut pas lui en vouloir!) et le jeu, très brut, est parfois un peu approximatif, même si ça fait le charme de ce genre de musique. D’ailleurs, sur scène, l’influence black s’efface largement au profit d’un thrash pur et dur, seuls persistent quelques trémolos picking (les quelques arpèges sombres de Hell’s Fire, Conqueror, le refrain de Condor) et timides blasts qui viennent assombrir un peu l’ambiance de ce show honnête mais un peu trop conventionnel pour vraiment marquer. Un bon moyen pour se réveiller après Opeth et avant Haggard en somme, ni plus ni moins.
Haggard
Entre Igorrr et Haggard, il n’y a vraiment que la sonorité des patronymes en commun. Deux excellents groupes, mais musicalement aux antipodes et qui jouent en même temps, c’est encore un choix déchirant à faire, mais vu l’heure tardive et la perspective prometteuse d’une douce nuit de sommeil, c’est le death symphonique des Allemands bien plus calme et mélodique qui emporte mon adhésion. Cela faisait depuis plus de 15 ans que les Bavarois n’avaient rien sorti et presque autant de temps qu’ils n’avaient pas tourné, on pouvait donc craindre que la machine soit un peu rouillée mais que nenni ! La musique d’Asis Nasseri n’a pas bougé depuis toutes ces années, équilibre délicat entre ritournelles baroques et lourds accords metal se mêlant avec une magnifique sensibilité et un talent de composition évident. Loin d’un banal death sympho à claviers, la musique classique est ici l’ossature de la musique, et ces parties sont retransmises par un mini orchestre composé de deux violoncelles, deux altos et une flûte traversière, même si on déplorera que les musiciens restent un peu dans l’ombre, assis dans le fond de la scène et souvent masqués par les jets de fumées (ceci dit, difficile de faire de la place pour tout le monde sur cette petite scène relativement intimiste !). Haggard joue plusieurs grands classiques (Per Aspera Ad Astra, Herr Manelig, morceau sombre et solennel à la mélodie vocale sublime, le superbe Awaking The Centuries) et la claviériste est très en voix et intervient régulièrement d’un chant d’opéra mezzo admirable, tandis que le bassiste, énergique et mobile, fait entendre un beau chant clair lors de quelques refrains et courts passages. Le groupe était visiblement ému de fouler à nouveau la scène, pour preuve un Asis particulièrement prolixe, qui s’étend beaucoup sur la vie de Galilée – figure centrale du concept album Eppur Si Muove - et qui est obligé de précipiter la fin du show, laissant aux oubliettes The Final Victory que j’attendais impatiemment, dommage ! A la fin, le compositeur présente chacun des musiciens, remercie chaleureusement le public et fait la traditionnelle photo de clôture de concert avec un parterre de spectateurs aux anges.
Un très bon show tout en subtilités et riche en émotions pour finir cette deuxième soirée, il est maintenant grand temps d’aller dormir pour être en mesure de profiter d’un troisième jour bien chargé comme il se doit !

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Ma claque de cette journée était également INHUMATE !
Je te confirme que LEFT TO DIE était bien (KK'S PRIEST pas mon goût en revanche).
INCANTATION & 1914 au top.
LITURGY bonne découverte :-)
J'avais déjà vu AURA NOIR et avais aussi été déçu, tout pareil.
Je pensais comme toi qu'OPETH allait nous servir de la soupe donc je n'y suis pas allé. A te lire je regrette :-( car j'étais bien fan aussi à l'époque où il y avait du growl.
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