Carpenter Brut

Avoir une interview de Carpenter Brut n’aura pas été chose aisée. Après maintes relances, nous avons finalement pu avoir un créneau d’un quart d’heure pétante avec Mr Carpenter, géniteur et compositeur unique du projet. Pas de photos, pas de vidéos, l’homme cherche à conserver la part de mystère qu’il reste (et elle est mince) mais s’avère rapidement très humble, sympathique et courtois.

Une discussion animée sur l’évolution du groupe, de son statut, de la scène actuelle, du paradoxe du succès ainsi que le dernier opus en date, « Leather Teeth ». Place au personnage derrière les synthétiseurs …

[Par Eternalis]

 

1 – Vous avez beaucoup tourné un peu partout dans le monde dernièrement. Comment ça s’est passé ? Est-ce que les réactions ont été différentes selon les pays ?

C’est drôle parce que le journaliste précédent m’a demandé la même chose. Les réactions ont été bonnes vraiment partout. Les gens sont un peu moins virulents dans les pays nordiques par exemple. Ils regardent, ils sont attentifs mais ce n’est pas forcément démonstratif. Et plus tu descends vers le sud plus les gens s’amusent. Les pays de l’Est aussi sont surprenants, très réactifs. On a été à Moscou ou St-Petersburg où le public s’est déchiré la tête (rires). Les Etats-Unis et le Canada ont aussi une très grosse ambiance…je dirais que c’est finalement excellent partout.

Alors forcément, en Irlande tu as des grands gaillards de deux mètres qui n’ont pas envie de danser mais ça n’empêche pas que l’ambiance soit bonne.

 

2 – Comment tu décrirais « Leather Teeth » par rapport aux trois premiers ep ?

J’ai déjà voulu casser le concept de la première trilogie en repartant sur un nouveau concept. J’aime avoir des objectifs, ne pas me dire « bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant » donc si je sais que je bosse sur une trilogie, ça me motive et me pousse à créer de la matière. Ça c’est la première chose.

Ensuite, je voulais prendre un virage plus…(ndlr : il hésite) … plus glam rock ouais. Je trouvais ça intéressant car dans la synthwave, c’est très synthétique, ça rappelle les années 80 ou soit c’est très dark, à la Perturbator ou GosT mais il n’y a pas vraiment d’entre-deux. Je trouvais que la période glam n’a pas du tout été utilisé dans la synthwave et que ça permettait en plus d’inclure plus facilement le guitariste que j’ai sur scène (ndlr : Adrien Gousset de Hacride) dans l’album. On peut aussi partir sur quelque chose de plus progressif dans le concept, qui montera en intensité niveau violence.

On commence avec un gosse qui est au lycée et dans le prochain, il sera chanteur de heavy metal et plus vénère si tu veux …

 

3 – Il réussit son défi du premier album donc ?

Il réussit mais ça devient aussi un serial killer donc c’est un enculé quand même (rires)

Il y aura une troisième phase que nous verrons plus tard mais je pense que la violence ira dans le même sens. Mais pour reprendre ta question initiale, je souhaitais casser des codes, sortir de l’electro plus binaire (ndlr : il mime une mélodie technoïde) pour faire des choses plus soft. J’avais besoin et envie de faire ça.

 

4 – Il était prévu de faire un album plutôt qu’un ep ou c’est le concept qui t’a guidé ?

Alors tu sais certains diront que ça reste un ep parce que c’est court mais le dernier Madball ne fait que 28 minutes donc bon …

Ça ne veut rien dire ep ou album. Je voulais faire un album car, dans ma discographie, si on regarde, il y a juste des eps. Mais je n’ai pas réfléchi réellement en ce sens…je fais des morceaux et à la fin, ça fait 8 morceaux. Peut etre que sur le prochain, il y en aura 15, ça dépendra de comment ça se passe.

 

5 – Est-ce que tu as pensé à Adrien et Florent quand tu as composé ces titres ? Est-ce qu’ils ont été intégrés au processus ?

Comme je partais sur quelque chose de plus rock, je savais que je pourrais avoir besoin d’Adrien pour quelques riffs que je ne peux pas faire sonner au synthé. Pour la batterie, j’avais ce titre plus progressif qui est « Monday Hunt » sur lequel je me suis dit que je ne voulais rien programmer parce que pourquoi « faire vrai » quand je peux avoir un « vrai » batteur ? Donc je l’ai fait jouer sur ce titre-là. Pour le reste, j’ai fait les choses seul dans mon coin, comme d’hab.

 

6 – Les trois premiers eps n’étaient pas du tout pensé pour le live. Je suppose que ton expérience de la scène a influencé ton écriture ?

Carrément, je ne faisais pas de live à l’époque, juste de la musique. Là, j’ai pensé à des choses plus rock n’roll. Peut-être que le concept du disque découle de ma volonté de faire des choses plus en phase avec la scène, je ne sais pas trop. C’était évident pour moi et je voulais mélanger sur scène des choses electro et d’autres plus rock.

Mais dans le fond, si tu veux, je ne mets pas devant une feuille avec un cahier des charges à cocher tous un tas de trucs qu’il faut faire. Ça évolue sur le temps, j’ai pris les morceaux, ils ont muri, j’ai enlevé des trucs parce que je savais que ça ne collerait pas avec le reste…ça a été organique comme processus. Je voulais une efficacité live mais aussi me faire plaisir…je ne suis pas un groupe de black metal avec des codes à respecter !

 

7 – Comment as-tu pu avoir Garm d’Ulver sur l’album ?

C’est aussi con qu’inespéré finalement. On a sorti des vinyles chez Neuropa qui a bossé aussi avec Ulver et j’ai simplement demandé à ce qu’ils me mettent en contact avec Kristoffer (Rygg, aka Garm) parce que je suis fan de ce gars depuis que je suis gamin. Il a écouté notre musique, a dit « Ah ouais c’est cool » et puis…plus rien. C’est resté là-dessus.

Je l’ai croisé au Roadburn Festival, on était à la cantine et j’ai été l’accosté pour me présenter « Bonjour, je suis Mr Carpenter » et on a commencé à discuter. Déjà l’approche était cool. Il ne m’a pas toisé en me regardant du genre « T’es qui connard ? » (rires). Je lui ai demandé que l’on fasse une chanson ensemble et il m’a dit qu’il n’y avait pas de soucis, mais qu’il ne voulait pas écrire de paroles car il ne savais pas quoi raconter quand ce n’était pas pour lui. Du coup j’ai vu avec Yann de Klone qui a écrit le texte et c’était parti !

Pour Mat McNerney, ou Kvohst, je ne sais même pas comment on prononce son pseudo ! Je l’avais contacté à l’époque de Beastmilk, avant Grave Pleasures, on se disait qu’il fallait qu’on fasse quelque chose depuis pas mal de temps et ça s’est enfin concrétisé ici.

 

8 – Tu dois aussi changer tes habitudes de composition quand tu sais que tu auras du chant ?

C’est sûr. Tu peux parfois laisser le chanteur faire un peu le job, te reposer sur la voix et ne pas te dire qu’il n’y aura « que » la musique. Bien sûr, tu dois avoir un accompagnement qui tiens la route sinon c’est naze mais c’est une façon différente d’envisager le morceau. Il y a des morceaux de Depeche Mode par exemple que j’adore et qui repose quasi uniquement sur le chant, bien que la musique derrière soit géniale.

Quand j’y pense, je n’écoute quasiment que de la musique non-instrumentale…j’adore le chant et j’aime beaucoup travailler avec.

 

9 – Je me souviens d’une interview que j’avais lu sur le net, à l’époque de la sortie de « Ep III » où tu disais que Carpenter Brut devait rester léger et que s’il devenait trop sérieux, ça te saoulerait. Mais aujourd’hui, tu deviens une grosse machine, vous enchainez les tournées, multiplier le merchandising…donc est-ce que ton avis à changer sur le groupe ? Ce qu’il devait être ?

C’est une bonne question…merci de me la poser en tout cas (sourires).

Est-ce que mon avis a changer…écoutes, je fais les choses de manière détachée pour m’amuser mais j’essaie de le faire de façon très professionnel quand même, par respect pour ceux qui nous suivent. Mais tu as aussi des mecs qui vont critiquer parce que avant c’était plus cru, plus sombre.

J’ai envie de leur dire…enfin les mecs, je ne vais pas arrêter de faire de la musique parce que beaucoup de personnes commencent à m’écouter. On fait comment ? J’ai dépassé les 50 000 fans sur Facebook donc j’arrête ? J’ai des vues sur Youtube donc je suis vendu ?

C’est simplement que les choses grandissent. Je veux améliorer la scénographie, on est passé du van au tour bus, j’ai un mur de lights et un bordel de leds sans nom dans le bus…voilà c’est ambitieux mais je veux que ça reste fun à faire. L’équipe grossie. On est passé de 4 à 15. Tu peux faire les choses avec fun mais en étant sérieux. On a pris un tour manager, que tu as rencontré tout à l’heure, prendre des attachés de presse, trouver un distributeur, une équipe technique complète…je ne vois pas du tout pourquoi ça serait un problème.

 

10 – Et puis ça simplifie aussi certaines choses. Je pense aux sorties physiques qui étaient sold out à chaque fois en quelques heures, avec des fans qui gueulaient et des prix discogs qui explosaient quelques jours plus tard …

Tout ça a fait qu’on a aussi décidé de sortir les albums sur labels. Les gens comme toi galéraient à le trouver et le truc, c’est qu’on faisait les choses en petite quantité parce que ça coute quand même du blé de presser des vinyles.

Et le dernier pressage a été sold out en 15 minutes. Tout le monde gueulait, le site a planté… et on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Mais derrière des gens ont gueulé parce qu’on nous trouvait sur amazon (rires). Il faut savoir au bout d’un moment. On ne peut pas être totalement indé mais avoir les avantages du grand public. On avait peut-être écoulé 1 500 exemplaires du vinyle de « Trilogy » et depuis que c’est sur amazon, on est à plus de 10 000.

 

Mais si on passe pas cette barrière de vente, si on les presse mais qu’on les vend pas sur amazon, il nous reste sur les bras. J’ai créé mon label que je gère avec ma femme. Mais si on ne les vend pas, on aura pas d’argent, pas de salaires. Donc je ne pourrais pas faire tourner le label, ni tourner moi-même avec Carpenter Brut. Donc je ne pourrais pas investir sur la scène donc le spectacle sera pourri, les gens seront déçu et ne viendront plus. C’est tout un écosystème à construire qui peut aller très vite dans les deux sens.

Moi je veux faire de la musique, de m’adapter en fonction du temps qui passe. Alors certains aimeront moins aujourd’hui musicalement et se diront que je suis vendu parce qu’ils aiment les débuts…et d’autres ça sera l’inverse. Ou parce que comme on va jouer à Coachella (ndlr : il montre sa casquette avec le logo du festival) et qu’il y aura Beyoncé sur la même scène. C’est surement un des plus gros festivals de la planète donc je veux voir comment ça se passe derrière tout ça. Je ne tombe pas des nues parce que je vais y jouer…je pense à l’organisation, à combien de temps de jeu on aura, est-ce qu’on pourra installer le mur de leds…

Dire non à Coachella, c’est dire non au Hellfest dans ce sens, puisque le festival est aussi traité de vendu par une autre frange de la population. On ne s’en sort pas, on s’en fout et surtout, si tu fais de la musique et tu ne veux pas que les gens la connaissent, c’est un peu particulier comme état d’esprit. Je n’ai pas des dogmes à respecter, je fais de l’electro sans concessions, point. Je n’ai jamais dit que je voulais rester underground, le projet a évolué et il faut qu’on réponde à la demande. Je ne vois pas pourquoi quelqu’un devrait se lever à 4h du mat’ pour commander un album sur un site à la con…et je ne veux pas non plus de notre disque à 500 balles sur discogs. La musique ne vaut pas ce prix-là, je me l’interdis !

 

11 – Dernière question ! Tu as initialement commencé à sortir ta musique en dématérialisé…puis en vinyle en petits pressages et maintenant aussi en cd. Quel est ton support préféré ?

Je dirais vinyle et streaming. Je stream à fond…je trouve ça génial. Tu peux avoir tout, partout et tout le temps et je trouve ça super pratique. Je ne suis fan de la sacralisation de la musique…tu peux, quand tu as le bel objet, avec ton super système sonore et tout. Mais dans ta bagnole, tu ne sais jamais comment ranger ton cd, ils se rayent, ils fondent et tout le bordel…donc tu branches ton téléphone et tu as tout ! Mais pour ceux qui aiment, on le fait aussi donc chacun prend ce qu’il préfère, ça me va !

 

12 – Merci beaucoup pour ton temps…tu vas cloturer le festival ce soir. Ça te fait quoi de te dire qu’après 3 jours de festivals, les fans vont se finir en dansant sur « Maniac » ? (rires)

Ouais on clôture c’est énorme. Quant à « Maniac »…on verra (sourires) (ndlr : ils ont évidemment fini sur un monumental « Maniac » où tout le monde s’est déchainé sous la Temple)

Interview done by Eternalis

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