Cela fait maintenant plus de vingt ans que
Borgne a sorti son premier album. Simple projet de true black au départ, le combo emmené par Bornyhake a petit à petit évolué dans un créneau plus personnel, proposant un mélange assez unique de black indus et ambiant. Depuis 98, les Suisses ont parcouru du chemin, et c’est désormais sur Les Acteurs de l’Ombre que sort Y, neuvième album du quatuor, pavé de sept titres pour 65 minutes très travaillé et à des années lumières du black darkthronien des débuts.
As
Far as My
Eyes Can See nous happe d’emblée dans un univers noir, glauque et robotique. Les ambiances sont extrêmement soignées, cliniques, déshumanisées et mécaniques, nous enveloppant dans une chape glaciale, comme si nous marchions seuls dans les décombres du monde après l’apocalypse. Pendant plus d’une minute, c’est cette respiration artificielle et ces bruits inquiétants d’une Terre à l’agonie qui nous guident, avant que ce riff mélancolique ne jaillisse de nulle part, appuyé par une double pédale infatigable qui vient soutenir notre marche titubante. Le chant de Bornyhake, impérieux, grogné et aboyé, semble mener cette révolte synthétique, animant ces débris électroniques et ces vieilles machines éventrées pour leur insuffler une nouvelle vie, les blasts, metalliques et hystériques, nous décapent les oreilles, et nous évoluons à tâtons dans un monde entièrement artificiel où l’humain n’a pas sa place.
Y n’est pas sans rappeler le cosmic black metal, nous immergeant dans ces immensités spatiales glaciales. Ceci dit, contrairement à certains groupes du genre, très atmosphériques et portés sur les claviers, qui essayent de dépeindre le côté onirique et fascinant de l’espace, ici, l’univers dans lequel on est projeté est désolé et hostile, à l’instar de celui d’un
Darkspace.
En revanche, cette angoisse existentielle qui nous traverse n’est pas exempte de beauté : si les riffs se répètent en des boucles hypnotiques qui nous entraînent dans un trou noir sans fond, le néant et l’obscurité sont parfois traversés par quelques mélodies majestueuses et froides (la fin de As
Far as My
Eyes Can See, la mélodie envoûtante qui démarre Je Deviens Mon Propre
Abysse, dégageant une beauté figée soutenue par ce blast mécanique, la fin de Derrière les Yeux de la Création). Effectivement, le monde de
Borgne est extrêmement sombre, vide de toute vie et d’espoir, mais certaines errances sont plus douces et moins effrayantes que d'autres, confinant parfois à une sorte de paix intérieure (la fin de A Hypnotizing
Perpetual Movement
That Buries Me In
Silence sur laquelle on a l’impression de se retrouver en train de flotter mollement dans un liquide amniotique, le break central de Qui Serais-Je si Je ne le Tentais pas? Avec ce rythme plus lent qui dégage ce sentiment de solitude totale mais paisible, les dernières minutes du morceau final, avec cette guitare acoustique et ce chant clair désespéré qui flotte, débris humain perdu dans l’espace).
L’ensemble de ces 65 longues minutes est soutenu par des rythmes technoïdes et parfois dansants, qui nous plongent dans une sorte de transe robotique, et au fur et à mesure que le temps passe, on sent comme son humanité fuir son corps. L’album s’achève sur le magistral A
Voice in the
Land of Stars, composition fleuve de 17,28 minutes aux mélodies solennelles et majestueuses et qui reprend avec brio toutes les facettes de
Borgne.
Voilà pour conclure un excellent album aux ambiances envoûtantes et noires, presque cinématographiques, et qui plaira sans doute aux amateurs de combos comme
Malmonde,
Mysticum,
Aborym,
Diabolicum,
Apostasia,
Arcturus et
Darkspace.
Intense, possédé par cette magie céleste froide et mystique, créant des abysses et des trous noirs d’une profondeur intersidérale qui, en une nano seconde, peuvent engloutir nos êtres sensibles et nos âmes frémissantes en quête de questions existentielles,
Borgne signe ici sans conteste son meilleur album, et il y a fort à parier que Y fasse date dans l’histoire du groupe. Il paraîtrait qu’au royaume des aveugles les
Borgnes sont rois ? C’est possible, en tous cas, avec un tel album, le quatuor suisse risque de régner pour longtemps parmi ceux qui ont encore des oreilles. Une pépite à savourer jusqu’à en perdre la raison et la voix : dans l’espace, personne ne peut vous entendre crier…
Je reste bien bloqué sur Royaume des ombres mais après ta kro je pense me jeter sur Y.
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