Mine de rien, cela fait quand même bientôt 30 ans que
Borgne traîne son malaise dans l’underground suisse et il n’aura pas attendu l’avènement des compatriotes de
Darkspace pour exprimer son hostilité en musique puisque leur premier album, sobrement intitulé I, sort en 1998, soit cinq ans avant la première explosion cosmique du trio de Berne. Même si le style actuel de
Borgne n’est pas bien défini à l’époque et que l’on sent que le groupe se cherche encore, les ingrédients qui font aujourd’hui son identité sont déjà là : chant haineux et écorché, guitares tranchantes et boîte à rythmes cauchemardesque pour un black metal qui n‘a déjà presque plus rien d’humain. On peut donc affirmer sans se tromper que la horde emmenée par Bornyhake est un précurseur de ce type de black indus’ dans son pays, ce qui donnera peut-être à réfléchir à ceux qui n’ont vu en
Borgne qu’une horde de suiveurs sans personnalité surfant sur la vague cosmic black metal initiée par leurs intouchables compatriotes...
Même s’il est vrai que, indéniablement,
Darkspace a eu une très forte influence sur la musique du combo de Lausanne, au fur et à mesure des années et des sorties,
Borgne parviendra petit-à-petit à s’affranchir de l’ombre maudite du géant pour délivrer un art de plus en plus personnel dont
Renaître de Ses Fanges, onzième album longue durée de la formation, est un vibrant manifeste.
Dès l’Introspection du Néant, titre entièrement ambiant qui met en musique la désolation glaciale de galaxies lointaines, on se sent oppressé par un sentiment de malaise tenace qui ne s’estompera que rarement. Puis Comme une Tempête en Moi Qui
Gronde se met lentement en branle, semblant réactiver des ferments de vie après une hibernation millénaire sous la glace, avant d’éclater en une explosion de fureur qui se libère enfin après cette trop longue torpeur.
Borgne incarne cette monade imprévisible dans ses élans créateurs et destructeurs, et va alterner pendant huit titres des rafales de riffs polaires qui nous cisaillent les chairs avec des passages plus lents et aliénants, toujours phagocytés par cette angoisse existentielle et ce sentiment de vide et de solitude que l’on ressent de manière presque physique (« Je me sens si seul, si perdu » hurle Bornyhake sur Même Si l'Enfer M'Attire dans Sa
Perdition).
Certains riffs ressortent particulièrement, nous harcelant de leur noirceur ou vomissant des mélodies aussi belles que désespérées qui nous hantent dans cet univers où le silence se fait presque plus assourdissant que le bruit (l’imparable riff final de Même Si l'Enfer M'Attire dans Sa
Perdition qui nous happe dans une spirale aussi douloureuse que béate, le motif mélodique obsédant et hypnotique qui porte Condamnée à Errer dans les Méandres, Dans un Tourbillon de Douleur avec son attaque grandiose).
La touche cosmique reste très présente sur l’ensemble des titres, avec ces claviers aux boucles mystérieuses, ces sonorités ultra synthétiques semblant rejeter toute humanité et surtout l’utilisation très judicieuse de la boîte à rythmes, qui va tour à tour mitrailler des séries de blasts impitoyables dont l’intensité nous assomme (les bourrasques furieuses de Comme une Tempête en Moi Qui
Gronde, Ils Me Rongent de l'Intérieur soutenu par ce matraquage dont les attaques les plus soutenues rappellent beaucoup
Apostasia, Dans un Tourbillon de Douleur) ou au contraire, des rythmiques plus lourdes, parfois appuyées par une double pédale mécanique et infatigable.
Ainsi, même si le côté violent et asphyxiant de l’ensemble peut rebuter les auditeurs non avertis (
Renaître de Ses Fanges est tout de même un monstre de 64 minutes qui ne se laisse pas facilement apprivoiser !), la musique des Suisses n’est pas aussi monolithique qu’elle n’y paraît et offre un bloc certes extrêmement compact, mais nuancé par de nombreux changements de rythmes et magnifié par de nombreux passages ambiant venant renforcer cette atmosphère postapocalyptique (la fin d’Ils Me Rongent de l'Intérieur, vaporeuse et comme en apesanteur, aux faux airs de
Mesarthim). Dans ce déferlement de fureur flotte parfois même une mélodie (Un Espace Hors du Temps, un Royaume de Poussière et de Cendre, morceau final particulièrement mélancolique, plus lent et apaisé, qui sonne comme une sorte d’acceptation de la mort), étoile filante fugace et tremblotante comme une fragile lueur d’espoir dans l’opacité infinie de l’espace (« Mais au cœur de ces fanges désolées, Une lueur fragile, un espoir voilé » chante Bornhyake sur Même Si l'Enfer M'Attire dans Sa
Perdition).
Le chant de Bornyhake justement, très haineux et glacial, est pour beaucoup dans cette ambiance hostile et vient parachever le tout : passant de hurlements black furieux à des borborygmes ou autres chants de gorge grondants et antédiluviens, il a la particularité d’être remarquablement articulé, rendant les textes en français particulièrement audibles et compréhensibles, très bon point qui permet de s’immerger plus pleinement dans cet univers de désolation et de perdition. Ces textes d’ailleurs, que l’on sent habités par une véritable souffrance, semblent vouloir nous inviter à explorer l’intimité torturée de Bornyhake et résonnent comme une véritable catharsis, faisant de Renaître de Ses
Fange ce qui est sans doute l’album le plus personnel de
Borgne à ce jour.
Pour conclure,
Borgne signe avec ce onzième album une œuvre magistrale qui ne se livre pas facilement et qui ne dévoilera ses subtilités qu’aux auditeurs les plus endurants acceptant de se faire malmener pendant plus d’une heure par une boîte à rythme inhumaine et des riffs tranchants et mécaniques qui semblent vouloir annihiler toute vie. Les premières écoutes sont éprouvantes, donnant l’impression d’un bloc monolithique dont l’aspect volontairement répétitif et synthétique peut décourager, nous menant au bord de l’asphyxie, mais les plus persévérants seront récompensés et découvriront alors un univers d’une noirceur fascinante aux nuances subtiles et à l’émotion à fleur de peau où la violence se fait aussi belle que désespérée. Car oui, avant de renaître, il faut inévitablement souffrir, et mourir un peu…
Je marche seul, dans un monde sans lumière
Chaque pas me rappelle mon choix, mon destin
Cherchant la rédemption, la lueur
Mais le prix est lourd, le chemin incertain
Les flammes m’ont consumé, brûlant mon être
D'après ses dires, Borgne est le plus gros projet de Bornyhake, du moins avec lequel il a fait le plus de ventes, lui ayant longuement parlé durant pas mal d'années mais j'avoue ne m'être pas trop penché sur ce projet. A vue de la note ça annonce du lourd comme d'hab', il sévit dans la scène depuis au moins 30 ans faisant aussi bien en Black Metal, qu'en Death, Grind, même en Dark Ambient, de la Noise aussi jusqu'au post punk! En bref, l'un des musiciens les plus prolifiques que je connaisse avec environ 200 projets musicaux dont la majeure partie du BM. Sinon, merci pour la chro et je compte plus tardivement me prendre les skeuds du projet.
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