Depuis près de deux décennies,
Bury Tomorrow s’est imposé comme l’un des piliers du metalcore britannique. Originaire de Southampton, le groupe s’est taillé une réputation solide grâce à une recette bien huilée à savoir des riffs percutants, un chant hurlé incisif de Dani
Winter-Bates, équilibré par les mélodies claires de
Jason Cameron, remplacé depuis par Tom Prendergast. Leur ascension, marquée par des albums puissants comme
The Union of Crowns (
2012) ou
Black Flame (2018), laissait entrevoir une carrière en constante progression.
Mais alors que l'attente se faisait de plus en plus pressante autour de leurs nouvelles productions, leurs deux derniers disques,
Cannibal (2020) et
The Seventh Sun (2023), ont laissé une impression plus mitigée. Non pas que ces ouvrages soient mauvais, loin de là, mais l’étincelle, cette énergie brute et cette urgence émotionnelle qui transcendaient leurs meilleurs titres semblent s’être quelque peu dissipées. Avec
Cannibal, le groupe a exploré des thématiques plus introspectives, notamment autour de la santé mentale avec une honnêteté touchante. Les morceaux sont bien produits, solides, parfois même cathartiques… mais ils peinent à sortir du cadre trop familier du genre. La formule fut respectée à la lettre, peut-être trop, au point que l’on devinait les structures avant qu’elles ne se déroulent.
The Seventh Sun, quant à lui, promettait un certain renouveau avec l’arrivée de Tom Prendergast qui apportait avec lui un chant clair plus aérien et un clavier discret mais présent. Là encore, l’intention est louable, et certaines compositions comme
Boltcutter ou
Heretic ont montré une volonté d’évolution. Mais l’ensemble reste sur la retenue, comme si le groupe n’osait pas totalement casser ses propres codes pour se réinventer.
On aurait donc tort de penser que
Will You Haunt Me, with That Same Patience, huitième opus du sextet anglais, allait changer cette impression de déjà-vu et ce sentiment de redite. Et pourtant, sans foncièrement revoir sa tactique de composition, nos artistes livrent une partition quasi parfaite de ce que l’on attendait d’eux, un metalcore mélodique qui prend aux tripes, une forme de renaissance émotionnelle d’une intensité rare. Dès le morceau d’ouverture To
Dream, To Forget, la douleur est immédiatement palpable, la colère est juste sans exagération et la mélancolie est belle, déchirante, maîtrisée. On sent que la formation ouvre davantage son cœur et montre enfin sa vulnérabilité. Le contraste entre le screaming de Dani
Winter-Bates et les envolées vocales de Tom Prendergast atteignent une magnifique alchimie : plus qu’un duo, c’est un dialogue constant entre ombre et lumière, entre lutte intérieur et rédemption. Même le caractère parfois pop qui se dégage de la mélodie accentue cette détresse mentale.
Sur le morceau suivant Vilain
Arc, nous sommes dès les premières secondes pris à la gorge par ce sample vocal froid et dérangeant rapidement suivi par un riffing syncopé qui donne une sensation d’être plogé dans une spirale psychologique instable. La production se veut crue, presque industrielle par moments et se traduit par des guitares tranchantes et des percussions en contretemps qui renforcent un déséquilibre constant. Nous ne vivons pas une tempête mais plutôt un séisme intérieur, un tremblement que l’on pourrait décrire par la performance absurde de Dani
Winter-Bates. Le vocaliste explose littéralement sur ce titre et sa voix flirte de temps à autre avec le registre deathcore sans jamais sombrer dans la caricature. Les cris et les growls ne sont pas là pour faire peur mais pour nommer des sentiments que beaucoup taisent entre trahison, perte de contrôle et rejet du rôle de « gentil », de « sauveur ».
Let Go est le sommet émotionnel de l’album : entre le rythme effréné drum & bass, le scream viscéral glaçant de sincérité, le chant clair introspectif et le breakdown presque éthéré, le collectif livre une déclaration de vérité et nous immerge dans une honnêteté douloureuse, celle de couper des liens toxiques même au prix du sacrifice. La composition est psychologiquement exigeante et est magnifiquement portée par des refrains d’anthologie ainsi qu’une production qui laisse pénétrer l’émotion brute dans un metalcore qui peut rapidement se montrer hostile.
Le final
Paradox s’installe dans un riffing limpide presque cinématographique, comme une lumière douce au bout du chaos. Le son est davantage atmosphérique grâce à ses riffs aériens, ses couches instrumentales flottantes et sa batterie sobre mais enveloppante, une sorte de respiration après l’intense expérience vécue. Une nouvelle fois, la dualité vocale est magistrale. Les hurlements expurgent les derniers fantômes et le chant clair est définie comme une confession, d’un timbre profond et d’une tendresse retenue. Aimer sans perdre, espérer sans s’aveugler, vivre sans renier la douleur : les propos des Anglais sont d’une poésie précieuse et forte.
Seule véritable ombre au tableau,
Silence Isn’t Helping Us peine à convaincre. Là où chaque titre de
Will You
Haunt Me […] respire une honnêteté brute et un travail émotionnel méticuleux, ce morceau semble en retrait, presque hors de propos. Les effets vocaux lissent à l’excès la voix de Tom Prendergast au point de la rendre méconnaissable, tandis que le riffing paraît trop générique et recycle des idées déjà exploitées sur leurs précédents albums sans réel souffle nouveau. L’émotion d’habitude si juste sonne ici artificielle, trop "pop" pour émouvoir et pas assez affirmée pour surprendre, une parenthèse moins inspirée dans un tableau autrement saisissant, où chaque trait semblait jusque-là guidé par une authenticité et une véhémence rares.
Will You Haunt Me, with That Same Patience est bien plus qu’un album : c’est une catharsis, une œuvre de chair et d’ombres, d’échos intérieurs et de cicatrices.
Bury Tomorrow livre au sein de sa huitième parution une confession brute, où chaque cri, chaque silence, chaque envolée mélodique semble jaillir d’un besoin vital d’exister autrement. S’il n’échappe pas à quelques faux pas, l’ensemble respire une justesse émotionnelle rare, celle d’un groupe qui ne cherche plus à performer, mais à transmettre, à ressentir, à se réconcilier avec ses propres failles. Ce disque est un voyage à travers la douleur, la perte, la colère, mais aussi la lucidité, l’acceptation et parfois même une forme de paix fragile. Chaque morceau semble être un fragment de miroir brisé, où se reflètent tantôt la rage, tantôt l’espoir. Avec cet opus, le sextet anglais reconstruit en quelque sorte son identité pierre par pierre, note après note et dans ce geste profondément humain, imparfait et sincère, celui-ci touche quelque chose de bien plus grand : la possibilité de guérir.
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