A l’instar d’
Azziard avec ses deux premiers albums,
1914 est un groupe qui base ses concepts tant thématiques que musicaux sur la Première Guerre Mondiale. Formé en 2014 pour le centenaire de la Grande Guerre, le quintette ukrainien nous revient avec son troisième album sur
Napalm Records, suite logique de
The Blind Leading the Blind, et, de la sublime pochette aux samples militaires en passant par les textes, parfaitement documentés, ce
Where Fear and Weapons Meet nous plonge au cœur de l’un des conflits les plus sombres et meurtriers que l’Histoire ait jamais connus.
La courte intro,
War In, reprend Tamo Daleko, chanson folklorique serbe qui célèbre la retraite de l’armée nationale en Albanie, tandis que FN .380 ACP#19074 nous remémore l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, évènement déclencheur avéré de cette terrible guerre. Dès le début, l’amplitude et la profondeur du son nous happent, nous immergeant dans une ambiance sombre et dramatique encore renforcée par la résonnance des cuivres. Ce premier morceau impose des mélodies à la fois belles et désolées, qui coulent lentement comme du sang à moitié coagulé suintant goutte à goutte d’une plaie béante, et la majesté funèbre qui se dégage de ces 5,54 minutes semble esquisser dans la fumée des armes un linceul maculé d’hémoglobine, de boue, de poudre, de sueur et de larmes.
Lors de ce premier morceau, on reconnaît immédiatement l’expression de l’âme slave, imprégnant la musique de ce fatalisme à la fois glacial, fier et inéluctable, car si les cuivres nous font évidemment penser à
Sear Bliss, c’est plus
Drudkh ou Windswept que ces riffs roulants et mélancoliques nous rappellent (Corps d'Autos-Canons-Mitrailleuses (A.C.M.).
Vimy Ridge (
In Memory of Filip Konowal) impose un metal plus lourd et haché, très largement death metal, toujours émaillé de ces chorus de guitare sombres et mélancoliques qui dessinent leurs lignes harmoniques dans un ciel orange et gris embrasé par les explosions d’obus. A l’écoute de ce titre rampant et cruel, on s’embourbe jusqu’aux genoux dans des tranchées fangeuses jonchées de cadavres, tandis que le doom death lent, pesant et poisseux de ...
Where Fear and Weapons Meet a
Cross Now Marks His Place, renforcé par les vocaux terreux et froids de Nick Holmes, vient douloureusement enfoncer le clou, ces riffs lents et hypnotiques suggérant l’insupportable angoisse d’une armée enlisée et à découvert, totalement livrée à l’ennemi, condamnée à attendre dans le froid, l’humidité et la peur la rafale qui viendra définitivement la faucher.
Pendant les 63 minutes que dure cet opus,
1914 enchaîne parties lentes et impérieuses et attaques plus frontales portées par un blast lourd qui rappelle le feu nourri d’une mitrailleuse (Pillars of
Fire (The Battle of Messines), sorte de blackened death déshumanisé par le roulement mécanique de batterie et ces cuivres menaçants qui sonnent comme un tocsin funèbre, l’excellent et rapide Don't
Tread on Me (Harlem Hellfighters), au riffing black metal, qui rappelle la charge héroïque et suicidaire d’une unité isolée sur le camp ennemi, le long et ambiancé Corps d'Autos-Canons-Mitrailleuses (A.C.M.))… Ceci dit, même lors des passages les plus directs qui nous précipitent au cœur du charnier, la lourdeur prend toujours le pas sur la rapidité, et cette aura de résignation et de mort hante chaque note de ce
Where Fear and Weapons Meet : c’est un fait, les Ukrainiens ne semblent pas glorifier le patriotisme, la gloire et la bravoure mais plutôt condamner le côté sombre, impitoyable et insensé de ce conflit qui a tout de même fait, rappelons-le, 20 millions de morts. Cependant, une étincelle de vie subsiste et avec elle une petite touche d’espoir, les lyrics se concentrant principalement sur des protagonistes historiques ayant survécu aux terribles batailles auxquelles ils ont pris part ; et effectivement, même si on ne nage clairement pas dans le bonheur, on peut ressentir cette emphase dans certaines parties de blasts bondissants (Mit Gott für König und Vaterland à la vitalité chargée de haine guerrière) ainsi que la grandiloquence des cuivres, tandis que la cornemuse qui esquisse les premières notes du lourdissime et très sludge The Green Fields of France rappelle que, malgré les massacres, la vie continue et qu’il reste toujours quelqu’un pour enterrer et pleurer les morts…
Pour conclure
Where Fear and Weapons Meet est un superbe album à la musique profonde et poignante et à la production titanesque qui nous immerge dans la dimension la plus dramatique de la Grande Guerre. A la fois puissant, cruel, mélancolique et grandiloquent, le metal des Ukrainiens est de très haute volée et ne pourra pas laisser de marbre les amateurs de groupes comme
Drudkh,
Hollenthon,
Sear Bliss, les Bataves de
Dystopia voire
Septicflesh.
Seul reproche, qui n’est en pas vraiment un, ce troisième full length est très long et dense, difficile à s’enfiler d’une traite, et certains qui s’essayeraient à l’exercice pourraient trouver l’ensemble peut-être un peu trop lourd et monolithique. Néanmoins la qualité des compos ainsi que les respirations offertes par les interludes et les samples qui composent certaines intros permettent de venir à bout de l’ensemble et ce malgré les presque onze minutes d'un The Green Fields of France final, reprise d’Eric Bogle à la noirceur et à la pesanteur terrassantes, un peu comme la lente agonie d’un mourant qui, après des heures de souffrance au fond d’un trou d’obus vaseux, se voit finalement délivré par la Grande Faucheuse...
When you joined the great fallen in 1916
I hope you died well and I hope you died clean
Or young Willie McBride, was it slow and obscene?
Franchement merci , car je connaissais pas ce groupe mais le concept m attire. du coup ce soir je vais devoir faire tourner un peu spotify pour creuser tout ca.
Edit : Boum j ai écouté et été conquis. Merci pour la découverte !
Trop bon ce groupe, et cet album, comme les deux premiers, sont remarquables.
Ce nouvel album est un véritable joyau de Black/Death, prenant aux tripes dès les premiers instants, d'une puissance de feu incroyable et la production est massive et organique juste comme il faut, et l'orchestration qui rend le tout encore plus tragique. Tout simplement j'adore!
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