La musique est une forme d’art tout à fait particulière.
Elle force l’imagination à créer des images, des lieux, des univers. Elle le fait en suscitant des émotions. Elle le fait en nous faisant réagir de façon cognitive à ce que nous entendons ou ce que nous écoutons. Dans les autres formes d’art, par exemple dans la littérature ou le dessin, l’imagination a aussi une grande place, mais elle est dirigée vers un endroit ou un autre par la force de la description. La musique nous prend moins par la main, elle nous laisse flotter dans notre propre monde, que nous créons à notre guise et dans notre for intérieur. C’est probablement (hypothèse personnelle) parce que l’humain est une créature utilisant le sens de la vue avant tout. Donc, lorsque celui-ci n’est pas suffisamment stimulé, l’imagination superpose toutes sortes d’images à la réalité en se basant sur la centralisation des indices envoyés par les autres sens. Voilà, ce qu’est la musique et voilà son but. Envoyer nos têtes ailleurs, par l’oreille, et la force de la pensée.
Le dark ambiant est une forme de musique qui pousse cette théorie très loin, en ce sens où l’image (imaginée) est tout à fait au cœur de la musique.
Dark ambiant est synonyme de rêverie. C’est une musique totalement inspirante et stimulante, pour ceux et celles qui s’y abandonne. Bien entendu, écouter du brutal death peut aussi être très inspirant et stimulant, puisque c’est de la musique. C’est exactement la même chose pour tous les styles. Ce qui distingue l’ambiant (ici, sous sa forme dark ou drone pour les besoins de la cause) des autres, c’est la capacité à générer des images, mais pas forcément par une « imagerie » forte, dans le sens de violente ou forcée. L’ambiant est une musique qui peut être puissante, certes, mais qui doit surtout être subtile pour laisser le plus de place possible à l’auditeur.
Les bons créateurs de dark ambiant sont donc ceux, qui peuvent stimuler le plus notre imagination. Ce sont ceux qui ont la capacité de nous amener ailleurs, de nous arracher du réel par leur musique, le plus efficacement possible.
Ce qui nous amène à
Zalys.
D’abord avec nos yeux, regardons ce disque. L’espace, l’immensité. Le vide. C’est sans doute là, dans l’infiniment grand que
Zalys va nous faire voyager, où à tout de moins c’est manifestement son intention. Le titre de chacune des pistes est aussi révélateur. Nous irons aux confins du Nul-Part.
Pas musicalement, entendons-nous, parce que
Wandering Through Space est une œuvre de qualité, mais bien dans la rêverie qui s’annonce pour la prochaine heure.
Le voyage débute avec «
Song of a Dying Planet », et il n'y aura pratiquement aucun répit dans l'angoisse que nous allons ressentir, jusqu'au titre éponyme. En effet, l'une des grandes caractéristiques de ce disque est ce que l'on pourrait appeler la continuité dans la singularité. Chaque piste a sa place, possède sa propre âme, et nous n'avons pas le sentiment de répétition ou de manque d'inspiration d'un morceau à l'autre. Chaque piste est une étape vers la suivante. L'impression qu'il y a une certaine réflexion derrière la disposition même des titres est bien présente, c'est une œuvre qui s'écoute donc en entier, d'un trait. Il ne s'agit pas d'une liste de pistes lancée au hasard, il y a un calcul intrinsèque à la composition d'une œuvre d'ambiant, et
Zalys l'a fait. C'est un voyage sans joie ni espoir joie et la musique va bien nous le démontrer.
Dans l'ensemble,
Zalys nous offre une musique simple, mais dense. La complexité n'y est pas (et de toute façon, la complexité n'est pas une qualité en soi en musique), mais il n'y a pas de vide ou de temps mort. Les nappes atmosphériques sont toujours bien présentes. Par contre il aurait été intéressant, dans certaines chansons, d'y laisser seulement ces nappes et d'éviter d'y ajouter des éléments sonores en premier plan. En d'autres mots, la pertinence de certains sons ou effets n'est pas évidente. Dans « The Singularity » par exemple, les nappes atmosphériques sont superbes et elles auraient eu beaucoup plus d'impact si elles avaient simplement monopolisé la piste. Mais il y a une sorte de son redondant et agaçant qui revient et nous sort de notre rêverie. Dans «
To the Core », sans doute la piste la plus faible du disque, les nappes atmosphériques sont bonnes sans plus, mais il semble que les éléments qui viennent s'y greffer sont sortis d'un film de science-fiction des années 60. Comme l'ambiant est une musique qui demande une concentration particulière pour l'écoute, ce genre de détail est plutôt apparent, mais fort heureusement, même si le choix ou même la présence de certaines mélodies, sons ou effets est discutable, il n’en demeure pas moins que nous n'avons jamais l'impression de tentatives de remplissage facile de la part de l'artiste. Un piège majeur a donc été évité.
Cependant, sur la grande majorité des morceaux,
Zalys réussit avec brio l'exact inverse. « Into the Stellar
Void » (un titre énorme) ou chaque chose est exactement là où il le faut, dans une grande cohérence musicale. «
Neptune », avec ses sonorités d'abysses sous-marins, probablement la plus atmosphérique du lot, pousse l'angoisse à un autre niveau, ses nappes écrasantes, ininterrompues par quoi que ce soit. La très dramatique « Shipwreck » en est aussi un exemple : les nappes sont bien grosses, et tous les éléments s'intègrent pour contribuer à la dérive dans le Nul-Part. Le titre éponyme met fin à une aventure sans issue, moins dramatique que « Shipwreck », mais plus noir, plus pessimiste. Il n'y a aucun espoir dans l'infini, aucune sortie possible. Le voyage se termine, mais ne se termine pas. La dérive est pour toujours, à jamais.
Durant cette perdition, il y a des endroits visités qui sont magnifiques musicalement parlant; « Into the Stellar
Void », «
Neptune » ou « Shipwreck » et d'autres un peu plus plats, tels que «
Wasteland » (le titre nous indique que c'est sans doute voulu ainsi), ou «
To the Core ». Mais au risque de me répéter, c'est là une grande force de l'œuvre : chaque titre est utile. La construction de l'univers de
Zalys se fait à travers une écoute globale. Nous avons ici affaire à un ensemble, et non pas à un tas hétérogène. Il y a certes des moments moins intenses, mais le but ici n'est pas d’entraîner l'auditeur dans une montagne russe. Ce n'est pas le but de ce style de musique.
L'autre grande force du premier opus de
Zalys se trouve dans le respect de l'auditeur, ou plutôt de son imagination. En effet, « À mesure que l’on lève les voiles de l’inconnu, on dépeuple l’imagination des hommes », nous a un jour appris Guy de Maupassant. Si la musique de
Zalys nous tend un peu la main (un peu) et nous donne quelques indices sur un univers particulier, l’artiste nous laisse tout de même imaginer le décor pour la plus grande partie du voyage. Nous pouvons errer dans cette Espace, grand mais écrasant, sans que toutes les clefs et les réponses ne nous soient données. Une grande partie de l’œuvre de
Zalys repose sur l’auditeur (normal, c’est de l’ambiant), et les voiles de l’inconnu restent, pour la plupart, bien en place. On veut nous amener dans l’Espace, mais l’Espace est suffisamment grand pour que chacun s’y perde à sa façon. En d'autres mots, c'est une musique extrêmement inspirante.
Un petit mot sur la dernière piste, qui est plutôt particulière. La reprise du titre de
A Dark Halo, « Formatting... » est un bon titre sans plus, et est dispensable pour le voyage. Comme c'est une piste bonus, nous pouvons penser que même
Zalys y a vu l'impertinence de l'insérer parmi les autres, tout en ayant le désir de nous en faire profiter. Par contre, les éléments centraux de la piste originale, c'est-à-dire la mélodie au piano et la très courte durée – un peu comme si
A Dark Halo voulait nous faire vivre une grande émotion, mais spontanée et passagère, ont presque été complètement évacués. En effet, la reprise de
Zalys fait plus de 9 minutes, alors que l'original fait moins d'une minute et demie, et le piano n'y est pas du tout mis à l'avant. La chanson originale est donc très dénaturée.
Voilà donc pour le premier effort de
Zalys. Nous avons voyagé. Nous avons imaginé. Nous nous sommes perdus dans le vide, et l'Espace infiniment grand nous a écrasé. Dans le cosmos, le Nul-Part, nous n'avons aucun pouvoir. Il n'y aucune issu, aucune route de retour. La dérive est pour toujours et a jamais.
Verdict : réussite.
16/20.
Mes sincères félicitations à la compositrice (elle se reconnaitra ^^).
Bloodyrain : C'est tellement vrai que, personnellement, lorsque j'écoutais le disque (et lorsque je l'écoute encore), chaque bruit me déconcentrait complètement ! Il faut vraiment plus ou moins s'isoler du monde extérieur pour bien apprécier l'oeuvre
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