Il est de plus en plus difficile pour un nouveau groupe de metal moderne de trouver sa place dans ce style qui regroupe toujours plus de sous-genres. Pour se distinguer des plus très inspirés
Killswitch Engage,
As I Lay Dying ou
August Burns Red, certains nouveaux venus comme Currents, Novelists ou
Loathe proposent un son frais et emprunt de nombreuses influences qui redonnent un peu de couleur à un genre qui commençait sérieusement à s'épuiser. C'est dans cette lignée que s'inscrit le groupe tourangeau Aro Ora (anciennement AO) avec son premier album "
Wairua", fruit de nombreuses années d'un travail intense. Après sa signature récente chez Klonosphère et Season of
Mist, le quintet indroligérien était attendu au tournant. D'autant plus que son premier EP, "
Mahara", sorti en 2015, avait déjà laissé percevoir le talent et la maîtrise du groupe.
C'est donc avec une certaine impatience que débute l'écoute de "
Wairua". Dès l'introduction ("
Inhale") on sent que Aro Ora impose déjà une personnalité et une maîtrise musicale indéniables. Une montée musicale progressive accompagnée d'un son de hang et de samples aériens font croître la tension avant l'explosion du morceau suivant ("Shivering
Flame"). Presque tribale, cette ouverture d'opus vient directement puiser dans l'identité du groupe influencée par la culture maori. En effet, cette philosophie de vie basée sur l’interconnexion de tous les êtres vivants et l'importance de la spiritualité est au centre de la musique et des textes du groupe. Le nom du groupe Aro Ora se traduit par "Monde Univers" et le titre de l'album "
Wairua" exprime l’Âme ; autant de composantes que le chanteur et parolier Baptiste Boudoux s'évertue à explorer dans la plupart des textes du groupe.
C'est donc après une intro très atmosphérique que le groupe rentre dans le vif du sujet et montre un visage beaucoup plus metalcore. Et quel visage ! Dès les premiers accords, on sent la puissance de frappe de la batterie, le vrombissement métallique de la basse et la construction incisive des riffs de guitare. Les influences multiples se diluent et s’emboîtent parfaitement. Des rythmes ultra rapides à la
Devildriver ("Shivering
Flame"), aux breaks plus saccadés inspirés d'
Architects ("Running on the Möbius Strip") en passant par des parties très death héritées de
Gojira ("
Tragedy of a
Lost Self"), tout est parfaitement exécuté. Malgré ces nombreuses influences, à aucun moment le groupe ne semble faire du réchauffé et montre surtout une qualité de composition rare pour un groupe aussi jeune.
Au fil de l'album, on sent qu'Aro Ora prend de plus en plus de risques musicaux en s'écartant du chemin tracé par ces premiers morceaux très metalcore. Petit à petit, le groupe prend un virage plus Djent ou la polyrythmie et les samples prennent plus de place, à l'image de "Seducing
Venom" et "Flight of the
Red Ibis". La dissonance progressive des compositions et les prises de risques payantes montrent qu'après avoir posé son son, le groupe se dirige vers un style plus mature et expérimental, et qui lui sied à merveille. On sent ici l'influence certaine de
Meshuggah ou
Uneven Structure, oscillant entre la violence saccadée et des parties progressives plus calmes. Et, au fil de d'écoute, force est de constater que c'est sûrement cette voie qu'Aro Ora doit choisir d'explorer. Les deux interludes ("Interlude" et "Naiads") ainsi que l'outro de l'album ("
Exhale") vont dans ce sens et montrent à quel point le potentiel créatif du groupe est en éveil. Tout en gardant sa lourdeur des premiers instants, le groupe connaît au travers de cet album une véritable évolution musicale, de l'inspiration à l'expiration.
Malgré ses très nombreuses qualités, l'expérience "
Wairua" peut néanmoins se retrouver un peu altérée par deux facteurs importants. Tout d'abord, l'album est long, peut-être un peu trop. Le format de 45 minutes habituel des disques de metal moderne actuel est ici largement dépassé pour avoisiner les 1h. S''il s'avère difficile de juger un album sur sa durée au regard des albums de prog qui peuvent durer des heures, dans ce cas l'expérience n'est pas concluante. Certains morceaux ("
Kosmos", "Our Closing Breath"), un peu trop génériques, auraient pu être laissés de côté pour donner plus d'impact à l'album et mieux mettre en lumière ses nombreuses pépites. Dans "
Wairua", on arrive au bout de "
Exhale" (et de sa piste cachée) heureux mais en tirant un peu la langue. Enfin, le deuxième point négatif de cet album est… le chant. Je tiens à préciser que cet avis est subjectif mais les parties vocales m'ont fait tiquer pendant toute l'écoute. Bien qu'efficace, le chant manque cruellement de personnalité et de prise de risque. On sent la maîtrise du chanteur mais ses vocaux sont plats, très calés sur le rythme et surtout … bah on dirait Joe Duplantier (
Gojira) quoi ! Pendant tout l'album, il m'a été impossible de m'enlever cette idée de la tête. Les parties clean, plus intéressantes mais trop rares, sont elles aussi fortement inspirées dans le timbre par Chester Bennington (
Linkin Park), ce qui est dommage tant l'album se détache du lot musicalement. Pourtant, quelques parties chantées sont très intéressantes ("Velvet") et montrent que le vocaliste pourrait mieux faire.
Malgré ces quelques défauts, il est impossible de passer à côté de cet album pour tous les aficionados du genre. Le voyage musical et spirituel que nous propose Aro Ora est enivrant et puissant, et porte avec lui une identité sonique propre. La production, la maturité et l'énergie qui émanent de "
Wairua" vont sans aucun doute convaincre les curieux qui jetteront une oreille attentive à cet opus. En tout cas, il est certain que le groupe va s'inscrire prochainement aux côtés des poids lourds du metal moderne hexagonal. Ka Kite Ano, Aro Ora !
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