"Le Heavy
Metal est mort !"
C'est par ces mots que Rob
Halford, dorénavant leader du projet
Two, avait coutume d'engager la conversation avec les journalistes à la sortie de son nouvel album
Voyeurs en 1997. Lorsque le
Metal God énonce ce genre de sentence, il ne verse pas (uniquement) dans la provocation, il se fait surtout le témoin privilégié d'une époque qui inflige un constat cinglant à un courant dont il fut l’un des pionniers. Il ne tente pas non plus de justifier, ce qui pourrait apparaître comme une trahison, pour ne pas dire une hérésie, aux yeux des puristes, ou des fans de
Judas Priest, qui attendent patiemment le retour du Maître au
Temple, et se retrouvent en difficulté par rapport à ce revirement de situation.
Two signe la métamorphose de Rob
Halford
Two, c’est d'abord une rencontre surprenante entre deux géants, Rob
Halford et Trent Reznor, venus de deux univers très éloignés l'un de l'autre. Le premier a donné ses lettres de noblesse au heavy metal quand le second a construit sa réputation dans l'indus rock. Petit rappel, T.Reznor, c’est bien sûr le leader incontesté de
Nine Inch Nails (NIN pour les intimes), le producteur du monstrueux
Antichrist Superstar, révélateur de
Marilyn Manson, l’homme qui a permis à Bowie de retrouver une seconde jeunesse, mais aussi qu’
Oliver Stone et David
Lynch s’arrachent pour superviser leurs BO. Il incarne une forme de touche-à-tout de génie qui a le don de transformer la musique en un moment d’une intensité quasi-orgasmique. Alors comment vous dire que la réunion de ces deux-là ne pouvait que faire des étincelles, sauf que là on frôle l’éruption volcanique.
Two ne s'arrête pas pour autant au duo
Halford/Reznor, il y a au moins deux autres personnages qui ont apporté leur pierre à l'édifice, le producteur Bob Marlette (car Reznor n'est que producteur exécutif), qui non seulement signe la totalité des titres de l'album en collaboration avec le tandem
Halford/Lowery, mais en plus collabore instrumentalement parlant en tenant les rênes de la basse et de la programmation ; et bien évidemment le très prolifique guitariste John Lowery alias
John 5.
Le principal reproche fait à ce premier album est de naviguer dans les eaux de
Stabbing Westward et
Nine Inch Nails sans réussir à développer sa propre voie. En réalité l'enjeu se situe à un niveau personnel, bien plus que stylistique : Rob
Halford affirme ses choix. Reznor permet à ce dernier de pleinement s’exprimer, d’accoucher de lui-même en quelque sorte. On pouvait craindre le mélange des genres, que la production ne dénature la musique du groupe, mais en fait elle ne fait que révéler le fond de la démarche musicale proposée ici. L’album est puissant non parce que le son vous colle aux murs (même si c’est le cas) mais parce qu’il vous propose une expérience rare : plonger dans le vide les yeux grands ouverts. L’aventure
Two se vit plus qu’elle ne s’écoute, et cela découle directement de l’intention de Rob
Halford, de s'ouvrir jusqu'à se mettre à nu.
Voyeurs, un équilibre subtile entre puissance mécanique et sensibilité humaine
Cette musique couple habilement le côté heavy "classique" dans la structure des morceaux (couplet/refrain/couplet) avec le côté indus "novateur" grâce à ces samples et distortions, le tout sublimé par le chant inhabituel de Rob
Halford. Alors une chose est sûre : pas besoin de faire des tours et des détours, ou vous accrochez ou vous vous écartez. Mais comme le choc est de taille, les fans de
Judas Priest risquent d’être déconcertés mais respectueux de la démarche.
Et pourtant si on y regarde d’un peu plus prés, il y a eu des précédents, avec
Judas Priest et
Fight. On retrouve des traces de cette influence électro/indus sur quelques titres comme Love Bites et Eat Me Alive sur Defenders of The
Faith (1984), et cela se poursuit indubitablement sur l’ensemble de l’album
Turbo (1986), véritable ovni dans la disco de Priest. Mais c’est surtout quand on sait que Rob
Halford est la personne qui a donné son accord pour le remix de la chanson
Turbo Lover (Hi-Octane Mix Studio) par un DJ de
New York, dénommé Freddy Bastone, qu’on comprend mieux comment il en est arrivé à
Two. L'expérience se poursuit avec
Fight, sur Mutations (
1994), qui se compose pour plus de la moitié de version remixées de titres initialement présents sur le premier opus,
War of Words, qui tentent de croiser indus et metal, de manière plus ou moins réussie. Il existe une dernière expérience encore plus étrange que l’on retrouve sur Nativity in Black, A Tribute to
Black Sabbath (
1994), c’est la reprise de The
Wizard par Bullring Brummies, collectif éphémère organisé autour de Rob au chant accompagné de
Geezer Butler,
Bill Ward, Brian Tilse et
Wino. La voix de Rob chargée d’effets est à peine reconnaissable. Un hommage qui contraste sérieusement avec les performances qu’il a pu donner avec
Black Sabbath lors des deux concerts de 1992 joués à Costa Mesa au débotté. Mises bout à bout, toutes ces expériences semblent représenter des étapes vers quelque chose de plus grand, de plus achevé : vers
Two. Ainsi loin de céder à la vague techno-indus qui fait des ravages au milieu des 90’s chez bon nombre de stars ou ex-stars du metal, ruinant définitivement leur crédibilité, on sent dans la démarche initiée par Rob
Halford, certes de prime à bord une rupture, mais plus encore un approfondissement dans ce style qui empêche d’envisager l’album comme un simple coup marketing.
L'alchimie sonore, qui se dégage de
Voyeurs, est à l'origine d'un déluge d’émotions, qui donne la dynamique et le sens de l’album. Mais c'est le chant qui attire notre attention et nous transporte véritablement. En effet, Rob chante sans forcer (fini les suraigus et les frissons qui vont avec) nous révélant tout un autre pan de ses capacités vocales - très peu utilisé jusque là, à de rares exceptions près, comme sur certaines chansons mid-tempo de Priest, ou encore le titre de
Fight, In A World Of My Own Making, figurant sur A Small Deadly Space - qui lui permet de toucher l’auditeur au plus profond de lui-même. Si Priest représentait un mélange de puissance et d'agressivité, la démonstration avec
Two se joue sur un autre terrain : la transmission d’émotions. Au sein de
Judas Priest, Rob
Halford chante de façon extrême, au sein de
Two, son chant projette dans des émotions extrêmes.
Musicalement, l’album est heavy sans jamais tomber dans le heavy metal. Les chansons paraissent simples, mais ce chant exceptionnel couplé à ces sons provenant d'Ailleurs, leur donne une consistance, qui leur permet d’acquérir ce type de densité et de résonance qui poussent à écouter et réécouter l’album, sans se lasser. Toute la fluidité et la cohérence de l’album repose sur la voix de Rob
Halford, c’est vraiment le coup de force de Reznor. Il a pris le meilleur et il y a rajouté juste ce qu’il fallait pour donner le relief nécessaire, et ainsi transformer la présence de Rob en véritable performance. Cette voix qui se veut tantôt hantée et torturée comme sur Bed of
Rust, tantôt plus secrète à la limite de la confession comme sur Water's Leaking n'en finit pas de vous travailler. Cet album peut vous enchanter comme vous tirailler, d’ailleurs il a le pouvoir de faire les deux en suivant, mais ce n’est jamais ni dérangeant ni insoutenable, car certaines plages sont aménagées pour reprendre son souffle dans ce voyage (Deep in The
Ground/Hey Sha La La).
Voyeurs est une oeuvre vivante qui pousse au mouvement et à la déc-ouverte. C’est ce qui le sépare définitivement d'autres "albums-ruptures" comme
Carved in
Stone de
Vince Neil, ou
Brutal Planet d'
Alice Cooper, enfermés dans une épaisse noirceur industrielle. Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre,
Voyeurs demeure un album sombre, c'est la juste contrepartie de sa profondeur.
Pour une fois je ne décrirai pas l’album chanson par chanson car plus que les émotions présentes sur chacune d'elles, c’est le flux d'énergie, autrement dit l’intensité du mouvement qui les anime, qui importe, nous permettant de les traverser sans jamais en devenir prisonnier, comme si on allait visiter d’anciens amis…
Plus qu’un vague projet expérimental à classer comme une erreur,
Two se révèle être une facette cachée de l'identité profonde de son créateur. Et pour prendre la juste mesure de cet album, il faut emprunter le même chemin, et oser aller au devant de ce que l’on est. Juste en passant, cet album intervient très peu de temps après que Rob
Halford a fait son coming-out. Quel est l’intérêt d’une telle réflexion ? Tout simplement de montrer que Rob traverse un moment fondateur. Il avance, s’engage, et prend des risques sur tous les terrains.
Two devient la concrétisation musicale d'un tel accomplissement.
Enfin quand une personnalité du calibre de Rob
Halford, avec la carrière qu'on lui connaît, continue de créer et de donner autant, c'est bien la preuve que son envie est restée intacte. Loin d'être bridé par le succès, et son image, il ne cesse de nous rappeler à l'essentiel : la quête de Soi. Tout en nous dévoilant l'un de ses secrets, le fait qu'elle puisse prendre une multitude de formes différentes.
Un seul mot pour en terminer avec cet album-révélation :
M E R C I
J'aime beaucoup l'idée de caprice, voire de lubie, mais face à un Reznor, Metal God or not, l'introspection a été inévitable et violente, une transformation inattendue, tout comme leur rencontre...
Un album très plaisant
« Voyeurs » est dans l’absolu un album intéressant pour les fans de metal industriel.
Halford semble être allé au bout de son projet, très cohérent et abouti artistiquement parlant.
Pour ma part, après une première partie en force plutôt convaincante, il me paraît assez difficile d’apprécier ce disque sur sa durée lorsque comme moi on est fan du style originel de Judas Priest avec ses belles mélodies racées et ses flamboyants duels de guitares électriques.
Je dois avouer également être assez frustré du chant froid et mécanique d’Halford par rapport à son potentiel et ses envolées habituelles, même si je comprends sa démarche au vue de la musique proposée et de ses envies de l’époque.
Devant l’échec commercial de ce disque, Halford fera brusquement machine arrière, et reviendra à un style plus proche du pur heavy metal.
« Voyeurs » un peu à la manière du diptyque « Brutal Planet/Dragon Town » d’Alice Cooper demeure donc une parenthèse, une curiosité dans la carrière du Metal God.
Pour les curieux ou les petits coquins je recommande le clip de « I am a pig » , véritable partouze géante ou tous les fantasmes homo, hétéro et bisexuel d’Halford sont présents dans une atmosphère de club sado masochiste aussi déroutante, choquante que puissante !
Critique complète sur mon blog :
https://lediscoursdharnois.blogspot.com/2021/02/voyeurs-two.html
10 raisons de rejeter Voyeurs sans l’avoir écouté :
1. Une pochette qui annonce un suicide artistique ?
2. Un nom de groupe qui n’évoque rien.
3. Un groupe réuni autour de Dieu sans réel nom ni talent.
4. Un partenariat avec Trent Reznor qui prend le pas sur le projet lui-même.
5. La mise en musique de fantasmes sexuels n'attirent même plus les ados (tu seras… ma meilleure amie).
6. Et sur scène tu la vends comment ta soupe ?
7. Avant de rajouter une nouvelle ligne à ton palmarès merci de jeter un coup d’œil sur ce qui précède pour éviter que ça jure de trop.
8. Parce que tu es attendu à l’orée du bois depuis l’échec du second Fight et la sortie de Jugulator.
9. Tout fan de JD qui se respecte souhaite le meilleur à Rob et non une humiliation publique même assumée.
10. Parce que la place du Metal God est pour l’éternité dans Judas Priest.
Petit bonus pour la route : près de 25 ans après sa sortie, personne n'a encore pris l'initiative de rééditer cet album en vinyle (ni même en cd, depuis l'année de sa parution).
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