Dolorian est une entité finlandaise brumeuse et maudite vouée aux ténèbres depuis 1997 et évoluant dans une sorte de doom ambiant dissonant et glauque à l´écoute duquel il est difficile de sortir indemne.
Après un When All The Laughter Have Gone sombre et malsain au possible et un éponyme plus aéré et expérimental, le groupe poursuit son voyage halluciné vers ses limbes intérieures avec ce
Voidwards, sorti en 2006, et semble s´être extirpé de la fosse putride des cadavres de ses vies – et de ses morts – passées : le tout sonne moins extrême et metallique que sur la première réalisation et, même si certains relents de souffre et d´agonie persistent, une pâle lumière et un soupçon de chaleur vacillent toujours dans l'opacité glaciale des ténèbres.
Ici, on navigue à tâtons entre les contrées brumeuses de l´ambiant et les rives sombres d´un doom expérimental, tour à tour bercé par quelques sons apaisants et chahuté par des incursions bruitistes aux relents indus (Co-il-lusion).
Dolorian se plait à nous perdre en de longues compos tortueuses qu´il tisse au fur et à mesure de ses arpèges fantômes, de ses samples maladifs et de ses dissonances qui frôlent le mystique: une trame de basse sur laquelle se dessinent des accords moribonds et disharmoniques ponctués par des chuchotements inquiétants et des sonorités multiples - sifflements, stridences, tintements, tant hypnotiques que dérangeantes, le tout montant progressivement en puissance pour parfois exploser en un magma de doom lourd, morbide et catatonique, voilà comment on pourrait résumer en quelques mots le son des Finlandais.
Mais
Voidwards n´est pas simplement un album de musique, c´est la poursuite du cheminement spirituel de trois êtres dissous dans la vacuité de l´existence vers la Lumière et la Vérité, qu´ils ne peuvent trouver qu´au plus profond des Ténèbres, la retransmission en une litanie étrange et suffocante des réponses aux questions existentielles que tout un chacun se pose, une sorte de voyage initiatique au fond de l´esprit torturé de ses géniteurs, la mise en abîme implacable d´une introspection de l´être humain, de ses errances et de ses souffrances, et en tant que tel, il s’appréhende finalement plus avec l’âme et le cœur qu’avec les oreilles.
La main froide et cadavérique de
Dolorian nous guide à travers ces notes disharmoniques qui se dissolvent en un magma de basse en fusion, cette pulsation tribale qui résonne dans nos têtes comme un coeur à l´agonie et nous pousse à marcher toujours plus avant, et ces chuchotements plaintifs qui semblent tour à tour vouloir nous aider à trouver la sortie de ce dédale intérieur et, au contraire, nous égarer encore plus complètement dans la noirceur de ses abysses.
Lors de ces pérégrinations désespérées dans cet esprit insane, on pourra croiser les spectres damnés de
Xasthur, pour ces arpèges délétères dissonants et funèbres qui s´évaporent dans les airs sitôt que les guitares les ont crachés,
Shining pour le coté sombre, poisseux et désespéré qui suinte de cette instrumentation tellurique et de ces voix démentes lors des rares parties plus lourdes et agressives,
Murkrat pour cette évanescence mortifère et cette solennité mystique presque palpables, Sunn 0)) pour ce bourdonnement abyssal à l´évolution incertaine qui nous guide à travers les ténèbres, et une sorte d´hybride décomposé entre
Rajna et Paco de Lucia sous opium lorsque, arrivé au milieu du périple et fatigué de toutes les épreuves que l’on vient de traverser, on s´arrête un moment pour se reposer et on s‘assoupit, bercé d´illusions et d´espoirs, rêvant à la lumière céleste qu´on n´a fait qu´entrevoir par instants (The
Flow of Seething
Visions, soit 9,42 minutes de béatitude vaporeuse au doux parfum d´encens dans les brumes ouateuses d´Orient, sorte de
Nirvana spirituel et atemporel ou l´âme s´élève et oublie un temps les vicissitudes de la vie, incarnées sporadiquement par quelques bruits sourds et diffus).
Le prochain interlude purement musical ( ambiant?), The
Absolute Halo Is
Awakening, est plus trouble, l´harmonie est précaire et l´équilibre instable, curieuse et angoissante sensation similaire à celle d´évoluer lentement sur le fil de soie de la félicité tendu au dessus des gouffres sans fin du Néant. Et, dés le début d’Epoch of Cyclosure, le faux pas fatal a été commis, et la chute s´amorce, lente, terrible, et irrémédiable, mise en musique par ces guitares grasses et poisseuses et cette batterie implacable de lourdeur, accompagnées par cette voix d´outre-tombe qui éclate dans toute sa désolation morbide, donnant enfin leur vrai visage à ces chuchotements mystérieux, et ces claviers lugubres à la ritournelle inquiétante. Il aura suffi d´une imprudence, d´un infime moment d´inattention – allégorie cynique de la vanité humaine? - pour nous faire chuter, et voilà que
Dolorian, un sourire obscène aux lèvres, nous entraine à nouveau au milieu des lambeaux de son âme déchirée et des miettes de son coeur brisé, sur ce doom suffocant que nous lui connaissons si bien.
Alors, on perd la notion du Temps et de l’Espace, on oublie tout, on se laisse happer par le vide et on n’entend plus que les cris de l’Humanité damnée raisonner dans notre tête (
The Fire Which Burns Not). On se laisse porter, exsangue et sans force, jusqu’à la fin du périple, par cette musique d’un autre monde, cette musique qu’on ne peut pas comprendre et que l’on ne peut que subir, ultime mélange de secousses telluriques à la lourdeur d’outre-tombe et de notes désolées à la beauté froide et céleste.
Puis, au bout de 10,26 minutes, le voyage se termine doucement sur une dissonance astrale qui nous laisse perdu au milieu de nulle-part, on se réveille lentement, et on ose enfin rouvrir les yeux sur le monde réel. Que s’est-il passé au juste ? Où était-on exactement? Et surtout qu’en aura-t-on appris? A chacun d’apporter sa réponse,
Dolorian n’est qu’un guide évanescent et pas un oracle omniscient, mais une chose est sûre: après l’écoute de ces 66 minutes, vous ne serez plus jamais le même…
Bonne chronique aussi... ;)
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