C’est un fait, l’Espagne n’est pas le pays le plus reconnu pour ses groupes de black metal, et c’est vrai qu’au milieu de l’océan foisonnant de couleurs et de saveurs que représentent pêle-mêle le soleil andalou, les castagnettes, la paëlla, la sangria et la fiesta, on a franchement du mal à imaginer un créneau pour un art aussi torturé et noir. Pourtant, des groupes comme
Elffor,
Cryfemal,
Berserk ou
Foscor ont réussi à faire reconnaître leur nom hors des frontières ibériques, et parmi eux, il faut également citer Empty, groupe de Saragosse qui sortira à la fin du mois son cinquième album, deuxième full length sous la prestigieuse bannière d’
Osmose.
Si, comme beaucoup, vous aviez découvert le quatuor en 2014 avec
Etica Profana Negativa, vous risquez d’être surpris : sans changer radicalement de style la musique des Espagnols a pas mal évolué.
Rassurez-vous, on reste bien dans un black largement dépressif, mais la principale différence vient du traitement sonore, qui donne une toute autre dimension à l’art maudit d’Empty : auparavant plus claire, la production se fait flottante, presque immatérielle, embuée par cette saturation presque vivante, laissant les instruments se décomposer en un ballet de cordes mortes, et nous enfonçant dans des limbes brumeux qui nous égarent les sens. Première conséquence, les ambiances sont considérablement épaissies, ce qui en soi est plutôt pas mal quand on évolue dans un black metal à tendances suicidaires, mais la musique perd indubitablement en clarté, et une piste comme Empty par exemple, qui suit directement l’intro mélancolique de rigueur qu’est The Yellow
Rain, est vraiment difficile à pénétrer, nous agressant d’un maelstrom confus servi par des transitions un brin chaotiques. Le groupe joue énormément sur les dissonances et superpose parfois les couches sonores jusqu’à l’excès, désorientant l’auditeur, étouffant la lumière et la mélodie tapies dans l’ombre, et servant un conglomérat de guitares sifflantes et tordues qui se mêlent à cette pléthore de voix aliénées pour créer une atmosphère particulièrement chargée en miasmes.
Vacio n’est pas facile à apprécier donc, et est a priori un album tout sauf accessible ; ceci dit, au fur et à mesure que l’on avance dans l’album, on commence à se faire à cette complexité sonore, à mieux cerner les contours musicaux de cette bête innommable et à s’immerger avec torpeur dans la dépression que nous offrent les Espagnols. A force d’écoutes, on finit par distinguer plus nettement les instruments derrière ce voile de notes décharnées et grinçantes qui valdinguent et copulent sans harmonie apparente, et c’est alors que le plein potentiel d’Empty se dévoile : ces parties de basse langoureuses et belles qui ressortent particulièrement par moments, cette fusion de guitares dont on parvient à extirper quelques mélodies vénéneuses (le superbe tapping qui vient éclabousser les ténèbres de ses notes lumineuses dans We All
Taste the Same for the Worms, la fin de The
Pilgrim of
Desolation), les arpèges typiques du style, quelques riffs saisissants, la très bonne performance du batteur qui n’hésite pas à sortir des schémas minimalistes du genre pour proposer une approche volontiers plus technique lorgnant parfois vers le death metal (la fin de The Rope at the Mill et son blast énergique, les syncopes et contre temps inhabituels de Filandom under the
Sign of Misfortune), et surtout cet enchevêtrement de vocaux , entre hurlements suraigus et dérangés à la
Silencer, grondements abyssaux aux intonations death, chant clair désolé puant le désespoir, vocaux susurrés plus graves et théâtraux, aux intonations presque gothiques…
On découvre donc progressivement la richesse musicale de ces 47 minutes qui ne sont décidément pas sans surprise (les parties de guitare classiques et ces chœurs clairs surprenants sur The
Night Remains for who Is, le « slow » surprenant qu’est The
Pilgrim of
Desolation, reposant sur un arpège lancinant de guitare, sorte de copulation sidaïque entre
Shining, Betlehem et
The Old Dead Tree, les notes de flamenco qui viennent habiller délicatement le début de Filandom under the
Sign of Misfortune), et finalement, on se rend compte que
Vacio est autrement plus riche et consistant qu’un album de DSBM lambda qui jetterait de prime abord de la poudre aux yeux mais lasserait au bout de quelques écoutes.
Pour conclure,
Vacio est un album difficile à appréhender au début, proposant huit titres riches et exigeants qui demandent un véritable effort de l’auditeur mais qui nous immergent petit-à -petit dans leur noirceur contagieuse. A mi-chemin entre le black dépressif et une vision plus avant-gardiste de l’art noir, mêlant habilement les influences de groupes comme
Shining,
Silencer ou
Dolorian, Empty signe avec ce cinquième album une oeuvre assez aboutie, audacieuse et originale, qui contrairement à ce que son nom pourrait laisser à penser, est loin d’être vide. Eteignez les lumières, fermez les yeux, montez le volume et laissez-vous happer par l'appel du néant...
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