Oubliez tout ce que vous avez écouté en matière de doom/drone jusqu’à maintenant. Oubliez
Earth,
Sunn O))), oubliez
Sleep,
Esoteric et
Culted car il y a
Ommadon.
Ommadon, c’est un duo anglais plutôt discret, dont les deux membres sont d’ex Snowblood, et qui sortent avec ce sobrement intitulé V leur… cinquième réalisation, si on excepte le split avec
Horse Latitudes et
Coltsblood. Et
Ommadon, en l’occurrence, c’est aussi une expérience sensorielle unique et effroyable qui vous emmène dans une dimension parallèle où l’angoisse de l’inconnu surnage avec des lambeaux de rêves et d’humanité épars dans l’immense et froide vacuité d’un cosmos en pleine implosion.
Ommadon, ça secoue, ça dérange, ça assomme, ça remue, ça révulse, en un mot ça ne laisse pas indifférent.
La dernière galette du duo se compose de deux titres monolithiques de respectivement 47 et 39 minutes, enregistrés live en une prise et masterisés par le célèbre Billy Anderson (
Sleep,
Eyehategod, High on
Fire) qu’on ne présente plus. Voilà en guise d’introduction.
Maintenant, appuyez sur Play si vous l’osez. Le voyage commence par un bourdonnement lancinant et par des fréquences d’infrabasse traumatisantes, qui viennent insidieusement remplir l’espace sonore avant que les premiers grondements électriques n’interviennent: un son de guitare terrassant s’incarnant en quelques secousses telluriques à vous retourner le cœur, des saccades cataclysmiques à la lourdeur extraterrestre qui feraient passer
Esoteric pour un groupe de heavy speed, portées par l’impitoyable pesanteur d’infrabasses monstrueuses.
Ommadon évolue à la limite du drone tant il affectionne ces sonorités mugissantes et ces murs épais de basses vibrantes qui nous remuent les tripes. Les accords, lents, poisseux, bourdonnant d’une distorsion inhumaine, tournent jusqu’à nous donner la nausée, et quand quelques larsens viennent s'ajouter à la partie, on devient alors l’auditeur impuissant d’une cacophonie bruitiste à la limite du supportable.
Traumatisante expérience qu’est ce V : on peut à peine parler de musique, tout ne semblant sonner que comme un sourd grondement à la pesanteur suffocante, l’ amalgame halluciné de triturations extrêmes et de résonances distordues et grasses affolant nos méninges, le tout animé par quelques coups de batterie sourds histoire de donner un semblant de rythme à l’ensemble et de nous persuader que ce que l’on est en train de subir reste une sorte d’art, primitif, grossier et tétanisant, mais mû par un véritable sens et une conscience bien réels ; et en effet le duo anglais a un but avoué derrière cette hideuse entité qu’est
Ommadon : annihiler le moi dans une quête de déstructuration sonore, et explorer les frontières de la lourdeur, de l’insanité et du malaise musical. A l’écoute de cette première pièce monolithique de 47 minutes, on ne pourra que convenir que c’est plus que réussi, chaque repère spatio-temporel étant annihilé, les rapports au matériel pulvérisés, et chaque particule d’individualité mille fois dissoute dans cet océan corrosif et hurlant de distorsion et de basse.
On attend avec douleur que ce V1 décolle, mais le titre reste désespérément encroûté sous des kilomètres d’écorce terrestre, croulant encore et toujours sous la pesanteur de ses riffs roulants, immuable et intemporel. Le tout s’enchaîne inéluctablement, comme un spectacle implacable auquel on assisterait impuissant, une immensité incommensurable et cosmique, comme la destruction, terrible et belle, d’un univers. Certes, il y a bien quelques longueurs et redondances, mais la piste évolue, fatalement, inexorablement, semblant suivre une trame logique, nous entraînant dans ses noirs méandres, et pour peu que l’on soit dans les bonnes conditions (au hasard, écoute au casque et dans le noir, dans un état second), elle se vit plus qu’elle ne s’écoute, et on décèle, presque inconsciemment, plusieurs strates musicales: un rythme pachydermique, presque humain, telle une lourde pulsation arrachée à une batterie qui revient à la vie, semble s’animer autour de 13,10 minutes sur ces saccades de guitares grasses et vomitives, mais ce n’est que pour mieux agoniser deux minutes plus tard, encore et toujours, sur ces sonorités obscènes et mourantes de fin du monde, lentes, lourdes, poisseuses et profondément dérangeantes.
A partir de 27 minutes, des stridences apocalyptiques à la limite du supportable nous déchirent les tympans, larsens décomposés qui nous lacèrent le bulbe durant deux minutes, avant qu’une sorte de sérénité post chaotique émerge et nous ressuscite: tout vibre, on a l’impression que la galaxie elle-même va imploser sous la compression de ces guitares, mais c’est un calme étrange qui domine, avec une sorte d’ambiant froid et angoissant à la
Darkspace ; il n’y a plus de musique, simplement du son, et une sensation de vide et de glaceur s’empare de notre être tétanisé.
La deuxième partie de V se poursuit dans cette sorte de crépuscule lunaire, tout aussi inéluctable: ce bourdonnement sourd et électrique et ce vent astral entament la seconde piste, dressant les contours désolés d’un univers noir, froid et inquiétant, un immense espace vide où expirent des siècles de vie, et où l’on est balloté, tiraillé entre plénitude et angoisse. V2 est en quelque sorte la face insidieuse de la première plage, nimbée d’une lueur voilée et mystérieuse, la création après la destruction, le penchant complémentaire d’un V1 trop lourd et suffocant qui annihilait tout espoir. Les guitares sont moins oppressantes, comme noyées dans les hurlements silencieux de cet univers à l’agonie, se contentant de boucles ronflantes et hypnotiques aux tonalités presque solennelles. Ce n’est qu’au bout de 6,30 minutes que le terrible chaos post apocalyptique se remet paresseusement en branle et que les amplis dégueulent leur coulis de basses, appuyés par la frappe catatonique de la batterie. On revient à peu de chose près au doom/drone suffocant de la première partie, mais en moins claustrophobe, comme nimbé d’une aura plus aérienne, et on n’a désormais plus peur car on navigue, presque serein, en terrain connu.
Au bout de 15,13 minutes, les guitares se font plus saccadées et oppressantes, leurs rugissements deviennent plus lourds et menaçants, leur lenteur plus impitoyable, mais la voix muette du ciel, présente tout le long de ces 39 minutes, incarnée par ce bourdonnement et ces stridences étranges, cristallisant l'excitant et angoissant mystère d’une nouvelle vie promise, contrebalance la lourdeur nauséeuse des instruments. On a même presque un semblant de mélodie avec ces étranges notes de guitares qui semblent pleurer des larmes gelées à partir de 25,35 minutes, et un passage doom terrassant à partir de 28,45 minutes, qui, durant une poignée de secondes, nous ferait presque headbanger, avec la frappe sourde de la batterie qui impulse un rythme bien marqué.
Le tout se termine dans ces sonorités diffuses de planètes en décomposition et ce grondement de guitares de plus en plus lointain, rattrapés par l’immensité vide et glaciale de cet univers au bord de l’implosion.
Le voyage auquel nous convie
Ommadon est d’une intensité rare, broyant toute spiritualité, disloquant toute individualité et pulvérisant toute once d’humanité sous cette avalanche de décibels et ce magma de basse en fusion. Durant cette transe de près de 90 minutes aux limites du drone, on assiste, impuissant, à la destruction et à l’éclosion de mille univers, et on retourne, humble et ridicule enveloppe humaine, à la poussière originelle qui nous a vu naître. On ressort de ce V éreintés, vidés, complètement hébétés et indécis, presque traumatisés. Une expérience aux frontières de la folie à ne pas recommander, assurément, sauf aux plus masochistes et extrêmes d’entre vous.
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