Umeå est un congélateur de 120 000 habitants au nord de la suède, proche de la Laponie, avec sa Maison de l'Elan, son Université, et quelques spécialités locales pittoresques, comme
Refused,
Meshuggah, et Västerbotten (ce n'est pas un groupe de black industriel, mais un fromage).
C'est aussi le berceau de
Moloken, quatuor de
Sludge/doom/post hardcore plutôt anticonformiste.
Nos suédois confessent facilement leurs influences : le prog 70's (
Rush,
King Krimson,…), la scène scandinave années 90 (
Entombed,
Opeth,
Mayhem,
Katatonia,…), et plus récemment les enfants terribles du metal expérimental : Dillinger
Escape Plan,
Converge,…
Moloken est né en tant que side project en 2002, avec quelques démos et un EP "
Slow Death" qui n'a pas été sorti à l'époque, qu'on peut écouter sur la page bandcamp du groupe sous le titre "
Six Songs of Happiness". Le groupe a vraiment pris forme en 2007 autour du noyau des frères Kristoffer et Niklas Bäcktröm. Ce cocktail musical s'est constitué dès le début, concrétisé en 2009 par l'album "Our
Astral Circle", un metal torturé et hurlé avec, fait rare qu'on peut souligner, une basse vraiment très présente, et dans le bon sens du terme. Leur deuxième LP "Rural", sorti en 2011, a poursuivi la descente aux enfers en creusant sa tombe avec des guitares bien moins saturées, toutes proportions gardées. D'ailleurs,
Moloken se considère comme un groupe metal qui joue avec un son rock -ce qui se retrouve aussi dans leur manière de composer.
"All is Left to See", le troisième opus, ressemblerait plutôt à un gros EP, et pour cause. Kristoffer Bäcktröm et
Moloken (à moins que ce ne soit l'inverse) ont décidé de réaliser un triptyque d'albums pour explorer leur univers musical. Cela comprend aussi bien la musique, les paroles, les artworks et vidéos très torturés et sombres. Ce premier volet avait été conçu comme une introduction à ce concept, avec une ambiance soignée et un son très organique.
Il a fallu attendre cinq ans avant que les premières notes de ce quatrième LP sorti chez The
Sign Records reprennent les dernières qui avaient clôt l'album précédent.
Le titre de l'album, "Unveilance of
Dark Matter", comme l'explique Kristoffer, est une expression des émotions les plus sombres que le groupe veut exprimer. Après avoir fait la pochette du disque, Costin Chioreanu (connu pour ses artworks, merchs et videos pour
Opeth,
Neurosis,
Ihsahn,
Ghost,
Arch Enemy,…) a été aussi contacté par Kristoffer Bäckström pour réaliser le superbe et bien déprimant film d'animation pour illustrer le morceau "Unbearable".
La musique de
Moloken est un patchwork d'influences variées qui se fondent dans un sludge incandescent. Les guitares ont de sales accords noise ou industriels. La basse de Patrik Ylmefors est plus post rock, voire se teinte d'accents jazzy. Une influence qui se retrouve aussi dans le jeu de batterie heurté et déstructuré de
Jakob Burstedt. La rudesse de la production rappelle plutôt le hardcore.
Puisqu'on parle du son, celui-ci se révèle plus brouillon et massif que sur "All is Left to See". La batterie est passée de l'avant scène au backstage et a perdu en sus la vibe qui colorait cet album.
Les guitares sont plus metal, très spatialisées gauche/droite, comme peut le faire un
Slayer, sauf qu'ici une des deux six cordes joue souvent la rythmique rapeuse quand l'autre égrène des notes dissonantes.
"Unveilance of
Dark Matter" est le plat de résistance de la trilogie, et sa consistance est telle que l'estomac est cimenté pour un bon bout de temps. L'intensité est poussée à son paroxysme, avec notamment un excellent "Surcease" survolté et noir de suie, comme du
Neurosis progifié et passé à la moulinette de
Converge. Il devient vite clair qu'on est pas là pour fendre la gueule comme une baleine, noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir. Tout est dominé, écrasé par le chaos.
Les guitares dissonent à qui mieux mieux, comme un
Converge (encore, oui), mais en pire, à savoir trop souvent et cela brouille les cartes auditives. Ces petits accords sales et fourbes corrompent parfois des morceaux intéressants ("Shadowcastle Pt.1", "
Hollow Caress"), et ne relèvent pas le niveau des plus faibles (le décevant "Unveilance of
Dark Matter").
L'écoute de l'album est éprouvante, particulièrement à cause de cela, et d'un point que je n'ai pas encore abordé ici.
Le chant est partagé principalement entre les frères Bäcktröm, Kristopher le guitariste chanteur, et Niklas le bassiste, qui jouent à qui gueule le plus fort, dans un ping pong de garde à vue de 72 heures. Les frangins ont des timbres de voix assez similaires typiques du sludge, l'un étant un peu fry scream qui pourrait se rapprocher du black, tandis que l'autre joue plus sur un growl légèrement death. Seules quelques accalmies de gorge se font sur "Lingering
Demise", ou "
Venom Love" avec une voix chuchotée bien agréable.
Si j'ai un peu de mal avec cette agression vocale presque constante, je gage que cela enchantera les orifices auditifs les plus endurants.
Au final,
Moloken arrive à hisser sa musique bien plus haut lorsqu'il ose mettre plus de sensibilité et baisser le pied sur la dissonance, en particulier sur les singles sortis pour la promotion de l'album. "Surcease" emprunte autant au prog qu'au sludge et au hardcore, mais la structure du morceau évolue au fil des émotions. "Unbearable" est drivé par une basse qui vous plonge dans un noise nostalgique, et la guitare plus discrète presque rock et tordue dans ses sons et ses effets ménage une ambiance hypnotique. "Lingering
Demise" fait penser au Dillinger
Escape Plan introspectif, avec ses chœurs de chant clair touchants. On peut donc trouver de la pépite brute et coupante sur cet album, mais il faut aller creuser à la mine un certain nombre d'écoutes pour en voir l'éclat, celui qui donne envie d'y retourner.
Reste une section rythmique impressionnante, avec des parties de batterie haletantes, débridées et inventives, et un Patrik Ylmefors qui rend vraiment honneur à la basse, avec une richesse mélodique et un son jouissif dont les notes sont audibles et mises en valeur.
J'ai beau avoir l'estomac des oreilles plein comme un loukoum avec cet album, je n'en reste pas moins sur ma faim, car on sent que
Moloken est capable de bien mieux lorsqu'il se canalise. Après tout, il reste bien une troisième partie à venir pour boucler le trident, et il n'est jamais trop tard pour finir en beauté.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire