S'il y a un groupe dont le nom revient souvent ces derniers mois, c'est bien celui d'
Infected Rain, qui a enchaîné un album studio en 2022, un album live "The
Devil's Dozen" en 2023. Et voici "
Time", leur sixième album paru le 09 février 2024, sur lequel on zoome aujourd'hui, qui aura bénéficié de cinq vidéos tirées en extrait toujours aussi chiadées et visuellement fortes en idées choc. On peut aussi compter l'activité de sa frontwoman Elena Cataraga
Aka Lena Scissorhands, devenue en outre chanteuse dans
Death Dealer Union, ainsi que ses quelques featurings ( Seas Of The
Moon,...).
Formé à Chisinau, le groupe originaire de
Moldavie a passé ses premières années à s'aguerrir lors de tournées en Europe de l'Est, en
Moldavie, Ukraine, Roumanie, République Tchèque, etc... Après leurs premiers LP "
Asylum"(
2012) et "
Embrace Eternity"(2014), c'est le disque "86" les a fait remarquer, aboutissant à une signature chez
Napalm Records pour l'album "
Endorphin", paru en 2019. Si la plupart des groupes de metal ont pâti de la pandémie et ont subi le rythme des restrictions, nos
Moldaves favoris n'en ont rien laissé paraître, car ils ont habilement tiré leur épingle du jeu et continué à progresser pendant cette période chaotique, avec leur cinquième album "Ecdycis" en 2022. Le line up a aussi changé, avec en 2023 le départ du guitariste Sergei Babich, et de Vladimir Babich remplacé par Alice Lane à la basse depuis lors.
De loin, on peut avoir l'impression qu'
Infected Rain ne change pas avec les années. Cependant, depuis ses débuts, son style a évolué de manière subtile d'un album à l'autre, son métal moderne brutal coupé à l'émo et mâtiné d'indus s'est complexifié et a perdu sans qu'on s'en rende compte sa base neo metal, pour migrer vers un djent légèrement progressif.
Cela se confirme sur ce nouvel opus, avec des morceaux comme "
Dying Light" ou "
Enmity", efficaces en étant plus frontalement belliqueux, montés sur des gros riffs à la
Meshuggah parsemés de quelques squeals gojiresques, ce qui s'accommode bien du sous accordage des sept cordes de Vidick. J'avoue que certains breaks dispensés par le quatuor m'ont bien cueilli : en douceur sur celui angélique de "Because I Let You", ou avec un aplomb vicieusement implacable sur l'orientalisant "
Never to
Return".
La musique suit complètement la pulse du kick d'Eugene Voluta, qui se trouve au centre du mix : cela se voit plus sur des morceaux plus dépouillés en instrumentation comme le sobre et aérien "Lighthouse" ou le Meshuggesque "Vivarium". La production de l'album concoctée par Valentin Voluta est très propre, sophistiquée, aussi chaude que celle de son prédécesseur "Ecdycis" était froide. En effet, elle met en valeur les fréquences basses, voire infra-basses, qui englobent le high gain des guitares. La température redescend tout de même sur certains passages : le titre "
Pandemonium" respire la froideur futuriste du début des années 80, comme si
Blade Runner avait été amadoué par Mike Oldfield et Jean-Michel Jarre, avec des notes de synthés qui se posent sur les guitares, pour y mettre soit de l'emphase, soit la dissonance. A propos de dissonance, je trouve qu'
Infected Rain s'éloigne quelque peu des velléités industrielles qui étaient sa marque de fabrique pour revenir vers quelque chose de plus classique, au sens littéral, symphonique du terme, avec des arrangements riches et nuancés, où les claviers prennent une part prépondérante -comme si un claviériste fantôme avait pris la place du guitariste qui est parti. On trouve pour diversifier les sources d'inspiration des touches d'électro et d'EDM, mais aussi une atmosphère orientalisante subtile sur "
Never to
Return".
En dépit de leur complexité relative, les riffs velus sont parfois un peu convenus et peinent à être vraiment mémorisables, mais sont heureusement rattrapés par la beauté des refrains ("Because I Let You"). Le calme, et même la douceur reviennent régulièrement, en élargissant le paysage sur, ou en trip hop introspectif à la manière de Björk ("Unpredictable"). La partie vocale fait se succéder les screams et growls impressionnants de Lena, et des lignes très mélodiques et réussies, à la manière d'Amy Lee d'
Evanescence. Là où j'apprécie le plus le chant de Lena, c'est quand elle mélange différents types de voix et glisse de l'une à l'autre, ou tente des harmonies plus étranges comme sur le début de "Unpredictable". Les screams et les lignes de chant aérien sont parfois superposées, juxtaposées, avec plus ou moins de bonheur suivant les mélodies, j'ai trouvé ça un poik forcé sur "Lighthouse" mais très réussi sur "Unpredictable". Avec pas moins de douze pistes, Lena peut se permettre des expérimentations sur "
Paura", à base de growls plus tordus ou d'italien chuchoté limite ASMR. L'outro instrumental "A Second or a Thousand Years" clôt joliment l'opus avec un beau travail sur les samples et synthés, cinématographique et méditatif.
Je suis un peu partagé sur ce nouvel album d'
Infected Rain : d'un côté c'est sûrement le plus abouti et le plus équilibré, mais en revanche il lui manque quelques morceaux vraiment marquants. En définitive, j'ai moins accroché à la première moitié du disque, efficace et sans trop de surprises (là où sont les singles), alors que j'ai trouvé la deuxième moitié de l'album plus personnelle et tranchée, même sur "Game of Blame" lorgnant vers du
Evanescence, qui se montre à la fois sensible et intense avec beaucoup de justesse. Le groupe ayant acquis une entière maîtrise de son art, il ne lui manque pas grand chose pour passer un nouveau cap.
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