On s’en souvient, "
Irradiant" avait créé une vague de fierté dans notre France natale. Un jeune groupe nommé
Scarve venait de composer une bombe atomique qui leur permettait de rivaliser dans la même cour que celle de
Meshuggah ou
Strapping Young Lad. Une musique démente, violente à l’extrême, inclassable et technique, entremêlement de mélodie et de brutalité pure, comme une route vers la schizophrénie la plus totale. Le mixage et la production de Daniel Bergstrand (ayant justement collaboré avec les deux groupes de malades mentaux précités) avaient terminé d’achever un auditoire n’en revenant définitivement pas. Mais voilà, trois ans plus tard, bien des choses ont changé à l’aube de la sortie du très attendu quatrième opus.
Pour la première fois, les français ont dû avoir à faire à un inévitable changement de line up, Guillaume Bideau, le formidable chanteur clair du combo préférant se consacrer au très aseptisé Mnémic. Pourtant, le choix de confier son poste à Lawrence Mackrory (
Darkane) aura été une très judicieuse idée, tant sa voix semble parfaitement ancrée au cœur de la musique. Un timbre très original, comme hors du temps, évoquant parfois les envolées d’un
Devin Townsend, loin de tous les stéréotypes désolants du death mélodique. Toujours produit par le maitre Bergstrand, le son est à couper le souffle : froid, sec mais clair, il permet de déceler chaque once de violence et de technique de cette nouvelle œuvre. Froide, la pochette l’est également, et laisse entrevoir une dimension expérimentale en constant mouvement (à l’instar de ce qui semble être des atomes sur le magnifique digipack).
Dirk Verbeuren (qui a quitté le groupe juste après l’enregistrement pour rejoindre à plein temps
Soilwork) ouvre l’album sur "Endangered" par un beat de caisse clair et directement, nous sommes comme happés par une spirale infernal de technicité. Dirk est une nouvelle fois phénoménal rythmiquement, puis la voix de Pierrick empreigne le spectre sonore. Couvrant le son totalement, tel une ombre glaçante, ses vocaux sont effroyables d’animalité et de bestialité, tandis que Lawrence fait une minime apparition sur le refrain, comme une étincelle de lumière dans des ténèbres complètes. Un solo polyrythmique pointe le bout de son nez dans une déferlante chaotique de notes et de décibels, sur un blast monstrueux de Dirk, ayant considérablement étoffé son jeu de cymbales. Lawrence se montre enfin sur le pont, glacial, pénétrant, inhumain également. Le final se veut l’égal de l’éternel bataille entre lumière et obscurité, les deux vocalistes chantant les uns après les autres, mais Pierrick couvre l’éclat du Danois et a débuté admirablement un disque s’annonçant comme aussi révolutionnaire que brutal et intelligent.
Mais tout ne sera pas du même acabit. Entendons nous bien, "
The Undercurrent" est un excellent album, très court et compact (à peine quarante minutes) mais là où certaines compositions éblouissent par leur musicalité, leur technique et leur inventivité, d’autres pêchent par une créativité en suspension automatique, ou s’étalent dans des atmosphères encore mal digérées (l’aspect ambiant de "A Few Scraps of Memories").
Néanmoins, l’écoute d’un chef d’œuvre comme "Imperceptible
Armageddon" est une profonde descente en abysses. S’ouvrant sur un mid tempo trompeur et mélodique, la rapidité prend rapidement le pas, et déboule sur un refrain exceptionnel d’intelligence musicale. L’animalité de Pierrick se reflète aux envolées lyriques de Lawrence qui, comme figées, sont autant de beauté dans ce champ de dévastation que conte le français. Le riff principal est une pure tuerie de puissance, provoquant un headbanging excessif mais tellement salvateur. Sans aucun doute le morceau le plus impressionnant de l’album. "
Fathomless Descent" est également des plus intéressants, avec ses timbales retentissantes comme des symboles malsains, points de repère dans cette débauche de violence. Susurrées, les paroles de Lawrence se complètent à certains hurlements incroyables de Pierrick, aussi effroyable qu’une bête sauvage. Le plus long "The Plundered" est également un excellent titre mais il lui manque le petit plus qui le ferait devenir non plus sympathique mais génial. C’est ce qui manque sur la durée (pourtant courte paradoxalement) de cet opus, ce surplus de créativité sur l’ensemble.
Car entre les perles inestimables se succèdent des compositions non pas mauvaises mais plus fades, sans décharge d’adrénaline pure, à l’instar de "
Rebirth", qui conclut l’album sur une note plus expérimentale (ce riff très haché et une ambiance presque suffocante et glauque très empruntée à
Meshuggah) avec de nombreuses cassures rythmiques et une touche presque black metal mais qui tire en longueur. Comme si le groupe ne savait comment finir son ultime chapitre. "
The Undercurrent" est pourtant largement au dessus de la masse, et il ne manque presque rien pour que
Scarve deviennent le maitre du
Metal francophone.
Dès lors, comment accepter que les musiciens extraordinaires que sont Dirk et Pierrick aient également choisi de quitter le navire, laissant un Sylvain Coudret (guitare et principal compositeur avec Dirk) dans un néant artistique ? Tout en sachant également que
Soilwork et
Phazm ne sortiront jamais des réalisations capables d’apporter réellement quelque chose de plus musicalement au
Metal. Autant de frustrations convaincant l’auditeur, à l’écoute des anciens albums et de celui-ci, que
Scarve n’est autre qu’un des plus grands gâchis de l’histoire du
Metal français.
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