Trop aisément assimilés à
Arcturus à leurs débuts, les Norvégiens de
Vulture Industries ont toutefois réussi à instiller leur propagande progressivo-avant-gardiste au sein du microcosme black metal grâce à deux premiers albums méritoires au plan musical et surtout un pouvoir scénique incomparable. Qui a déjà eu l'occasion de pouvoir assister à un de leurs shows hautement théâtralisés, ne peut être resté insensible au charisme du groupe, leurs chemises et leurs bretelles, et surtout leur leader-chanteur Bjornar E. Nilsen. Zébulon espiègle et facétieux aux imparables et photogéniques grimaces et mimiques de schizophrène en rupture de traitement, ce genre de personnage porte à bout de bras l'art total, tant musical que visuel, n'hésitant pas à ramener un escabeau sur scène pour l'arpenter ou un piloris pour s'y faire supplicier à base de lancer d’œufs, comme au Hellfest en
2012.
Pour autant, c'est par sa musique que le groupe s'est fait connaître et ses deux premiers albums sorti chez
Dark Essence lui ont permis de se faire recruter par une pointure telle que Season of
Mist. Ces deux premiers albums avaient leurs qualités et leurs défauts, «
The Dystopia Journals », très complet et équilibré, mettait en exergue tout le potentiel d'un groupe à suivre, tout en restant assez proche de leurs références en bons natifs de Bergen qu'ils sont. Le second «
The Malefactor's Bloody Register » tentait clairement de transcender ces références avec des aspects plus « Patoniens » et modernes, pour un résultat très correct mais in fine moins brillant qu'il n'était alléchant, la faute à quelques longueurs et titres plus dispensables et à une production légèrement brouillonne.
Ce «
The Tower » était donc un album qui suscitait des attentes et des interrogations, et si je ne fais pas partie de ceux qui propagent inlassablement le credo : « 3ème album = Album de la maturité », ici force est de constater que c'est ce qui ressortira de l'écoute de ce dernier.
Évolution, plus qu'une véritable Révolution, voilà ce qu'est donc cet album tant sur le plan du packaging soigné et étrange comme à leur habitude que sur celui, primordial, de la musique, à l'image des deux premiers titres qui sont tout ce qu'on est en droit d'attendre d'un morceau de
Vulture Industries, personnel et étrange tout en restant très carré avec ces motifs empreints de toute la folie de l'univers post-années 1920 qui domine l'ensemble de la galette. Les textes sont du même acabit et non dénués d'un certain talent littéraire à l'image de ce « parallélisme chiasmatique » : «
Why did we build it ? Because they hate us.
Why do they hate us ? Because we built it. ».
Le tout reste malgré tout dans la veine de ce que
Vulture Industries a l'habitude de proposer avec des titres dans les 5-6 minutes, pile poil entre les esprits des deux précédentes moutures.
La surprise sera plus conséquente par la suite avec le reste de l'album qui globalement prendra plus de risques, à l'image de la lente et maladive complainte « The Hound » durant presque 10 minutes à base de motifs rampants sur une batterie simpliste et obnubilée, juxtaposé à la furie d'un «
Blood on the Trail » assez clairement le titre le plus catchy, rentre-dedans et efficace que les Norvégiens nous aient proposé jusqu'alors avec notamment des chœurs absolument fabuleux sur le refrain.
Une touche de modernité sera apportée avec notamment une voix très Mansonienne lors des couplets sur le monstrueux « The
Pulse of Bliss », morceau à la structure classique très efficace, tandis que l'on trouve de nombreux morceaux planants et maladifs, dénués de toute l'énergie originelle du black pour en garder la noirceur et le coté néfaste, ainsi l'intermède apporté par «
The Dead won't mind » ou la conclusion «
Lost Among Liars » qui juxtapose des roulements de batterie militaires du style « annonce d'une exécution » à une rengaine instrumentale pouvant faire penser à ce que ferait un orgue de barbarie (sans la sonorité toutefois). L'intro d'un « A
Knife Between Us », quant à elle, ne déparerait pas dans le folk-country-doom étrange des fameux Those Poor
Bastards.
Le groupe nous régalera par ailleurs en titre bonus de leur fameux arrangement devenu un titre-phare en concert : «
Blood don't Eliogabalus », savoureux mélange du titre «
Blood Don't
Flow Streamlined » issu de leur premier album et d' extraits d'« Eliogabalus » et de «
Sacrilegium » du mystérieux groupe avant-gardiste italo-slovène
Devil Doll.
Vulture Industries fait donc mouche avec cette nouvelle offrande, leur meilleure à mon goût en conservant leur identité propre et facilement reconnaissable, mais en la saupoudrant de quelques innovations tout en trouvant une efficacité et une énergie nouvelles sans se perdre dans les quelques longueurs qui émaillaient «
The Malefactor's Bloody Register » ni verser dans l'easy-listening avec aucune structure passe-partout ou presque.
Sans renier leur passé, les Norvégiens semblent avec cet album se dégager la voie pour un futur qui devrait leur sourire, grâce à un surplus de maturité qui, combiné à leurs qualités naturelles et évidentes depuis leurs débuts, pourrait fort bien leur donner les clefs pour tout dévaster sur leur passage.
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